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Nord de l’Albanie
18 avril 2001
Tandis que la Citroën toute pétaradante et rouillée approchait du point de rendez-vous sur un col élevé des Balkans à une cinquantaine de kilomètres de Tirana, Sergueï Ilkanovitch considéra les deux Russes assis avec lui dans la voiture ; c’est alors qu’il lui revint la maxime que répétait souvent son père : nul ne peut juger un homme à ses souliers. Riche ou pauvre, il n’y a pas de différence. Un vagabond en haillons fera l’impossible pour garder des chaussures dans le meilleur état qui soit s’il a deux onces de caractère, alors que le plus haut ponte du présidium, pour peu qu’il ne soit pas de la même trempe, se fichera bien qu’elles soient usées ou éraflées.
Le personnage qu’il citait souvent en exemple à l’appui de cette dernière assertion était Khrouchtchev, un individu qu’il avait toujours tenu en bien piètre estime, le traitant de nigaud obnubilé par le capitalisme américain, de couard qui avait cédé au bluff de Kennedy lors de la crise des missiles de Cuba, et de crétin sur le plan économique et politique, responsable des soulèvements de Crimée en 1963 et du passage en tête des Américains dans la course aux armements. Quand il avait, dans un geste théâtral, assené des coups de chaussure à la tribune de l’assemblée générale des Nations unies, on avait pu constater sans peine que celles-ci étaient miteuses et usées au talon, indice tristement révélateur du caractère d’un personnage qui avait ridiculisé son pays aux yeux du monde entier. Toute son enfance, Sergueï avait entendu son père se plaindre à n’en plus finir de ce prétendu faux pas du premier secrétaire, et cela l’avait toujours plongé dans des abîmes de perplexité. Il avait vu l’image d’archivé, séquence en noir et blanc pleine de grain, et n’avait pas été fichu de juger de l’état de la chaussure en question. Ni vu en quoi elle était censée révéler quoi que ce soit sur Khrouchtchev, son caractère ou ses intentions.
Mais Sergueï avait bien vite cessé de chercher des perles de sagesse dans les observations de son père, pour n’en garder aujourd’hui que le souvenir d’un petit bonhomme criard et bougon, qui aurait pu être comique avec ses diatribes incessantes, s’il n’avait pas été habité d’une telle colère rentrée. Inspecteur dans une usine automobile d’État au bord de la Volga, il avait toujours été incapable de se relaxer après une journée de travail sans sa vodka. De sorte que l’image indélébile que gardait Sergueï du vieil Ilkanovitch était celle d’un homme allongé ivre mort sur le canapé-lit dans l’austère studio ouvrier qu’ils habitaient.
Sergueï avait douze ans quand son père était mort d’un infarctus, en 1969. C’était le plus jeune des quatre garçons que leur mère élevait avec son maigre salaire de couturière chichement complété d’une pension d’État misérable. Six mois plus tard, on l’avait envoyé vivre chez un oncle qui était mathématicien dans le groupe de réflexion gouvernemental d’Akademgorodok, la ville de Sibérie occidentale réservée à l’intelligentsia, connue sous le nom ronflant de Cité des sciences au temps où les communistes croyaient encore mener l’humanité vers un avenir radieux.
Quand il avait demandé à sa mère pourquoi c’était lui qu’on avait choisi plutôt qu’un de ses frères, elle lui avait expliqué que c’était parce qu’il avait toujours brillé à l’école et qu’il avait donc les meilleures chances de bénéficier de la tutelle de son oncle. Mais malgré toutes ces bonnes raisons, Sergueï s’était senti abandonné, rejeté comme un indésirable qu’on condamne au Goulag, et il la soupçonnait d’être plus intéressée par les salaires que ses aînés en âge de travailler pouvaient ramener à la maison que par ses propres perspectives de réussite universitaire. Au bout du compte, malgré tout, il avait fini par lui savoir gré de sa décision. Ce qu’il avait appris de la vie et de l’existence, il l’avait appris tout seul, mais il devait à son oncle la curiosité scientifique qui l’avait conduit à devenir physicien.
