CHANT I
La forêt obscure — mai 1756 —
Francesco Loredan, Prince de la Sérénissime, cent seizième Doge de Venise, trônait dans la Salle du Collège, où il accueillait d’ordinaire les ambassadeurs. De temps en temps, il levait les yeux vers l’immense toile de Véronèse, La Victoire de Lépante, qui ornait l’un des murs de la salle ; ou bien ses pensées allaient se perdre au milieu des dorures du plafond, le regard noyé dans Mars et Neptune, ou Venise trônant avec Justice et Paix, avant d’être rappelé à l’urgence de l’affaire qui le préoccupait.
Francesco était un homme âgé, au visage parcheminé qui faisait un contraste saisissant avec la pourpre lisse et unie dont il était entouré. Quelques rares cheveux s’échappaient de son bonnet et de sa corne ducale. Ses sourcils blancs et sa barbe achevaient de donner à sa physionomie une allure patriarcale tout à fait de circonstance, au regard des fonctions qu’il assumait au sein de la République. Devant lui se trouvait un bureau recouvert d’un dais sur lequel figurait un lion ailé sortant ses griffes, tout de puissance et de majesté. Le Doge ne manquait pas d’embonpoint, dans son vêtement somptueux. Une cape de tissu, ornée d’un mantelet d’hermine et de gros boutons, tombait sur ses épaules et recouvrait une autre robe, d’un tissu plus fin, qui glissait jusqu’à ses jambes gainées de rouge. La bacheta, le sceptre qui symbolisait le pouvoir dogal, reposait paresseusement entre ses bras. Ses mains, longues et déliées, arborant une bague frappée des armoiries et de la balance vénitiennes, serraient avec nervosité le compte rendu de la dernière délibération du Conseil des Dix. Celle-ci était accompagnée d’un courrier qui portait le cachet officiel de ce même conseil. Sa dernière réunion s’était tenue le matin même, dans des circonstances exceptionnelles. Le compte rendu informait Francesco d’une affaire pour le moins ténébreuse.
« Une ombre passe sur la République, lui disait-on en conclusion, une ombre dangereuse dont ce meurtre, Votre Altesse Sérénissime, n’est que l’une des multiples manifestations. Venise est aux abois, les criminels les plus odieux s’y glissent comme des loups dans une forêt obscure. Le vent de la décadence plane sur elle : il n’est plus temps de l’ignorer. »
Le Doge se racla la gorge, tapotant le courrier de ses doigts.
Ainsi, un drame abominable est arrivé.
002
Le Carnaval de Venise remontait au Xe siècle.
Il s’étendait à présent sur six mois de l’année : du premier dimanche d’octobre au 15 décembre, puis de l’Epiphanie au Carême. Enfin, la Sensa, l’Ascension, le voyait refleurir.
La ville tout entière bruissait de ces préparatifs.
Les Vénitiennes étaient de sortie : sous les masques, elles exhibaient la blancheur de leur teint, illuminées de parures, bijoux, colliers, perles et drapés de satin, les seins en coupe dans leurs bustiers étroitement lacés. Elles faisaient assaut de friselis et de dentelles. Leurs cheveux, de cette blondeur si rare, étaient arrangés avec le plus grand soin, en chignon, enroulés autour de diadèmes, à l’ombre d’un chapeau, épandus et ondoyants dans une liberté calculée, ou bien crépés, chinés, portés en coiffures les plus inattendues, les plus extravagantes. Toutes déguisées, elles jouaient les importantes : elles marchaient tête haute, selon les règles du portamento, affectant la dignité de la plus grande noblesse; de la tenue, du maintien, qu’elles affirmaient avec grâce et souveraineté. En ces temps de carnaval, n’étaient-elles pas les plus convoitées, les plus ardemment désirées, en un mot, les plus belles femmes du monde? Cette assurance tranquille était la source même de leur inspiration. C'était un déluge de beautés, un arc-en-ciel de couleurs charmantes; telle était glissée dans un fourreau de linon blanc, sans transparent, garni sur l’ourlet de falbalas dentelés; telle autre ajoutait à sa robe des manchons bouffants en gaze d’Italie, une ceinture de rubans bleus dont les extrémités volaient amplement derrière elle; telle autre encore portait au cou un grand mouchoir plissé, noué au creux de la gorge et ouvert en triangles soyeux, par-dessus une andrienne ou un panier, une ombrelle à la main. Ici, elles ajustaient leur moretta, maintenant ce masque noir en serrant avec les dents le petit ergot intérieur glissé dans leur bouche. Là, elles lissaient leur robe, ouvraient leur éventail d’un coup de poignet. Les courtisanes du plus haut lignage se mêlaient aux filles de joie dans une extrême confusion. Le Catalogo di tutte le principal e più onorate cortigiane di Venezia et le traité La tariffa delle puttane di Venezia, accompagnés de considérations techniques sur les talents de ces maîtresses d’un soir, circulaient de nouveau sous le manteau.
