10000000000001B20000006215DCE06B.png

 

 

 

Lilit était la fille de Zaven, le révolutionnaire avec lequel Alek et Deryn s’étaient liés d’amitié à Istanbul. Le kizlar agha, pour sa part, avait été le conseiller personnel du sultan. Zaven était mort en combattant pour la révolution qui avait jeté bas le gouvernement du sultan.

Alors, que faisaient ces deux ennemis ici, à New York… ensemble ?

— Monsieur Sharp ! s’exclama Lilit en se jetant au cou de Deryn et en la serrant dans ses bras.

Un bref instant, Deryn craignit que la jeune femme ne l’embrasse, comme la dernière fois qu’elles s’étaient vues. Mais Lilit se détacha d’elle avec un sourire entendu.

Le kizlar agha s’avança pour serrer la main de Deryn.

— Ah, l’aviateur qui a le mal de l’air. Je suis ravi de vous revoir !

Il portait des vêtements civils, très élégants, au lieu de l’uniforme ottoman dans lequel ils l’avaient connu. En revanche sa chouette mécanique était toujours perchée sur son épaule, et l’horloge tournait.

— Et moi donc ! répliqua Deryn. (Elle secoua la tête.) J’avoue que je ne m’y attendais pas.

— C’est une surprise pour chacun de nous, je pense, dit Lilit.

Elle suivit du regard Alek qui s’éloignait en direction du groupe de Tesla. Deryn se retint de l’imiter.

La guerre prendrait peut-être fin bientôt, leur permettant de se revoir. Mais, dans l’immédiat, penser à Alek ne ferait que lui rendre la vie plus compliquée, plus douloureuse et plus susceptible de tourner en eau de boudin.

— Je vous croyais occupée à diriger la République ottomane, s’étonna Deryn auprès de Lilit.

— J’aurais bien voulu, grommela la jeune femme en lâchant un juron. Mais le comité a décidé que j’étais plus apte à me rebeller qu’à gouverner. Alors, on m’a envoyée le plus loin possible.

— Cela n’a rien d’une punition, protesta le kizlar agha avec un sourire. Du moins je l’espère, car je suis là moi aussi.

— Alek m’a dit que vous étiez l’ambassadeur, monsieur ? fit Deryn.

L’homme se tint bien droit.

— Ambassadeur de la République ottomane auprès des États-Unis d’Amérique. Un titre quelque peu ronflant en récompense d’un infime service.

— Pas si infime que cela, rétorqua Deryn. Votre intervention a épargné des milliers de vies.

Quand la révolution avait éclaté, le kizlar agha avait escamoté le sultan à bord de son yacht volant. Il avait kidnappé son propre souverain ! Grâce à cela, la révolution avait pu s’achever en une seule nuit.

— Je n’ai fait que mon devoir en protégeant le sultan. Il vit heureux en Perse à présent.

Lilit ricana.

— Il complote allégrement contre la république, vous voulez dire ! Il a des espions partout !

— Il n’est pas le seul, observa Deryn. Nous avons pu nous en rendre compte hier soir.

— Effectivement, convint le kizlar agha.

Il leva le bras pour couper le contact de sa chouette mécanique ; les rouages minuscules cessèrent de ronronner à l’intérieur du volatile.

— Comme vous vous le rappelez peut-être, monsieur Sharp, reprit le kizlar agha dans un murmure, le kaiser était un grand ami de mon ancien sultan. J’ai gardé de nombreux contacts parmi les Allemands.

Lilit se rapprocha.

— Récemment, nous avons pu apprendre certains secrets grâce à eux. Des secrets que le gouvernement de la république ne peut pas transmettre aux Britanniques. Pas d’une manière officielle, en tout cas.

— Mais d’une manière officieuse… ? les encouragea Deryn.

— Tant que personne ne découvre d’où vous les tenez… (Le kizlar agha jeta un regard autour de lui.) Vous devriez sortir faire un tour tous les deux, pour parler du bon vieux temps, évoquer les moments grandioses de la révolution !

— Excellente idée, approuva Lilit, et elle prit Deryn par l’épaule.

— Il faut d’abord que je prévienne le Dr Barlow.