La Citroën prit un virage en épingle à cheveux, envoyant Sergueï buter contre la portière droite. Il regarda par la vitre : le bord de la route frôlait le ravin ; cette vision vertigineuse lui retourna l’estomac. Pourtant, son chauffeur n’avait pas hésité à accélérer pour négocier la courbe, comme s’il n’avait jamais envisagé un seul instant que le moindre écart pourrait les expédier dans quelque gouffre insondable. Sergueï n’en trouva que plus bizarre de s’être mis à songer à la stupide injonction paternelle de toujours observer les souliers des gens – mais peut-être n’était-ce qu’un moyen de penser à autre chose pour oublier sa peur panique.
Il se demanda de nouveau comment son père aurait jugé les deux types qui avaient été ses gardes et ses compagnons de voyage au cours des derniers jours. L’un comme l’autre portaient des bottes de style occidental en cuir finement travaillé, mais tous deux arboraient aussi des tatouages qui les estampillaient littéralement comme deux criminels endurcis. Le gros balèze sur sa gauche, Molkov, avait une croix sur chaque phalange, indiquant le nombre de ses séjours en prison. Le « sceau » du tatouage en forme d’anneau entourant son majeur, un couteau entrelacé d’un serpent montrant les crocs, signifiait une condamnation pour meurtre. Le symbole – sur l’index – en forme d’as de pique renversé le cataloguait comme un gangster emprisonné pour un délit grave tel qu’une agression ou une attaque à main armée. Le tatouage de gladiateur, plus imposant, sur son bras droit – seule la moitié inférieure était visible sous la manche relevée de sa chemise kaki –, était peut-être le pire, puisqu’il l’identifiait comme un exécuteur sadique aimant infliger des sévices à ses futures victimes.
Alexandre, le mince Géorgien anguleux assis à l’avant devant Sergueï, exhibait sur son épiderme un curriculum à peu près identique : croix sur les phalanges, symboles vantant une myriade de crimes et délits. Mais il y en avait un autre qui avait éveillé l’intérêt de Sergueï : un tatouage en forme de chevalière, exécuté avec un grand luxe de détails, qui montrait un soleil se levant au-dessus d’un horizon dessiné comme un échiquier. Ce signe, il le savait, était un hommage à l’hérédité criminelle d’Alexandre, à une longue tradition familiale d’insoumission.
Sergueï ne put s’empêcher de songer encore une fois aux idées tordues de son père qui aurait sans aucun doute jugé Molkov et Alexandre comme des êtres exemplaires d’un seul coup d’œil à leurs pieds, en négligeant tous les autres détails. Lui qui goûtait l’ironie comme d’aucuns appréciaient les bons vins, le caviar ou les cigares de La Havane, il trouvait un fumet particulièrement exquis à ces réflexions… car il portait également des souliers entretenus avec le plus grand soin. Il portait toujours les meilleures chaussures qui soient, en fait. C’était un besoin irrésistible, un penchant personnel qui, contrairement aux tatouages de ses compagnons de voyage, était la marque durable de son éducation, même si elle était imprimée dans son psychisme plutôt que sur la peau. Mais si son père avait été encore de ce monde pour découvrir la frontière morale qu’il s’apprêtait à franchir de manière irrévocable, cela aurait peut-être suffi à l’amener à réviser sa singulière méthode d’évaluation des qualités d’un homme.
Préoccupé par le tour qu’avaient pris ses pensées, Sergueï mit un certain temps à se rendre compte que la voiture avait fini par ralentir et s’immobiliser, son moteur poussé à bout hoquetant et cognant après que le chauffeur l’eut menée sur ces pentes abruptes. Il baissa les yeux vers la mallette coincée entre ses pieds et en saisit la poignée, envahi soudain par un sentiment d’irréel.
« C’est là ? » demanda-t-il en se penchant vers le chauffeur.