Les hommes, eux, portaient le masque blanc du fantôme, le larva surmonté d’un tricorne, et la bauta qui couvrait l’ensemble de leur corps ; cape noire ou tabarro, pour les plus classiques, auprès desquels voisinaient des milliers de personnages échappés des contes, des théâtres et de la lune. Tracagnin, Arlequin, Pantalon, le Docteur, Pulcinella, bien sûr, les habituels, les éternels ; mais aussi, des Diables armés de vessies, des Maures juchés sur des ânes ou des chevaux de pacotille, des Turcs tirant sur leur pipe, de faux officiers français, allemands, espagnols, et toute la cohorte des pâtissiers, ramoneurs, fleuristes, charbonniers, frioulans... Charlatans, vendeurs de potions promettant la vie éternelle ou le retour de l’être aimé, mendiants, gueux et paysans sans le sou venus de Terre Ferme, aveugles et paralytiques dont on ne savait si leur infirmité était réalité ou mensonge : tous se répandaient dans la ville. Les cafés, et de nombreuses tentes montées pour la circonstance, alignaient des pancartes invitant le badaud à découvrir des « Monstres », nains, géants, femmes à trois têtes, auprès desquels on commençait de se bousculer.
Le moment était venu, celui de toutes les euphories, de toutes les libérations, celui où le vulgaire pouvait s’imaginer roi du monde, où la noblesse jouait à la canaille, où l’univers, soudain, était sens dessus dessous, où s’inversaient et s’échangeaient les conditions, où l’on marchait sur la tête, où toutes les licences, tous les excès étaient permis. Les gondoliers, en grande livrée, promenaient leurs nobles par les canaux. La ville s’était parée d’innombrables arcs de triomphe. Çà et là, on jouait à la pelote, à la meneghella, en misant quelques sous qui venaient tinter dans des assiettes ; ou bien on éparpillait des pièces au hasard dans des sacs de farine où l’on venait plonger sa main, chacun espérant récupérer davantage que sa mise. Des milliers de beignets et de soles frites étaient apprêtés sur les étals des marchands. Les pêcheurs de Chioggia interpellaient la foule depuis leur tartane. Une mère donnait une claque à sa fille, qu’un jeune soupirant serrait d’un peu trop près. Des fripiers avançaient en plantant devant leurs tables des brouettes chargées de vêtements, avant d’appâter le chaland. Sur les campi, des mannequins d’étoupe dégorgeaient de friandises et de fruits secs. Une volée de frombolatori, lurons masqués écumant les sextiers, jetaient des oeufs pourris sur le costume des belles ou des vieilles femmes accoudées au balcon de leur villa, avant de s’enfuir dans des rires. Les jeux les plus grotesques fleurissaient d’un bout à l’autre des quartiers de Venise : un chien volait à une corde, des hommes s’élançaient jusqu’au faîte de mâts de cocagne pour y décrocher un saucisson ou une fiole d’alcool, d’autres plongeaient dans des baquets à l’eau saumâtre pour tenter d’y saisir une anguille avec les dents. Sur la Piazetta, une machine de bois en forme de gâteau crémeux alléchait les gourmands; des attroupements se formaient autour des danseurs de corde, des scènes de comédie improvisées, des théâtres de marionnettes. Montés sur des tabourets, l’index levé vers d’absentes étoiles, des astronomes de bazar péroraient sur la proche Apocalypse. On s’exclamait, on s’esclaffait, on s’étouffait de rire en renversant sa glace ou sa pâtisserie sur les pavés, on goûtait la joie et la douceur de vivre.
Alors, celle que l’on surnommait la Dame de Coeur sortit de l’ombre. Postée jusque-là sous les arcades, elle avança de quelques pas en ouvrant son éventail. Ses longs cils se plissèrent derrière son masque. Les lèvres rouges de sa bouche s’arrondirent. Elle laissa tomber son mouchoir à ses pieds tout en ajustant le pli de sa robe. Elle se baissa pour le ramasser et envoya un regard à un autre agent, posté plus loin, à l’angle de la Piazetta, pour vérifier qu’il avait compris.
Et ce geste voulait dire : il est là.
En effet il était là, au milieu de la cohue.
Celui dont la mission suprême consistait à abattre le Doge de Venise.