— Inutile d’attirer l’attention, dit Lilit à voix basse. Nous serons de retour dans moins d’une heure. Et, croyez-moi, ce que j’ai à vous dire vaut bien une petite entorse aux bonnes manières.

 

100000000000005B000000150A2566F3.jpg

 

S’esquiver discrètement ne fut pas difficile. Le Dr Barlow avait engagé la conversation avec un groupe de savants en chapeau melon, et Lilit semblait connaître le consulat comme sa poche. Elle entraîna Deryn à travers la cuisine et les fit sortir par une porte de derrière. Les deux policiers de garde parurent surpris de les voir, mais ne cherchèrent pas à les retenir.

Alors qu’elles s’éloignaient sur les trottoirs de Manhattan, le genou de Deryn commença à la faire souffrir. Alors qu’il l’avait laissée tranquille toute la journée, le froid automnal et l’allure vive imprimée par Lilit avaient relancé le bourdonnement. En voyant Deryn s’appuyer lourdement sur sa canne, Lilit fronça les sourcils.

— Ce n’est pas uniquement pour l’apparence ?

— J’ai fait un mauvais atterrissage en ailes autonomes. Nous pourrions peut-être marcher moins vite ?

— Bien sûr, dit Lilit. (Elle ralentit un peu.) Mais êtes-vous encore en état de vous battre ?

Deryn ricana.

— Vous n’avez pas changé, n’est-ce pas ?

— Le monde est toujours le même. (Lilit entrouvrit sa robe audacieusement fendue pour dévoiler un minuscule pistolet Mauser attaché à sa cuisse.) J’aurais préféré que vous ne soyez pas en uniforme de l’Air Service. Cela manque de discrétion.

Deryn regarda autour d’elle. Les rues grouillaient de monde, de tramways à vapeur et de charrettes à bras. On entendait des bribes de conversations en plusieurs langues, et elle avait même remarqué plusieurs enseignes de boutiques en allemand.

Elle haussa les épaules.

— Je suis un aviateur. C’est mon uniforme.

— Je vous préférais en habits turcs, avoua Lilit. Peut-être ferions-nous mieux de quitter la rue et de nous installer dans un endroit à l’abri des regards. Aimeriez-vous voir un film ?

— Oui, volontiers, répondit Deryn, que les images animées intriguaient beaucoup depuis le récit enthousiaste que lui en avait fait Alek. Y a-t-il un cinéma par ici ?

Lilit sourit.

— À New York ? On en trouve quelques-uns, oui.

Elles tournèrent à l’angle de la rue suivante, et un bloc plus loin Deryn se retrouva sous une enseigne gigantesque. Elle était couverte de petites ampoules électriques qui s’allumaient et s’éteignaient régulièrement, comme si des bestioles lumineuses tournaient dessous. Au centre, des lettres géantes indiquaient : CINÉMA EMBASSY – INFORMATIONS ANIMÉES TOUTE LA JOURNÉE.

En approchant de la billetterie, Deryn mit la main à sa poche. Bien sûr, elle n’y trouva pas la moindre pièce.

— Désolée, Lilit, je n’ai pas d’argent américain.

— Oh, vous avez tout de même risqué votre vie pour la révolution, dit la jeune femme en sortant un billet froissé d’une poche dissimulée. Je suppose que la République ottomane peut vous payer un ticket de cinéma.

 

100000000000005B000000150A2566F3.jpg

 

Le cinéma ressemblait beaucoup à un théâtre, avec ses centaines de sièges disposés en rangs devant une grande avant-scène voûtée. Sauf que la scène proprement dite était occupée par un écran d’un blanc argenté. On était en fin d’après-midi, et seules quelques personnes étaient présentes. Alors que Deryn et Lilit s’installaient dans le fond de la salle, l’éclairage des lampes à gaz s’estompa.

— Pourquoi toutes ces précautions ? demanda Deryn. Auriez-vous peur de vous fâcher avec les Allemands ?

— Le peuple ottoman profite depuis longtemps de la générosité du kaiser. Nous avons encore besoin de ses ingénieurs pour faire fonctionner nos machines.

— Ah oui, bien sûr.

L’Istanbul qu’avait connue Deryn était noyée dans les conduits de vapeur et autres équipements mécaniques.

