Chapitre 5
Lyon. Centre opérationnel. DCRI. Mercredi, 17 h 45.
L’équipe envoyée sur les lieux s’attelait à relever les informations, les témoignages, et transmettait immédiatement les éléments par radio. L’autre tâche qui lui incombait, et pas la plus simple, consistait à maîtriser les journalistes et les curieux. Fallière gisait toujours au milieu de la scène de crime, entouré à la hâte d’une rubalise jaune marquée « POLICE ACCÈS INTERDIT ». Une deuxième zone de sécurité venait d’être mise en place pour englober la terrasse du café et s’étendait jusqu’à l’accès du parking souterrain. Penché sur le corps, le médecin légiste procédait aux premières constatations. Tout autour, plusieurs véhicules de police et une ambulance bloquaient la circulation. Les badauds s’étaient rassemblés en nombre et les policiers peinaient à les empêcher d’approcher. Les agents de la DCRI étaient arrivés les premiers sur les lieux, juste une petite minute trop tard. Les premiers témoignages, souvent confus, leur indiquèrent néanmoins que le motard avait pris la fuite en descendant dans le parking souterrain de la place Bellecour. Ils parlaient également d’une femme, partie en courant quelques secondes après le drame en emportant quelque chose qu’elle avait pris sur la victime au moment précis où les voitures de police arrivaient. Les policiers avaient fini par boucler les entrées et sorties du parking, mais trop tard, toujours une minute trop tard.
Pierre-Étienne Giraud, responsable de l’opération, et de cette antenne de la DCRI, était entré dans une colère noire.
– Mais putain ! bougez-vous, trouvez-moi le nom de son contact, on doit bien avoir sa tête sur une caméra. Vous n’allez quand même pas me dire qu’il s’est évaporé sous vos yeux.
Philippe Darlan était stupéfait. Pour la deuxième fois en deux semaines, le témoin que son service surveillait venait d’être assassiné. Il ne comprenait pas davantage le comportement de Giraud, qui semblait plus préoccupé par l’identification de cette femme que par l’idée de retrouver l’assassin de Fallière. Darlan ne portait pas dans son cœur ce nouveau chef, directement mis en place par le Conseil National du Renseignement après l’attentat du TGV. Présenté comme l’homme de la situation, Giraud, homme strict et d’apparence glaciale, à la réputation d’arriviste, ne s’embarrassait guère de politesse et régnait en dictateur sur la sous-direction de Lyon. Grand et sec, la cinquantaine, les cheveux blancs coupés en brosse, toujours impeccablement habillé et cravaté, il ne manifestait aucun respect pour ses subordonnés et se complaisait à maintenir dans l’équipe un grand niveau de stress. Expliquant rarement ses ordres, il donnait parfois l’impression que l’équipe qu’il dirigeait avait pour seule mission de travailler pour lui et cela même au détriment de l’enquête en cours ; du moins, c’était le sentiment de Darlan qui le détestait. Giraud lui rendait bien cette mésentente. Peut-être était-ce dû à la couleur de peau que Darlan tenait de sa mère capverdienne. Bien que son nom sonne français, il avait souvent eu depuis son enfance des réflexions sur le décalage évident entre son patronyme et la couleur de sa peau. Son chef avait eu dix jours plus tôt l’indélicatesse de lui signifier qu’avec son « allure » il aurait mieux fait d’aller planquer sur le terrain, ajoutant qu’il n’aurait aucun mal à se fondre parmi les terroristes.
Hormis son teint assez sombre, le reste de ses traits n’avait rien d’africain. La trentaine déjà bien entamée, très brun, il portait cheveux, barbe et moustache taillées très court. Considérant son passé de délinquant et son look, ses collègues le surnommaient régulièrement « Gomez » en référence au personnage du film de Gilles Paquet-Brenner. Seules les petites lunettes rectangulaires qu’il portait pour travailler lui donnaient une allure moins « bad boy ».
Philippe Darlan se moquait bien des avis ou commentaires des uns et des autres, et de Giraud tout spécialement. Tant qu’il pouvait utiliser les « jouets » mis à sa disposition, rien ne pouvait vraiment l’atteindre. La débauche de moyens présents dans le centre suffisait amplement à alimenter son hobby. Passionné de technologie, ingénieur de formation, ancien hacker, Darlan figurait parmi les analystes les plus performants du moment au sein de la DCRI, sans doute le meilleur. Capable de s’introduire dans n’importe quel système, il n’avait également pas son pareil pour recouper des informations par une savante utilisation des mots clés sur des moteurs de recherches publics ou privés. Même le commissaire Giraud l’avait compris. Il lui laissait une relative autonomie, au moins tant qu’il parvenait à lui fournir les informations demandées.