Deux cornes de faux ivoire de part et d’autre du crâne. Un faciès de taureau, pourvu d’un mufle aux replis agressifs. Des yeux sournois brillant derrière la lourdeur du masque. Une armure, véritable celle-là, faite de mailles et de plaques d’argent, suffisamment légère pour qu’il puisse se déplacer avec toute la rapidité requise. Une cape rouge sang, qui cachait, dans son dos, les deux pistolets croisés dont il aurait besoin pour accomplir son office. Des genouillères de métal par-dessus des bottes de cuir. Un géant, une imposante créature dont on croyait entendre le souffle brûlant jailli des naseaux.
Le Minotaure.
Prêt à dévorer les enfants de Venise, dans le labyrinthe de la ville en pleine effervescence, il s’apprêtait à changer le cours de l’Histoire.
Le Carnaval avait commencé.
003
Quelques mois plus tôt, par une nuit noire, Marcello Torretone crevait le silence de hurlements déchirants, à l’intérieur du théâtre San Luca. L'Ombre était là. Elle avait envahi la cité, volant par-dessus les toits de la Sérénissime. Aux reflets du couchant, elle s’était glissée furtivement dans le théâtre. Le père Caffelli l’appelait il Diavolo, le Diable en personne, et dans son rapport Marcello avait consigné cet autre nom que lui donnaient ses partisans : la Chimère. Le prêtre avait bien essayé de prévenir Marcello, et celui-ci avait dû se rendre à l’évidence. Il se tramait quelque chose de grave. Ce soir, il était tombé dans un piège. Un mystérieux inconnu lui avait fixé rendez-vous ici, au San Luca, à l’issue de la première représentation de L'Impresario di Smirne, où il avait fait un triomphe. Propriétaires du San Luca, les Vendramin étaient partis les derniers. L'inconnu s’était caché en coulisses, le temps que le théâtre se vide.
Marcello avait roulé en boule son costume de scène, qui traînait maintenant non loin, derrière les rideaux. Il avait relu la lettre cachetée qu’on lui avait fait parvenir, signée d’un certain Virgile, et qui lui promettait des renseignements de la plus haute importance. La menace touchait aux institutions de Venise autant qu’à la personne du Doge. Marcello avait prévu d’aller trouver Emilio Vindicati dès le lendemain : le Conseil des Dix devait être avisé au plus tôt de ce qui se tramait. Mais à présent, il ne pouvait que maudire son imprudence.
Il le savait : il n’irait plus nulle part.
Il ne verrait pas se lever le jour prochain.
On l’avait assommé, roué de coups et attaché contre ces planches de bois. A demi inconscient, il avait vu s’activer auprès de lui une forme encapuchonnée, dont il ne pouvait distinguer le visage. Son regard s’était posé sur le marteau, les clous, la lance, la couronne d’épines – et ce curieux instrument de verre qui étincelait au poing du visiteur. Marcello était terrorisé.
— Qui... Qui êtes-vous? articula-t-il, la bouche pâteuse.
Pour toute réponse, l’autre se contenta de pousser un rire sardonique. Puis Marcello n’entendit plus que sa respiration, sourde, profonde. L'inconnu achevait de l’emprisonner contre ces montants de bois, dont l’ombre projetée dessinerait bientôt une croix sur le sol.
— Vous... Vous êtes il Diavolo ? La Chimère, c’est cela?
Un instant, la forme encapuchonnée se tourna vers lui. Marcello tenta en vain de deviner les traits du visage plongé dans l’obscurité.
— Alors vous existez? Mais je pensais que...
Nouveau rire.
Vexilla regis prodeunt inferni... dit la Chimère.
Sa voix était grave, effrayante. En vérité, elle semblait surgir d’outre-tombe.
— Q... Quoi ?
Vexilla regis prodeunt inferni... Nous allons bien nous occuper de vous. Je vais d’abord en terminer, puis nous vous redresserons ici même, sur cette scène de spectacle. Soyez heureux, mon ami. Vous aurez, ce soir, joué votre plus beau rôle.
Alors la Chimère saisit un marteau, ainsi que deux longs clous effilés. Les yeux de Marcello s’agrandirent d’horreur.
— Qu’allez-vous...
Vexilla regis prodeunt inferni, Marcello Torretone !
Il plaça la pointe du premier clou sur l’un des pieds solidement ligotés de Marcello... et son bras se dressa, le marteau en main.
— NNOOOONN !
Marcello hurla, comme jamais.
Vexilla regis prodeunt inferni.
Les enseignes du roi de l’Enfer s’avancent.
004
La mine grave, Francesco Loredan marchait précipitamment dans les couloirs du palais ducal.