— Les Allemands ont désespérément besoin d’alliés, continua Lilit. L’Autriche-Hongrie est en train de s’effondrer. Voilà quelques semaines, ils ont repoussé une offensive russe, mais les ours de guerre se sont simplement dispersés dans les bois. Et ils ont faim.

Deryn s’éclaircit la gorge en se rappelant les ours affamés en Sibérie. Dans une région habitée, ces créatures auraient pu occasionner des ravages effroyables.

Comme dans les contes de fées, où la forêt regorgeait de monstres.

Lilit haussa les épaules.

— Alors, officiellement, nous envisageons de nous ranger au côté des clankers. Jusqu’à présent cela nous réussit plutôt bien.

Un cliquetis mécanique résonna soudain dans leur dos. Deryn se retourna. Derrière le public, une grande machine dotée d’un œil unique s’animait bruyamment. Un pinceau lumineux en sortit et éclaira l’écran.

L’image parut d’abord sombre et floue, comme Alek l’avait dit. Mais, très vite, les yeux de Deryn s’habituèrent. Elle vit apparaître un auditorium enfumé où deux boxeurs d’une pâleur fantomatique s’affrontaient sur un ring sous les encouragements d’une foule silencieuse.

Lilit s’enfonça dans son siège, les yeux brillants.

— Ce n’est pas seulement la faiblesse de l’Autriche qui inquiète les Allemands. Ils sont convaincus que Goliath peut fonctionner.

— C’est vrai. Vous auriez dû voir les dégâts qu’il a causés en Sibérie. Plus un seul arbre debout sur des miles et des miles.

— J’ai vu. Tout le monde l’a vu, dit Lilit avec un geste vers l’écran. M. Tesla filmait, en Sibérie, vous savez ? Les premières images sont sorties voilà deux semaines. Nous en verrons peut-être aujourd’hui.

— Oui, il a bien failli nous envoyer dans le décor en embarquant ses caméras et tout son matériel scientifique ! s’écria Deryn.

Cela s’expliquait mieux maintenant. Comme Alek ne cessait de le répéter, la raison d’être d’une arme telle que Goliath était de semer une peur assez grande pour qu’on n’ait jamais à s’en servir.

Lilit suivait le match de boxe à présent, remuant les épaules comme si elle accompagnait chaque coup. Mais elle continuait à parler.

— La semaine dernière, notre ambassadeur a dit à ses amis allemands : « Comment voulez-vous que nous nous déclarions pour vous, maintenant ? Nous ne tenons pas à voir Istanbul disparaître dans une boule de feu ! » Ils lui ont dit de ne pas s’inquiéter. Qu’ils avaient des plans pour M. Tesla.

— Oui, cet attentat à la fusée.

— Ce n’était qu’un avertissement.

Lilit promena son regard sur le public. Deux lycéennes étaient assises quelques rangées plus loin, mais on ne voyait personne d’autre à portée de voix.

— Et si Tesla n’en tient pas compte, reprit-elle, ils ont l’intention de détruire Goliath. Au prix d’une invasion, s’il le faut.

— Une invasion ! Ici même ? Cela ne risque-t-il pas d’entraîner les Américains dans la guerre ?

— Mieux vaut un ennemi de l’autre côté de l’océan que voir ses villes entièrement rasées. (La voix de Lilit se réduisit à un murmure.) Ils ont envoyé un Wasserwanderer. C’est tout ce que nous savons.

— Un mécanopode aquatique ?

— L’ambassadeur pense qu’il s’agit d’une sorte d’U-boat, mais amphibie.

Deryn n’avait encore jamais entendu le mot « amphibie » appliqué à une machine, mais il y avait une certaine logique là-dessous. Goliath se trouvait sur une île non loin de New York, à quelques pas de la mer, avait toujours dit M. Tesla.

L’inventeur estimait peut-être pouvoir se défendre contre les saboteurs, mais contre un mécanopode qui surgirait de l’eau ?

— Il attaquera une nuit sans crier gare, dit Lilit. Puis il replongera dans l’océan, ne laissant que des ruines et un mystère derrière lui. Les Américains ne connaîtront peut-être jamais le fin mot de l’histoire.