Il repassa au ralenti les images prises par les caméras. Il ne parvenait pas à identifier le contact de Fallière. Dès que le motard avait tiré les coups de feu, un mouvement de panique s’était emparé des gens attablés en terrasse et des passants. Plusieurs personnes s’étaient approchées de la victime après le départ de la moto, dont trois femmes. Les images, prises d’assez loin, ne permettaient pas d’identifier les visages.
Il décida de revenir sur la séquence enregistrée par les caméras qui couvraient la zone. Il se connecta sur le serveur dédié et téléchargea les trente dernières minutes de vidéo en moins d’une minute. Son idée reposait sur le fait que cette femme, dont ils avaient maintenant une description assez précise grâce aux divers témoignages, devait être sur place, dans ce café, bien avant l’arrivée de Fallière. Tous s’accordaient à dire qu’elle était son contact, peut-être l’avait-elle volontairement attiré dans une embuscade. Fallière s’était montré réellement très prudent, assez pour déjouer les services. Un assassinat aussi bien mené, dans un lieu public, ne pouvait qu’avoir été organisé minutieusement.
Darlan fit défiler les images à l’envers, suivant les déplacements de toutes les femmes visibles sur la bande. C’est ainsi qu’il finit par identifier un visage familier, l’espace d’un instant, entre deux arbres, alors qu’elle se dirigeait vers le café. Il connaissait cette femme, mais ne parvenait pas à se souvenir de l’endroit où il l’avait vue.
Pris d’une intuition, il décida de la suivre. Il repassa la bande, mais à l’endroit cette fois, analysant ses déplacements à vitesse normale puis en accéléré de temps en temps. Il la vit s’installer sur la terrasse, commander un café, lire son journal, le reposer, passer un coup de téléphone, reculer sa chaise pour se remettre à l’ombre, recommander un autre café... Rien dans les images qu’il regardait ne permettait d’imaginer le drame qui allait se produire. Il regarda à nouveau la scène où le tueur à moto apparaissait de la rue adjacente en ne s’intéressant qu’à la femme. Il fit défiler les images au ralenti, le compteur de temps en bas à droite égrenait les secondes lentement, tandis que l’action semblait se dérouler à vitesse normale, tant les mouvements étaient précipités. Presque tous les clients avaient réagi rapidement, dans la panique, renversant tables et chaises. Sur les images, la femme ne bougeait pas, elle semblait impassible, encore que la mauvaise qualité des images ne permettait pas de distinguer son visage, peut-être était-elle juste tétanisée par la panique. À T + 15 secondes après le départ du tueur, Darlan vit la suspecte se lever, prendre son sac à main et s’approcher rapidement du corps auprès duquel elle resta quelques secondes seulement, puis s’éloigner en courant vers la même rampe du parking que le motard avait utilisée. « Comme le tueur à moto » se dit-il. Elle avait laissé son journal sur la table, la tasse de café aussi, elle ne portait pas de gants. Si l’équipe dépêchée sur place n’était pas trop nulle, on aurait ses empreintes.
Quelqu’un se pencha sur son épaule :
– Tu as quelque chose ? demanda le commandant Patrick Brune.
– Oui, j’ai repéré la fille. Elle l’attendait sur la terrasse du café. Elle est effectivement descendue dans le parking par l’entrée du côté du café Bellecour, comme le tueur à moto. C’est beaucoup pour une coïncidence. Elle a laissé ses empreintes sur une tasse et sur un journal. Si j’en crois les images de la caméra, ils sont toujours en place. Je contacte l’équipe pour qu’ils nous récupèrent ça.
– Bien joué, Philippe, comme toujours. Il nous faut son identité au plus vite.
– J’espère qu’elle est déjà dans nos fichiers. Sinon ça va être beaucoup plus compliqué.
– On a plus des deux tiers de la population dans nos bases aujourd’hui. Il suffit qu’elle ait fait refaire son passeport ou sa carte d’identité pour que nous ayons ses empreintes. Encore quelques années et plus personne ne pourra nous échapper.