Il faut à tout prix mettre la main sur cet homme.
Francesco était l’un de ces patriciens habitués à toutes les magistratures. Arrivé au pouvoir en 1752, il était Doge depuis plus de quatre ans. Dès l’âge de vingt-cinq ans, les jeunes aristocrates vénitiens se préparaient au service de l’Etat. Les portes du Grand Conseil s’ouvraient de droit devant eux. Francesco avait été l’un de ceux-là. Ainsi qu’il était d’usage à Venise, il avait appris les vicissitudes des fonctions gouvernementales au contact des anciens; une pratique d’autant plus nécessaire que la Constitution de la République était essentiellement orale. En général, les ambassadeurs emmenaient leurs fils avec eux pour les initier aux secrets de la diplomatie ; certains jeunes nobles, les Barbarini, tirés au sort à l’occasion de la Sainte-Barbe, étaient autorisés à assister aux délibérations du Grand Conseil avant l’âge officiel. Tous les responsables de l’Etat favorisaient ainsi, pour leur progéniture, un apprentissage qui se fondait avant tout sur l’expérience pratique du fonctionnement des institutions. Pour les dynasties nobiliaires, les carrières étaient tracées d’avance : Grand Conseil, Sénat, Seigneurie ou office de Terre Ferme, ambassades, Conseil des Dix, jusqu’à la charge de procurateur, voire de Doge, primat de la cité vénitienne. Cette culture politique constituait l’un des fondements de la puissance de la lagune, qui s’était largement édifiée grâce au talent de ses représentants et à la performance de ses réseaux; et cela, même si les calculs des dignitaires de Venise se retournaient parfois contre la brillante République, familière de tous les grands écarts diplomatiques. L'alliance des Doges avec Florence contre Milan, scellée trois siècles plus tôt par la paix de Lodi, avait permis à la Sérénissime de concourir à la liberté de l’Italie tout en préservant son indépendance. Dans la foulée de celle de Constantinople, prestigieuse entre toutes, les grandes ambassades vénitiennes s’étaient multipliées, à Paris, Londres, Madrid ou Vienne. Le partage de la Méditerranée avec les Turcs et les flottes catholiques, signe de l’érosion de sa prééminence au Levant, avait également permis à Venise d’assurer sa pérennité. La République n’avait pas inventé la politique, mais, en maîtresse des mers, médiatrice des cultures et virtuose de l’apparence, elle lui avait donné quelques nouveaux titres de noblesse que n’auraient pas désavoués ces autres emblèmes italiens qu’étaient le Machiavel du Prince et les Médicis florentins.
Francesco avait ce pragmatisme, ce talent de la chose publique et cette habileté aux affaires, aussi bien commerciales, juridiques, diplomatiques que financières, qui faisaient de lui le digne héritier de l’âme aristocratique vénitienne. Et tandis qu’il marchait en direction de la Salle du Collège, sa lettre en main, il se disait, une fois de plus, qu’être Doge de Venise n’était pas une fonction de tout repos. De temps à autre, un garde du palais s’effaçait devant lui, remontant sa hallebarde avant de retrouver sa mine raide et compassée. Les Dix ont raison, se disait Loredan. Il faut agir vite. Depuis le XIIe siècle, les attributs du Doge n’avaient cessé d’être renforcés : l’investiture par l’étendard de Saint-Marc, les laudes issues des usages carolingiens, le dais et la pourpre de Byzance, la couronne que supportait le bonnet ducal en étaient autant de témoignages. Pourtant, les Vénitiens avaient toujours pris garde à ce que le primat de leur cité ne puisse confisquer le pouvoir. Son autorité, d’abord limitée par la personne morale de la commune de Venise, avait vite été encadrée par la Seigneurie, rassemblement des élites dirigeantes de la ville. Aujourd’hui encore, les grandes familles, à l’origine de l’expansion de la péninsule, s’assuraient de conserver la prééminence dans les prises de décisions importantes; et si Venise évitait toute forme d’absolutisme monarchique, l’Etat marquait avec vigueur la frontière entre le prétendu pouvoir du peuple, qui n’avait duré que le temps d’un songe, et la prépondérance de ces dynasties auxquelles la cité devait sa suprématie.
