Chapitre 45
Batz-sur-Mer. Vendredi, 15 h.
Patrick Brune arpentait la cave en tous sens, tentant de déceler une cache derrière les rayonnages, ou auscultant les murs en frappant méthodiquement la pierre sous l’œil intrigué du chef d’équipe d’intervention.
Il se tourna vers les quatre hommes qui attendaient patiemment qu’il cesse de s’agiter, les uns assis dans l’escalier, les autres s’intéressant aux bonnes bouteilles de la cave, à grand renfort de commentaires sur leurs préférences. Le reste de l’équipe continuait minutieusement à fouiller la maison, ses dépendances et la propriété :
– Ça vous ennuierait vraiment de m’aider à chercher ? s’énerva-t-il. Vous avez exploré toute la maison pour conclure brillamment qu’ils s’étaient cachés dans la cave, vu que la porte était verrouillée de l’intérieur. Vous avez réussi à entrer ici en faisant exploser la serrure et maintenant vous vous contentez de constater que la cave est vide.
– Oui, vous avez raison, mon commandant. En fait, c’est certainement parce qu’elle est vide, cette cave, lança ironiquement le lieutenant, un solide gaillard au crâne rasé.
– Ils sont forcément quelque part ici. Il doit y avoir un passage secret. Ils ne peuvent pas s’être évaporés.
– Ben voyons, un passage secret… Je ne sais pas à quoi vous tournez à Lyon, mais ça craint, insista-t-il, furieux d’avoir à obéir à ce type envoyé par une autre sous-direction, à croire que lui et son équipe n’étaient pas de taille à assurer. C’est dans les films, les passages secrets. Là, on est dans une maison construite sur une falaise en granit. Comment voulez-vous qu’il puisse y avoir un passage secret ou je ne sais quoi ?
Brune approcha du fond de la cave et finit par s’arrêter devant l’armoire massive. Elle semblait avoir été dimensionnée pour se glisser entre le sol et le plafond qu’elle touchait presque, impossible d’y glisser ne serait-ce qu’un doigt. Par deux fois déjà il l’avait ouverte pour constater qu’elle contenait essentiellement des casiers de bouteilles vides. Il avait déjà ausculté le fond en frappant le bois sans détecter quoi que ce soit d’anormal. Il regarda attentivement sur un côté, cherchant vainement à voir derrière le meuble. Il essaya ensuite de pousser puis de tirer l’armoire en y mettant toute sa force, sans aucun résultat. Elle doit faire dans les cent cinquante kilos, se dit-il, je devrais normalement réussir à la faire bouger.
– Venez m’aider !
Deux hommes regardèrent le lieutenant qui leur fit signe d’obéir :
– Super, on va faire déménageurs, maintenant.
– Quitte à déménager quelque chose, moi, ce serait plutôt les bouteilles !
– Bon, on va aider le commandant puisqu’il n’arrive pas à pousser une petite armoire tout seul.
Brune se fit violence pour ne pas répliquer. Il ne concevait pas qu’une équipe d’intervention puisse se comporter de façon aussi désinvolte. En théorie, les sélections pour les forces d’intervention permettaient de recruter des gens intelligents, mais là, il se demanda si on ne lui avait pas sélectionné une belle brochette d’imbéciles. Les deux hommes se positionnèrent de part et d’autre du meuble et commencèrent à pousser, sans forcer, convaincus de parvenir à le déplacer sans effort. Rien ne bougea. Ils essayèrent à plusieurs reprises et Brune leur prêta main forte jusqu’à ce qu’ils épuisent leurs forces. Toujours rien.
– Bordel, mais elle est en plomb cette armoire !
– On va la vider et recommencer.
Ils enlevèrent les casiers un par un sans conviction, pour les poser sur le sol derrière eux puis réessayèrent, sans plus de résultat.
Brune se recula en réfléchissant. Pris d’une intuition, il entreprit de démonter les étagères pour enfin se glisser à l’intérieur du meuble et coller son oreille contre la paroi du fond. Avec le bruit des conversations et les rires derrière lui, il lui était impossible de percevoir quoi que ce soit :
– C’est possible que vous fermiez vos gueules ?
– Oui chef…
Dès que le silence s’établit, il se concentra. Il lui sembla entendre le bruit du vent, puis plus rien pendant quelques secondes, puis à nouveau le son distinct du sifflement du vent :
– Il y a un passage là-derrière ! Il y a forcément un mécanisme d’ouverture.