Gheg, le chauffeur, un homme au teint basané et à la barbe de trois jours, le crâne recouvert d’une petite coiffe blanche comme la majorité musulmane de son pays, secoua la tête : son regard dans le rétro était censé faire comprendre à Sergueï que sa question était stupide. L’homme arborait le mépris caractéristique des fanatiques à l’endroit de ceux dont les motivations sont jugées égoïstes et vénales, même si cela n’avait pas paru d’emblée un obstacle à la livraison de la technologie meurtrière que Sergueï s’était proposé de leur vendre. L’hypocrisie avait, estimait-il, des gradations infinies pour combler le fossé entre désir et réalité.
Sergueï étudia l’épais maquis sur la pente au moment où le chauffeur arrêtait la Citroën à flanc de montagne, si près que les branches et les broussailles emmêlées vinrent érafler le flanc de la voiture. L’attente qui suivit déclencha une nouvelle crise de nervosité. Sergueï savait que leur approche avait été observée, et son incapacité à détecter la moindre trace de guetteurs embusqués le mettait mal à l’aise : il se sentait vulnérable. Il essaya malgré tout de prendre sur lui. Les guérilleros albanais avaient toutes les raisons d’être prudents. En outre, ses deux camarades étaient une assurance idéale contre tout coup fourré, et des rappels imposants de son lien étroit avec l’organizatsiya, une force qu’il eût été insensé de provoquer.
Cela faisait déjà près de cinq minutes qu’il attendait quand son œil surprit un imperceptible mouvement dans les fourrés en surplomb. Puis, enfin, les guérilleros apparurent, surgissant un par un du feuillage et descendant vers le col pour déboucher sur la route à quelques mètres devant leur véhicule.
Ils étaient une demi-douzaine en tout, de rudes montagnards qui partageaient bien des traits avec leur chauffeur. Ils portaient en bandoulière des fusils d’assaut – Kalachnikov, Beretta, MP5… Leurs vêtements, sales et usés, allaient du treillis au jean américain griffé en passant par le survêtement de marque et les baskets devenus un symbole de statut social dans les pays d’Asie ou d’Europe orientale où ces articles de sport étaient souvent confectionnés pour trois fois rien, puis expédiés aux États-Unis, commercialisés à un prix surévalué avant d’être réexportés dans les pays mêmes d’où ils provenaient, afin d’y être revendus avec un bénéfice astronomique. Encore une de ces délicieuses ironies que Sergueï avait découvertes aujourd’hui, image parfaite du serpent légendaire qui se dévore la queue.
Mais il n’eut guère le temps de philosopher là-dessus. Le chef présumé de la troupe, un type sec, au nez fort, vêtu d’un treillis et portant une longue balafre en diagonale sur la joue, s’approchait de la voiture, suivi à quelques pas de deux des membres de son clan. Il tenait dans la main droite une sacoche de cuir usée et semblait aussi pressé que Sergueï de conclure leur affaire.
Quand il arriva au niveau de la calandre de la Citroën, Sergueï saisit à son tour la mallette posée sur le plancher et se tourna vers le gorille baraqué assis à côté de lui.
« Allons-y », lui dit-il.
Molkov opina. Un Micro-Uzi à canon court dépassait de sous sa chemise. Pas tout à fait deux kilos cinq pour moins de vingt-cinq centimètres de long avec son fut métallique replié, la mitraillette compacte était à peine plus volumineuse qu’un pistolet. À l’avant, Alexandre exhibait avec la même décontraction un SMG identique, ainsi qu’un Glock 9 mm dans un étui d’épaule. Les armes étaient fourrées sous les sièges lorsqu’ils avaient quitté Tirana, mais ils étaient à présent trop loin de toute force de police pour se soucier de les dissimuler. Le contrôle des bandes de hors-la-loi qui occupaient ces montagnes était fondé sur des liens claniques séculaires et validé par la force des armes. Brandir un fusil au grand jour était plus un moyen de se faire respecter que d’assurer sa protection matérielle.
Laissant l’Albanais derrière le volant, les trois autres descendirent de voiture et contournèrent le capot. Ce faisant, les deux compagnons de Sergueï vinrent l’encadrer, Molkov à droite, Alexandre à gauche. Sur la route, les guérilleros, immobiles, les lorgnaient d’un œil méfiant. Pas un bruit, sinon le trille bref d’un oiseau que parut absorber le grand silence creux du ravin en contrebas, tel un ruban bariolé aspiré par le vide.