Le commandant Brune, second après le commissaire dans le centre, suscitait autant la sympathie que son chef l’antipathie. Dans la mesure du possible, il s’efforçait de tempérer les ardeurs de Giraud. Assumant son rôle de second, il parvenait à atténuer les rancœurs de ses collègues, par un trait d’humour, par une blague. La quarantaine passée, grand, les épaules très carrées, le visage allongé, le crâne rasé, il ressemblait toujours au militaire qu’il avait été pendant dix ans, dans les forces spéciales, avant d’intégrer la police. À l’image de son chef, il portait costume et cravate lorsqu’il restait au centre. Néanmoins, il prenait souvent la tête des opérations de terrain, chaque fois que l’importance de la mission nécessitait sa présence. Il était parvenu, au sein de la police, à concilier son expérience de terrain avec la rigueur méticuleuse liée aux enquêtes policières.
Darlan considérait son chef davantage comme un ami que comme un collègue. C’était d’ailleurs le seul du centre qu’il fréquentait de temps en temps en dehors du travail. Son amitié avec Brune datait du jour où celui-ci était parvenu à lui faire intégrer la police et la DCRI malgré son passé judiciaire. Il passait beaucoup de temps avec lui pour lui expliquer le fonctionnement des outils informatiques. Depuis que Darlan lui prodiguait ses bons conseils, Brune pouvait effectuer lui-même beaucoup d’opérations et de requêtes depuis son propre bureau, ce qui soulageait les équipes. Il devait reconnaître que le commandant était plutôt doué, pour quelqu’un qui n’avait a priori que de maigres connaissances en informatique.
Darlan contacta le chef de l’équipe place Bellecour. Il le renseigna sur ce qu’il venait de découvrir, et notamment à quel endroit l’équipe pourrait récupérer les empreintes de la fille. Toujours en quête de renseignements, il s’attela ensuite à découvrir comment le tueur et la fille s’étaient échappés du parking. Il chercha sur la base de données qui recensait toutes les caméras de la ville et se connecta au serveur du parking souterrain de la place Bellecour. Le réseau de surveillance étant privé, il n’était pas censé avoir accès aux images, mais la puissance de ses outils informatiques lui permit d’ouvrir l’accès à la base en quelques secondes.
Dix caméras couvraient l’essentiel de l’espace : les images allaient parler : « Trop facile », se dit-il en pianotant sur le clavier. Il afficha en mosaïque les images du dernier quart d’heure enregistré par les caméras.
Il disposa les vignettes sur son écran panoramique. En appuyant sur une touche de son clavier, il fit défiler les séquences de toutes les caméras simultanément, image par image. Le groupe date-heure de la prise de vue était indiqué en bas à gauche cette fois. Il accéléra le film tout en surveillant en priorité les entrées et sorties du parking.
Il en était à moins neuf minutes par rapport au temps présent lorsque toutes les images subirent une coupure très brève. Surpris, Darlan constata que le compteur de temps était revenu à moins quatre minutes. En repassant la séquence à l’envers, il dut se rendre à l’évidence : il manquait les cinq minutes où le tueur à moto et la femme, contact de Fallière, étaient entrés et ressortis du parking !
Darlan appela son chef :
– Monsieur, le tueur et le contact sont entrés dans le parking de Bellecour, mais il n’y a rien sur les vidéos, quelqu’un s’est montré plus rapide que nous. Et ce n’est pas du travail d’amateur.
– Montrez-moi ça !
Darlan s’exécuta. Giraud appuya sur le contacteur micro qu’il portait à l’oreille et s’adressa à l’équipe d’intervention :
– Renvoyez deux gars dans le parking, et ne relâchez pas la surveillance des entrées sorties, ils sont peut-être encore dedans.
– On a déjà fait un tour rapide juste à notre arrivée. On n’a rien vu de particulier. Toutes les issues sont bouclées. Ça m’étonnerait qu’ils soient encore dedans. Et puis, on a tous les témoignages à recueillir.
– Faites-moi un tour complet, c’est clair ?
– Bien, monsieur.
Sur l’écran géant au mur, on vit deux policiers équipés d’une tenue de combat renforcée, avec casque muni de heaume pare-balles, descendre l’arme au poing la rampe d’accès au parking faisant face au café Bellecour.
Darlan se reconnecta sur le temps réel des caméras du parking et, aussitôt, une image l’alerta. Une épaisse fumée était visible sur plusieurs caméras. Elle semblait progresser rapidement. Darlan n’hésita pas et communiqua l’information à l’équipe sur le terrain :
– Faites évacuer, on a un incendie là-dessous.
– Nous confirmons, épaisse fumée.
– Mettez les masques et évacuez, ordonna Giraud. Nous contactons les pompiers et les démineurs.