— Avez-vous averti M. Tesla ?

Lilit secoua la tête.

— Il s’empresserait de tout déballer aux journaux. Il n’a pas les moyens de s’offrir une armée privée, après tout. Et prévenir les Américains ne servirait à rien. Ils n’enverraient pas un bâtiment de guerre protéger une personne privée sur la foi de simples rumeurs. Surtout si cette personne se déclare en mesure de menacer des nations entières comme une sorte de demi-dieu !

Deryn acquiesça. Certains journaux se demandaient déjà ouvertement s’il fallait autoriser Tesla à détenir un tel pouvoir. En effet, si Goliath fonctionnait comme il le prétendait, il pouvait devenir le maître du monde en appuyant sur un bouton.

— En somme, vous avez besoin de notre aide, conclut Deryn.

— Vous vous aideriez vous-mêmes.

Lilit se détourna de l’écran. Le match de boxe avait pris fin, et, pendant qu’on rechargeait le projecteur, leurs deux voisines entamèrent une discussion à propos des garçons.

— Le Léviathan a la puissance de feu pour arrêter un mécanopode, continua Lilit. Par ailleurs, il est suffisamment discret pour se tenir en embuscade le temps que Tesla termine ses travaux. Et je me permets de vous rappeler, monsieur Sharp, que sa réussite est entièrement dans l’intérêt des Britanniques.

— Oui, c’est vrai.

— Pourriez-vous prévenir vos supérieurs sans dévoiler d’où vous tenez ce renseignement ?

Deryn hocha la tête. Il lui suffisait d’informer la savante. Maintenant que Tesla avait quitté le bord, rien ne s’opposerait plus à ce qu’elle reprenne le contrôle de l’aéronef.

— J’étais sûre de pouvoir compter sur vous. (Lilit sourit.) Vous êtes toujours amoureuse d’Alek, n’est-ce pas ?

Deryn s’éclaircit la voix. Derrière elle le projecteur se remit à crépiter et remplit le cinéma d’une lueur vacillante. Elle avait la bouche trop sèche pour parler.

— On dirait qu’il a mûri, observa Lilit. Maintenant qu’il a un but dans l’existence.

Deryn retrouva sa voix.

— Oui. Il s’est convaincu qu’il était destiné à mettre fin à la guerre. Que tout ça fait partie d’un plan.

— Ah. Il a donc oublié la règle la plus importante dans un conflit.

— À savoir ?

— Que rien ne se déroule jamais selon le plan. Mais il a fini par apprendre votre secret, n’est-ce pas ?

Deryn soupira. Elle avait oublié à quel point la perspicacité de Lilit pouvait être agaçante.

— Oui. Ça complique un peu les choses entre nous.

— Ça ne devrait pas. Maintenant, vous pouvez lui faire part de ce que vous voulez.

— Encore faudrait-il que je le sache moi-même, grommela Deryn.

Une part d’elle-même souhaitait par-dessus tout rester ici en Amérique avec Alek, ce qui signifierait tirer un trait sur sa carrière. Elle pouvait accepter l’offre de la savante et travailler pour la Zoological Society de Londres, ou même rester dans l’Air Service, mais elle courrait toujours le risque d’être démasquée et de tout perdre.

La situation était inextricable.

Elle esquiva le regard de Lilit et se concentra sur la bobine d’informations animées.

Et elle le vit devant elle : le Léviathan, en train de survoler des collines désertiques, images floues et incolores à l’écran mais parfaitement claires dans son souvenir. Le point de vue plongea brusquement et Deryn se rendit compte que la séquence était filmée depuis l’une des raies volantes du général Villa.

On vit ensuite l’aéronef d’en haut, filmé depuis le bord d’une falaise, alors qu’il s’enfonçait dans le canyon de Pancho Villa. Les hommes d’équipage et les créatures grouillaient comme des insectes sur le dos de la grande baleine ; les griffes en acier des faucons bombardiers scintillaient au soleil.

Soudain, une silhouette ailée apparut à l’image, celle d’un aviateur aux yeux écarquillés qui vint se poser devant la caméra. Deryn cligna des paupières, incrédule : c’était son propre visage qu’elle découvrait à l’écran.