Sergueï s’approcha du balafré ; la tension à nouveau lui nouait l’estomac. À première vue, la transaction qu’il s’apprêtait à conclure semblait presque de routine : échanger des billets contre de la marchandise de contrebande, sur un col au fin fond des Balkans, dans un petit pays réputé pour ce genre de commerce illicite et qui par ailleurs n’était guère qu’une parenthèse sur le continent européen. Il ignorait au juste où il se trouvait et ne serait pas fichu de situer ce coin perdu sur la carte, une fois reparti.
Mais en attendant, c’était bel et bien ici, dans cette région fort à propos dénommée les Montagnes des Damnés, qu’il s’apprêtait à commettre une trahison d’une envergure encore jamais vue, et peut-être même susceptible d’étendre la définition du terme jusqu’à de nouvelles limites conceptuelles. Certes, en y songeant avec du recul, il pouvait s’imaginer comme un nageur qui ne s’est jamais aventuré aussi loin de la côte, chaque brasse puisant son énergie dans un petit défi intérieur, et qui se redonne confiance en jetant de brefs regards en arrière pour s’assurer que la terre est toujours en vue, jusqu’au moment où il se retourne et ne voit plus rien que l’océan devant, derrière, tout autour de lui, s’étendant à l’infini dans toutes les directions, et réalise alors que le jeu des courants l’a emporté en un clin d’œil au-delà du point de non-retour.
Mais assez, s’admonesta-t-il. Assez de ces réflexions. Il avait fait son choix et avait une affaire à conclure.
Le chef des guérilleros et lui se dévisagèrent avec les hochements de tête de circonstance. Puis Sergueï posa sa mallette sur le capot de la voiture et, du bout des pouces, déverrouilla les serrures à combinaison.
Le chef de la guérilla jeta un œil au contenu de la mallette.
« Oui, fit-il en russe, ses traits révélant comme une vague surprise. Oui, oui…
– Tout est à l’intérieur, confirma Sergueï. Le composant, bien sûr, mais aussi des instructions détaillées et un schéma pour sa mise en place dans l’appareil. Avec un petit extra dont vous pourrez dire à votre acheteur que c’est à la fois un échantillon et un avant-goût… » C’était cela, oui, un avant-goût. Comme avec du caviar. Ou un vieux cigare. « Tout ce qu’il faudra pour le Kazakhstan.
– Vous êtes certain que l’information est fiable ?
– Tout à fait. Je l’ai fournie en double, sur disquette et sur papier. » Sergueï laissa à son interlocuteur quelques secondes encore pour étudier le contenu de la mallette avant de rabattre le couvercle. « Et maintenant, le règlement. »
L’ombre d’un sourire effleurant ses lèvres, le guérillero acquiesça et tendit la sacoche à Sergueï.
Ce dernier ressentit un éclair d’excitation eh notant le poids de l’objet. Soudain, ses doigts se mirent à trembler. Tenant la sacoche d’une main par la bride, il souleva de l’autre le rabat pour en examiner le contenu.
Il lui fallut un moment pour réagir et quand il réagit, ce fut avec un choc, une incrédulité qui le glaça. Il pâlit, tout le sang parut refluer de son visage.
La sacoche était remplie d’épaisses liasses de papier vierge coupé à la taille approximative de dollars américains, attachées par des bracelets de caoutchouc.
Il leva brusquement les yeux vers le chef de la guérilla, vit son sourire se crisper et se retourna aussitôt vers Molkov.
« Ces salopards ont osé nous entuber. »
Molkov le dévisageait, l’air inexpressif.
« Merde, tu m’as entendu ? » lança Sergueï d’une voix furieuse, et il retourna la sacoche, laissant les liasses de papier se répandre sur le sol. « Il n’y a pas un sou ! »
Molkov continuait de le fixer.
Bouche bée d’étonnement, Sergueï se tourna vers Alexandre.
L’autre avait le Glock dans la main, le canon pointé droit sur sa poitrine. L’arme à silencieux cracha deux fois et Sergueï tomba à la renverse, tué sur le coup, son blouson taché de rouge à l’endroit où les deux balles lui avaient transpercé le cœur. Une expression de perplexité et de trahison était restée figée sur son visage.