– Un passage ! Ben voyons !
Le lieutenant s’approcha néanmoins et, à son tour, colla son oreille, convaincu qu’il n’entendrait rien et qu’il pourrait moucher le commandant :
– Putain c’est vrai, je jurerais même qu’on entend le bruit des vagues ! Je propose qu’on fasse sauter ça. On a ce qu’il faut.
– En dernier recours. Je vous rappelle que nous sommes chez un particulier et que rien ne nous autorise à faire sauter des portes à l’explosif.
– Ramenez-moi toute l’équipe, commanda le lieutenant en se tournant vers un de ses hommes. Et magnez-vous ! termina-t-il, furieux de s’être trompé aussi grossièrement.
Dix minutes plus tard, après avoir examiné le meuble sous toutes les coutures, l’un d’entre eux appuya par hasard sur la moulure, en haut du meuble, qui s’ouvrit pour laisser apparaître un simple bouton poussoir :
– Je crois que j’ai trouvé, mon commandant.
Brune regarda le bouton, hésita une demi-seconde et appuya. Il entendit un déclic et sentit que l’armoire commençait à pivoter. Il tira le meuble vers lui. Une partie du mur s’escamota en même temps pour laisser place à une porte entrouverte. Le bruit des vagues et du vent emplit la pièce. Patrick Brune ne put s’empêcher de sourire et de toiser le chef du groupe d’intervention :
– Voyez-vous, lieutenant, je pense qu’à Lyon, nous sommes un peu plus perspicaces que vous. C’est sans doute pour cette raison que Paris nous a donné la direction des opérations.
Trois minutes plus tard, Brune remonta pour appeler le PC opérationnel de Lyon. Il devait annoncer l’échec de l’équipe. Il prit un ton de circonstance, même si, en son for intérieur, il était soulagé que Darlan et son équipe se soient échappés. Il conservait une petite chance de mener à bien sa mission :
– Commissaire, ils nous ont à nouveau échappé.
– Comment est-ce possible ? s’énerva Giraud.
– Ils ont utilisé un passage dissimulé sous la maison et sont partis en bateau. Personne ne pouvait prévoir ça.
– Un passage secret ? Mais on est en plein délire !
– Non, monsieur, c’est la pure vérité. J’ignore si c’est de la chance ou du talent, mais ils ont encore pris une longueur d’avance.
– J’imagine que vous n’avez aucune idée de leur destination.
– Pas la moindre. Je peux juste vous affirmer que la mer est sacrément chahutée, ça m’étonnerait qu’ils soient allés bien loin. Nous avons envoyé le drone survoler la côte, surveiller les ports également. Avec la tempête, je doute que ce soit très efficace.
À cinq cents kilomètres de là, le commissaire Giraud regardait la carte affichée sur le grand écran, mélange de carte routière et de vue satellite. Le niveau de zoom permettait d’afficher toute la presqu’île guérandaise :
– Je suis convaincu qu’ils ont dû rejoindre la côte un peu plus loin. Mettez une équipe là-dessus. Quant à vous, foncez à l’hôpital et tâchez de faire parler le blessé. Nous avons analysé la photo. C’est un ancien des forces spéciales. Il est connu sous le prénom de Max. Mercenaire depuis une dizaine d’années, mêlé à pas mal de complots et de coups d’État dans plusieurs pays. C’est un tueur qui, selon nos infos, ne travaille généralement pas sur le territoire. Nous devons absolument savoir ce qu’il vient faire dans l’histoire et qui sont ses commanditaires.
– Je m’y mets, commissaire.
Brune raccrocha son téléphone. Il avait deux objectifs prioritaires. Le premier : s’assurer que son homme de main ne puisse pas être interrogé. Sans doute parviendrait-il à le convaincre de se mettre au vert s’il lui permettait de s’échapper. Quant au deuxième, il s’agissait de retrouver la trace de Darlan et son équipe avant ses collègues de la DCRI. Maintenant qu’il savait ce qu’ils recherchaient, il avait une longueur d’avance. Depuis le début, le policier et la journaliste remontaient la piste des machines à voter truquées et cherchaient à comprendre comment et par qui la fraude était organisée. Brune décida d’obliger les décideurs du ministère à lui fournir toutes les informations qui lui manquaient afin de reprendre l’avantage.