L’image fut remplacée par un panneau indiquant : L’INTRÉPIDE AVIATEUR TESTE SES AILES !

— Il teste ses ailes ? s’indigna-t-elle à haute voix.

Comme si elle avait voulu se promener dans les airs, et non empêcher un désastre imminent ! Alors que le panneau disparaissait, elle entendit les gloussements des deux jeunes filles un peu plus loin. Elles montraient l’écran du doigt.

— On dirait qu’elles vous trouvent beaucoup de charme, observa Lilit. Et elles ont bien raison. Quand devez-vous partir ?

— Nos vingt-quatre heures se terminent ce soir.

— Dommage. Alek va rester ici, je suppose ?

— Oui. Il travaille pour Tesla, maintenant.

— Oh, pauvre Dylan.

L’image à l’écran s’intéressait désormais à Alek, debout face aux taureaux de guerre de Pancho Villa.

— Sauf que Dylan n’est pas votre vrai nom, n’est-ce pas ?

Deryn secoua la tête mais ne dit rien. Lilit semblait avoir presque tout compris à son sujet ; elle pouvait aussi bien deviner le reste.

— Avez-vous l’intention de rester un homme éternellement ?

— Je ne crois pas que ce soit possible. Trop de gens sont déjà au courant. (Deryn jeta un coup d’œil aux deux lycéennes, qui n’étaient pas accompagnées et ne semblaient pas s’en cacher.) Mais ce ne sera peut-être pas nécessaire. Les femmes peuvent monter en ballon, dans ce pays, et piloter des mécanopodes. Le Dr Barlow pense que les femmes obtiendront le droit de vote en Grande-Bretagne, quand la guerre sera finie.

— Peuh. Le comité nous avait promis la même chose avant la rébellion. Et à présent qu’il est au pouvoir, on dirait qu’il n’y a pas urgence. Quand j’ai ouvert la bouche pour protester, on m’a envoyée à cinq mille miles.

— Pour moi, je suis bien contente que vous soyez là, dit Deryn à voix basse.

Elle n’avait encore jamais pu parler d’Alek, à qui que ce soit. C’était l’inconvénient de mener une vie secrète. Elle avait dû garder en elle tous ces sentiments indignes d’un soldat qu’elle nourrissait à son égard, à l’exception de ce bref instant sur le dos de l’aéronef.

— Je l’ai embrassé, une fois, murmura-t-elle.

— Bravo ! Comment a-t-il réagi ?

— Heu… (Deryn soupira.) Il s’est réveillé.

— Réveillé ? Vous seriez-vous introduit clandestinement dans sa cabine, monsieur Sharp ?

— Non ! Il était tombé et s’était cogné la tête. C’était une urgence médicale !

Lilit ricana doucement et Deryn se tourna vers l’écran d’un air maussade. Peut-être ferait-elle mieux de confesser publiquement qui elle était. Ainsi, elle n’aurait plus à s’empêtrer dans ses mensonges.

Mais la raison qui l’en empêchait s’affichait devant elle, dans la pénombre vacillante. L’air, c’était l’air, et chaque minute passée à bord du Léviathan valait une vie entière de mensonges.

— Êtes-vous amoureuse ?

Deryn indiqua l’écran.

— Il me fait me sentir comme ça. Comme quand je vole.

— Alors, il faut le lui faire savoir.

— Puisque je vous dis que je l’ai embrassé !

— Cela n’a rien à voir. Je vous ai bien embrassée, moi. Ce n’était pas de l’amour, monsieur Sharp.

— Ah oui, et qu’était-ce exactement ?

— De la curiosité. (Lilit sourit.) Et comme je vous l’ai dit, vous êtes un jeune homme bourré de charme.

— Je suis à peu près certaine qu’Alek ne veut pas d’un jeune homme bourré de charme !

— Vous ne pouvez pas en être sûre tant que vous n’avez pas demandé.

Deryn secoua la tête.

— On vous a élevée pour jeter des bombes. Pas moi.

— Vous a-t-on élevée pour porter le pantalon et mener la vie d’un soldat ?

