3.6.02.01.025 : Tout comportement licencieux entre deux partenaires non mariés est strictement interdit. Amende : 500 mérites.
Je me réveillai en sursaut au milieu de draps emmêlés. Toute la nuit, je n’avais cessé d’être tiré du sommeil par le moindre bruit que mon cerveau embrumé interprétait comme une menace. Un faible rayon de soleil sur le mur en face de moi commençait à éclairer la pièce. Je jetai un coup d’œil à mon réveil – il était cinq heures du matin. Je roulai au bas du lit, retirai la chaise qui bloquait la porte et me rendis dans la salle de bains sur la pointe des pieds.
Je fis pipi et retournai dans ma chambre. Là, je faillis pousser un cri. Dehors, derrière la fenêtre, se tenait Violette deMauve en personne. Quand elle me vit sursauter, elle posa un doigt sur ses lèvres et m’indiqua de soulever le panneau, ce que je fis en me rendant compte qu’avec toutes mes ingénieuses précautions, j’avais bêtement oublié que ma fenêtre était facilement accessible à partir de la véranda.
— Qu’est-ce que tu fais là ? chuchotai-je.
Elle se contenta d’enjamber le rebord sans rien dire, puis elle fit un signe à son complice invisible en contrebas qui retira l’échelle. Elle referma ensuite la fenêtre, sauta sans bruit sur le tapis et commença à se déshabiller en m’adressant un petit sourire. Je dois avouer que sa façon de procéder était assez aguichante. Après tout, Violette n’était pas le genre de fille à s’en remettre au hasard, et elle s’était sans nul doute déjà beaucoup entraînée.
— Tu n’avais pas le droit d’annuler ma demi-promesse envers Constance.
— C’est Maman qui a dû le faire, répondit-elle. Ah, tu n’imagines pas comme elle peut être coquine. Mais quand elle sait que sa fille veut quelque chose, rien ne peut l’arrêter.
— Ce n’est pas juste une question d’être coquine… C’est impardonnable, et très impoli.
— Allons, Edward. Hier soir, tu m’as fait faux bond, et ça, c’était très impoli. Si je n’étais pas aussi terriblement amoureuse de toi, je pourrais m’en offusquer.
— Écoute…
— Je ne t’en veux pas, mon sucre. Le chemin du mariage peut être parsemé de cailloux, et je suis prête à te pardonner, de même que tu pardonneras certainement à ma mère d’avoir dit à cette traînée de Sang de Bœuf qu’elle pouvait aller se marier ailleurs.
— Je n’ai pas l’intention de t’épouser, Violette.
— Ne sois pas bête, mon chéri. Ça te permet de grimper de cinq teintes et de devenir le Prévôt Rouge. Moi, je finirai par être Prévôte en Chef et notre progéniture forte en Pourpre pourra présider les résidents de Carmin-Est pour l’éternité. Qui plus est, toi, moi et ton père, nous allons nous garnir confortablement les poches. Et Papa a de la confiture. C’est une situation gagnant-gagnant-gagnant-gagnant-gagnant.
— Mais alors, qu’est-ce que tu fais ici puisque tout est déjà décidé ?
— Papa a fait une offre conditionnelle en fonction de ton niveau de couleur, mais moi, je voulais m’assurer que tu es bien l’homme de ma vie. Qu’est-ce que tu en penses ?
Elle était maintenant toute nue. Apparemment, Violette m’accordait une Présentation Privée. Bien entendu, j’avais vu beaucoup de filles nues, et beaucoup m’avaient vu nu aussi – quand on nageait, dans les vestiaires ou les douches communales. Si le match de hockeyball n’avait pas dégénéré en bataille rangée, nous nous serions certainement vus dans le vestiaire là-bas. Mais montrer son corps à un partenaire potentiel dans le cadre d’une cour prémaritale était tout autre chose. Violette n’exhibait pas seulement son corps, mais aussi son désir que je le voie. Et pour ma part, j’étais censé le regarder d’une façon qui exprimerait mon appréciation du geste.
Je m’efforçai de ne pas la regarder, mais j’ai honte à l’avouer… c’était difficile. Son code postal avait été habilement scarifié dans une police de caractères alléchante qui semblait juste au-delà des limites autorisées, et le reste était pratiquement parfait. C’était une situation délicate, et si je n’avais pas pensé à ce moment-là à quel point j’aurais aimé que ce fût Jane, Violette aurait sans doute fait un constat d’échec et serait passée au candidat suivant. Mais là, elle m’adressa un sourire radieux et deux secondes après, elle s’était déjà glissée sous les draps.
— Violette ! Mais qu’est-ce que tu fais ?
— Je veux juste être sûre. Tu ne voudrais quand même pas qu’on se marie pour réaliser aussitôt après que c’était une tragique erreur ?
— Les Règles…
— C’est mon père qui les applique, ma douceur.
— Bon, alors, qu’est-ce que ta mère dirait ? demandai-je dans un effort pathétique pour lui faire honte.
— C’est elle qui en a eu l’idée.
Je jetai un coup d’œil inquiet par la fenêtre.
— Elle n’est pas en train de nous regarder, j’espère ?
— Mais non, mon sucre. Elle a dit qu’on devait s’assurer que tout fonctionne bien – uniquement à des fins dynastiques, bien entendu, pas pour le plaisir physique.
— Non, bien sûr, fis-je d’un ton sarcastique, loin de nous cette idée.
— Tais-toi un peu, Eddie, et fais ce que je te dis. Ce n’est ni le lieu ni le moment pour notre première dispute, tu ne crois pas ?
— Écoute…
— Pas un mot, j’ai dit.
Apparemment, je passai l’examen avec succès. Ou du moins, comme le dit Violette : « Nous pourrons travailler ta technique. » Toujours est-il que moins de dix minutes après, et avec le minimum de paroles – essentiellement des ordres de Violette –, nous avions commis ensemble une infraction potentielle de cinq cents démérites. Pour moi, c’était la première fois. Violette se rhabilla rapidement et m’embrassa sur le front, puis elle me dit qu’elle informerait ses parents que tout allait pour le mieux. Elle ouvrit la fenêtre sans faire de bruit et se glissa sur le toit de la véranda d’où elle sauta avec une agilité surprenante. L’esprit un peu tourbillonnant, je me contentai de contempler le plafond sans bouger. Sur le moment, la chose avait été agréable, mais je ne pouvais me défaire du profond sentiment d’avoir trahi. Non pas le code moral strict du Collectif, mais Jane.