***
Quelques heures plus tard, après une intervention difficile des pompiers, la moto, le casque et ce qui restait des vêtements du motard étaient retrouvés brûlés au dernier sous-sol, mais pas de trace de l’arme. Plusieurs voitures étaient également calcinées.
Dans la salle de contrôle du centre opérationnel, tous les analystes planchaient sur les informations disponibles pour tenter d’identifier le motard et la femme, contact de Fallière. Les témoins interrogés, le corps de Fallière emmené à l’hôpital pour l’autopsie, l’ensemble de la scène photographié, mesuré, analysé, produisant des masses d’informations qu’il allait maintenant falloir disséquer, analyser, recouper, pour, peut-être, trouver un indice.
Philippe Darlan se concentrait sur la recherche de l’identité de la femme. Les empreintes digitales n’avaient rien livré, elle n’était pas (pas encore) dans le F.A.E.D, Fichier Automatisé des Empreintes Digitales. Darlan se félicitait de l’existence de ce fichier qui lui facilitait la tâche pour identifier des criminels et des terroristes, chaque fois qu’une empreinte était disponible. Il demeurait toutefois conscient du caractère illégal d’une partie du fichier, qui n’était pas supposé contenir l’ensemble des données recueillies par tous les services publics.
Persuadé de l’avoir déjà rencontrée, ou d’avoir vu sa photo quelque part récemment, il isola et enregistra l’image la plus nette de la femme. Passant sur une autre console, il lança un logiciel spécialisé qui recherchait automatiquement des points de concordance entre la photo extraite du film et celles des bases de données provenant de l’administration : photos d’identité issues des fichiers de cartes d’identité, de passeports. Le système était même connecté dans le plus grand secret aux serveurs français abritant les données des sites de réseaux sociaux, notamment Facebook. Utilisant une méthode basée sur des points de convergence, un peu comme pour les empreintes digitales, le logiciel donnait à l’utilisateur la possibilité de limiter le champ des recherches notamment par des critères d’âge, de groupe ethnique et de localisation géographique. En fonction de la qualité de la photo à analyser, il était également possible de régler le niveau de convergence. Le système proposait alors une sélection de candidats possibles.
Darlan commença à faire défiler la centaine de fiches que le logiciel avait déjà sélectionnées en quelques minutes.
Il s’arrêta rapidement sur une photo. Ces traits, cette coupe de cheveux, cette silhouette fine et élancée : c’était elle. Il parcourut la fiche : Alexandra Decaze. Profession : journaliste. Il sut où il l’avait rencontrée.
***
Deux mois plus tôt, et pour remplir son quota de missions de terrain, il avait été désigné pour assister à un débat public organisé par un parti anticapitaliste, dans le cadre des présidentielles. L’orateur tentait de convaincre l’auditoire que tous les gouvernants des grands pays étaient dirigés par le système financier mondial qui utilisait le pouvoir politique pour soumettre les peuples à la dictature du marché et des banques. Il semblait convaincu qu’une poignée de nantis, quelques milliers tout au plus sur la planète, n’avait de cesse qu’ils ne s’enrichissent toujours plus, tout en méprisant profondément les gens ordinaires, juste bons à consommer pour générer des profits.
Il avait repéré Alexandra Decaze, apparemment la seule journaliste présente. Lui-même y prenait des notes pour son rapport de mission, enfin ce que tous dans le service présentaient plutôt comme une punition. Ces activités de terrain, des missions simples de renseignement, avaient été jugées indispensables par la direction pour que tous les agents aient un minimum de contact avec le monde extérieur. Les analystes, passant le plus clair de leur temps devant des écrans, étaient considérés comme prioritaires pour ces missions. Darlan avait réussi à passer son tour pendant presque un an, jusqu’à ce que Giraud ne lui en laisse plus le choix.
Pendant deux heures, il avait subi le discours enflammé du dirigeant de l’association. Ses propos frisaient la caricature, mais le public, acquis à sa cause, l’applaudissait régulièrement avec enthousiasme. Selon lui, les deux guerres mondiales et la plupart des conflits récents avaient été organisés dans un but purement financier. Le dernier exemple en date étant l’invasion de l’Irak par les États-Unis d’Amérique. Le rôle de Darlan sur cette mission consistait à prendre discrètement des photos des leaders ainsi que des plans plus généraux des sympathisants, et à rédiger un compte-rendu mettant en avant les risques potentiels sur la sécurité publique. Il s’y était particulièrement ennuyé et c’est ainsi qu’il avait repéré la journaliste, la seule à part lui-même à prendre des notes, et à ne pas applaudir.