— Peut-être pas. Mais tout ça n’est rien en comparaison de ce que vous me suggérez ! (L’une des lycéennes se retourna vers elles et Deryn baissa la voix.) De toute manière, peu importe ce qu’il veut. C’est l’héritier du trône d’Autriche, alors que je ne suis qu’une roturière.

— Ce trône n’existera peut-être plus à la fin de la guerre.

— Eh bien, quel optimisme !

— C’est la guerre, rétorqua Lilit, avant de sortir une montre de sa poche et de la regarder à la lueur vacillante de l’écran. Nous devrions retourner au consulat.

En suivant Lilit entre les travées, Deryn jeta un dernier coup d’œil à l’écran. Le Léviathan, moteurs réparés, s’envolait au-dessus du désert.

Elle se fit la promesse de clarifier les choses la prochaine fois qu’elle se trouverait seule avec Alek. Après tout, elle lui avait juré solennellement de ne plus avoir le moindre secret pour lui.

Bien sûr, elle devrait sans doute patienter jusqu’à la fin de la guerre, des années, qui sait ? et le monde serait peut-être très différent.

Goliath
cover.xhtml
PL0.xhtml
PL1.xhtml
PL2.xhtml
PL3.xhtml
PL4.xhtml
PL5.xhtml
PL6.xhtml
PL7.xhtml
PL8.xhtml
PL9.xhtml
PL10.xhtml
PL11.xhtml
PL12.xhtml
PL13.xhtml
PL14.xhtml
PL15.xhtml
PL16.xhtml
PL17.xhtml
PL18.xhtml
PL19.xhtml
PL20.xhtml
PL21.xhtml
PL22.xhtml
PL23.xhtml
PL24.xhtml
PL25.xhtml
PL26.xhtml
PL27.xhtml
PL28.xhtml
PL29.xhtml
PL30.xhtml
PL31.xhtml
PL32.xhtml
PL33.xhtml
PL34.xhtml
PL35.xhtml
PL36.xhtml
PL37.xhtml
PL38.xhtml
PL39.xhtml
PL40.xhtml
PL41.xhtml
PL42.xhtml
PL43.xhtml
PL44.xhtml
PL45.xhtml
PL46.xhtml
PL47.xhtml
PL48.xhtml
PL49.xhtml
PL50.xhtml
PL51.xhtml
PL52.xhtml
PL53.xhtml
PL54.xhtml
PL55.xhtml
PL56.xhtml
PL57.xhtml
PL58.xhtml
PL59.xhtml
PL60.xhtml
PL61.xhtml
PL62.xhtml
PL63.xhtml
PL64.xhtml
PL65.xhtml
PL66.xhtml
PL67.xhtml
PL68.xhtml
PL69.xhtml
PL70.xhtml
PL71.xhtml
PL72.xhtml
PL73.xhtml
PL74.xhtml
PL75.xhtml
PL76.xhtml
PL77.xhtml
PL78.xhtml
PL79.xhtml
PL80.xhtml
PL81.xhtml
PL82.xhtml
PL83.xhtml
PL84.xhtml
PL85.xhtml
PL86.xhtml
PL87.xhtml
PL88.xhtml
PL89.xhtml
PL90.xhtml
PL91.xhtml
PL92.xhtml
PL93.xhtml
PL94.xhtml
PL95.xhtml
PL96.xhtml
PL97.xhtml
PL98.xhtml
PL99.xhtml
PL100.xhtml
PL101.xhtml
PL102.xhtml
PL103.xhtml
PL104.xhtml
PL105.xhtml
PL106.xhtml
PL107.xhtml
PL108.xhtml
PL109.xhtml
PL110.xhtml
PL111.xhtml
PL112.xhtml
PL113.xhtml
PL114.xhtml
PL115.xhtml
PL116.xhtml
PL117.xhtml
PL118.xhtml
PL119.xhtml
PL120.xhtml
PL121.xhtml
PL122.xhtml
PL123.xhtml
PL124.xhtml
PL125.xhtml
PL126.xhtml
PL127.xhtml
PL128.xhtml
PL129.xhtml
PL130.xhtml
PL131.xhtml
PL132.xhtml
PL133.xhtml
PL134.xhtml
PL135.xhtml
PL136.xhtml
PL137.xhtml
PL138.xhtml