Molkov toisa le cadavre quelques instants, hocha la tête d’un air approbateur, puis se tourna vers le chef de la guérilla.
« À présent, lui dit-il en tendant la main, passons au règlement. »
Le hors-la-loi adressa un geste brusque à l’un de ses hommes qui s’avança pour lui passer une sacoche en cuir fort semblable à celle qu’avait reçue Sergueï. Il ouvrit lui-même le sac, puis l’inclina pour que les deux Russes puissent en voir sans peine le contenu. Cette fois, elle était bourrée d’authentiques liasses de dollars.
« Tout est là. Transmets toutes nos salutations et nos amitiés à ton botchya, Vostov », dit-il, utilisant le terme d’argot russe pour « parrain », tout en passant la sacoche à Molkov avec un petit salut.
Molkov ôta un des bracelets au hasard et, du pouce, feuilleta la liasse en la tenant sous son nez. Satisfait, il la remit à l’intérieur, referma le sac, l’accrocha à son épaule.
« O. K., lança-t-il à Alexandre. Allons-y. »
Ils firent demi-tour pour remonter dans la Citroën, en prenant garde à ne pas marcher dans le sang qui formait une mare autour du cadavre de Sergueï.
Ce fut Alexandre qui, en regardant machinalement à travers le pare-brise, nota que leur chauffeur n’était plus au volant et que sa portière était restée grande ouverte. Comprenant aussitôt ce que cela signifiait, il adressa un signe de tête à Molkov.
Mais le temps d’ouvrir la bouche pour l’avertir, il était déjà trop tard pour les deux hommes.
Alors même que la Citroën venait d’arriver et que leur chef et ses compagnons d’armes étaient sortis du couvert pour rencontrer ses occupants, une douzaine d’autres membres du fis albanais, ce clan de hors-la-loi, étaient restés dissimulés dans le maquis sur la colline, l’œil et l’arme braqués vers la route.
Tout s’était déroulé conformément au plan. Quand le physicien russe avait été descendu par ses prétendus gardes du corps, le chauffeur de la Citroën avait profité de la diversion momentanée pour quitter discrètement la voiture et plonger dans les fourrés afin de se mettre à l’abri et laisser ainsi le champ libre à ses frères d’armes.
Ils avaient regardé leur chef tendre la deuxième sacoche au plus grand des bandits russes. Ils avaient regardé ce dernier l’ouvrir et en inspecter le contenu, toujours exactement comme prévu. Dès qu’il s’était retourné vers son compagnon pour lui confirmer que le règlement avait été effectué, les hommes embusqués s’étaient préparés à tirer, les fusils tournés vers le bas de la pente, leurs cibles immobiles et parfaitement en vue. Pour s’assurer que les Russes ne découvriraient pas le piège à temps pour riposter, ils avaient attendu pour tirer que les deux mafiyasi aient fait demi-tour vers leur voiture, tournant ainsi le dos aux guérilleros.
Une seconde avant que le piège ne se referme, le plus maigre des deux avait flairé l’arnaque et s’était tourné pour alerter son partenaire.
On ne lui en laisserait pas le loisir. Les tireurs sur la pente ouvrirent le feu sur les Russes, les abattant sur place. Les rafales continuèrent quelques secondes encore, arrosant les cadavres, criblant de trous le flanc gauche de la voiture près duquel ils s’étaient effondrés, pulvérisant le pare-brise en une avalanche d’éclats de verre.
Enfin, la fusillade cessa, ses échos rapidement engloutis dans l’immense silence du défilé. Les bouts de feuilles et de branches sectionnés par les balles tombèrent en tournoyant sur la route.
En contrebas, le chef des guérilleros adressa un signe d’approbation à ses hommes restés tapis dans le feuillage, puis il se dirigea vers le corps truffé de balles de Molkov et s’agenouilla pour récupérer la sacoche de dollars encore accrochée à son épaule.
Leur mission s’était déroulée sans difficulté.
Il ne lui restait plus qu’à en informer Harlan DeVane.