Il l’avait trouvée assez jolie bien qu’ayant le teint un peu trop pâle à son goût. Une observation plus attentive l’avait amené à conclure qu’elle n’était également pas assez souriante, sans doute un peu hautaine même. Il ne la connaissait pas, mais l’avait classée immédiatement dans la catégorie des femmes inapprochables par un flic au teint basané.
***
Dans la salle de contrôle, Giraud exerçait son activité favorite : mettre la pression sur l’équipe. Il passait d’un poste à l’autre, perturbant le travail de ses subordonnés, avide de nouveaux renseignements et d’éléments qui lui permettraient d’identifier une piste et de prendre des décisions.
Il arriva derrière Darlan et examina les différents écrans sans rien dire. Le policier sentait sa présence derrière lui, ce qui l’exaspérait au plus haut point. Il conserva suffisamment de maîtrise pour ne pas laisser paraître son agacement et pour éviter de se retourner.
– Qui est cette femme ? demanda Giraud en désignant la fiche sur l’écran.
– Je pense que c’est elle qui était sur les lieux, le contact. Elle était à la terrasse du café, puis elle est descendue dans le parking moins de deux minutes après le motard. Je suis persuadé qu’elle attendait en terrasse au café lorsque Fallière est arrivé.
– Je croyais que les empreintes n’avaient rien donné ?
– J’ai utilisé la reconnaissance d’image et j’ai analysé le moindre de ses mouvements et je…
– Autre chose ? coupa le commissaire.
Darlan détestait ces moments où Giraud posait des questions sans écouter les réponses, comme si son personnel était incapable d’en tirer des conclusions. Il se retint pour ne pas souffler bruyamment en signe de désaccord.
– Je n’ai pas plus de détails. Les images du parking ont été effacées juste au moment qui nous intéresse. Il faut du gros matos pour parvenir à prendre le contrôle de la surveillance du parking. Ce n’est pas à la portée de tout le monde. Ici c’est facile… ou alors il y a un complice dans le service de sécurité qui gère le parking.
Mais Giraud ne l’écoutait pas, il parcourait la fiche d’Alexandra Decaze. Il s’exclama :
– C’est une journaliste ? Vous ne pouviez pas le dire plus tôt ? C’est forcément elle.
– Pourquoi forcément ?
Il réclama l’attention de tous :
– Nous recherchons Alexandra Decaze, journaliste au quotidien Jour de Lyon. Je veux tout savoir sur elle. On la met sur écoute tout de suite. Je veux ses mails, ses communications, ses SMS. Tracez son téléphone, localisez-la. Au journal aussi.
Alors que tout le monde s’affairait, Darlan se retourna :
– Monsieur, ne devrions-nous pas nous concentrer également sur le tueur ? C’est la deuxième fois de suite que notre témoin est tué. Je ne sais pas, mais il serait peut-être temps de s’en occuper ? Je pense également que nous devrions rechercher ceux qui ont réussi à effacer les séquences vidéo du parking. C’est une piste, ça, non ?
Ce genre d’attitude insolente n’avait jamais servi la carrière du policier, mais il n’en avait cure. Il n’avait aucune ambition de carrière et ne supportait pas d’obéir simplement sans réagir. Il ne supportait plus l’attitude du commissaire.
– Je ne vous demande pas de décider, ni de penser, ni de me dire ce que je dois faire, lieutenant, mais seulement d’exécuter mes ordres. Vous n’avez pas les éléments pour décider ce qu’il convient de faire. Vous êtes un pion, alors agissez comme tel sans discuter. Je suis assez clair ?
Darlan encaissa sans broncher. Il remarqua le petit sourire de son collègue Marc Pietri sur la console à côté.
Celui-ci appréciait à sa juste valeur le recadrage de son collègue par le patron. « Ça lui fait les pieds à ce petit prétentieux qui fait toujours mieux que tout le monde. »
Pietri et Darlan étaient de loin les deux analystes les plus compétents, mais Darlan avait toujours une longueur d’avance. Bien enveloppé, le physique ingrat, Pietri jalousait son collègue et passait le plus clair de son temps à travailler pour améliorer ses connaissances en hacking et dans les nouvelles technologies. Hélas pour lui, Pietri n’avait pas l’imagination de son collègue dès qu’il s’agissait de trouver des failles dans des programmes de sécurité ou de craquer des mots de passe : Darlan trouvait le premier la plupart du temps.