Comme tous les Vénitiens, Francesco regrettait le temps de l’Age d’or, celui de l’essor de Venise et de ses colonies ; il aurait pu être, sinon le seul maître à bord, au moins l’un des artisans de cette vaste entreprise de conquête. Certes, il tirait une immense satisfaction de la splendeur du titre et du cérémonial incessant qui entourait sa personne. Mais il se sentait parfois prisonnier de sa fonction d’apparat, rex in purpura in urbe captivus, « roi vêtu de pourpre et prisonnier dans sa ville »... Lorsqu’il avait été proclamé Doge dans la basilique voisine, il s’était présenté à la foule en liesse sur la place Saint-Marc, avant de recevoir la corne ducale au sommet des marches de l’escalier des Géants; mais à peine sa nomination avait-elle été prononcée qu’il avait dû faire serment de ne jamais outrepasser les droits que lui accordait la promissio ducalis, cette « promission » qu’on lui lisait chaque année à haute voix et qui rappelait la nature exacte de ses attributions.
Or Francesco, élu à vie, membre de droit de tous les conseils et dépositaire des plus hauts secrets de l’Etat, incarnait mieux que quiconque, par la vertu de sa fonction, l’autorité, la puissance et la continuité même de la Sérénissime. Il présidait le Grand Conseil, le Sénat, les Quarantie, siégeait tous les jours ouvrables avec les six personnes de son Conseil restreint pour recueillir les suppliques et les doléances. Il visitait chaque semaine l’une des deux cent cinquante à trois cents magistratures que comptait Venise. Il vérifiait la nature et le montant des impositions, approuvait les bilans des finances publiques. Tout cela sans compter de multiples visites ou réceptions officielles. Le Doge, en réalité, n’avait presque pas de vie privée. Ce marathon permanent affectait souvent la santé des vieillards – car on ne devenait pas Doge avant l’âge de soixante ans – et ce au point que l’on avait cru bon d’ajouter au trône de la salle du Grand Conseil une barre rembourrée de velours, qui permettait à Sa Sérénité de faire un petit somme, lorsqu’elle n’était plus tout à fait apte à suivre les débats.
Francesco glissait dans le palais et passa dans la grande salle du Maggior Consiglio, le Grand Conseil, où se trouvaient les portraits de tous ses vaillants prédécesseurs. En d’autres circonstances, il se serait arrêté, comme il le faisait parfois, pour guetter dans les traits de ces Doges d’autrefois quelque signe de filiation symbolique. Il aurait songé à Ziani, juge, conseiller, podestat de Padoue, l’homme le plus riche de Venise, que les familles « nouvelles », enrichies par l’essor vénitien, avaient fini par écarter de la vie publique ; il se serait assis devant Pietro Tiepolo, armateur et marchand, duc de Crète, podestat de Trévise, baile de Constantinople, qui, non content d’avoir favorisé la création du Sénat et la rédaction des Statuts citadins de 1242, s’était également employé à rétablir l’unité vénitienne et à imposer, ici et là, la souveraineté de la République. Avant de quitter la salle, Francesco passa aussi devant le voile noir qui recouvrait le portrait du Doge Falier, au destin si troublant : contre la toute-puissance aristocratique, il avait nourri le rêve de revenir aux sources d’un gouvernement participatif, mobilisant le peuple; on l’avait exécuté. Et Francesco, quant à lui, se demandait ce que lui-même laisserait derrière lui, et en quels termes on se souviendrait de ses efforts à la tête de l’Etat.
Il y a de quoi, en effet, se poser cette question, s’inquiétait-il.
Car en ce jour d’avril, précisément, Francesco avait de bien sombres préoccupations. Il était sur le point de recevoir Emilio Vindicati, l’un des membres du Conseil des Dix. Il n’avait pas encore pris de décision définitive quant à la proposition, bien singulière en vérité, que celui-ci lui avait faite ce matin même. Francesco parvint à la Salle du Collège et alla s’asseoir quelques instants. Mais il ne tint pas longtemps en place. Nerveux, il se dirigea vers l’une des fenêtres. Un balcon surplombait la digue devant la lagune, que sillonnaient quelques gondoles, bateaux militaires de l’Arsenal et autres esquifs chargés de marchandises. Non loin, on devinait l’ombre du lion ailé de saint Marc, et celle du Campanile, qui s’avançaient comme des poignards dans le jour montant. Francesco se massa les paupières en prenant une longue inspiration. Il suivit des yeux le ballet des navires qui se croisaient sur les flots, guettant les touches d’écume qui parsemaient leur sillage. Il soupira encore et, une dernière fois, relut la conclusion de la lettre du Conseil des Dix.
« Une ombre passe sur la République, une ombre dangereuse dont ce meurtre, Votre Altesse Sérénissime, n’est que l’une des multiples manifestations. Venise est aux abois, les criminels les plus odieux s’y glissent comme des loups dans une forêt obscure. Le vent de la décadence plane sur elle : il n’est plus temps de l’ignorer. »
Le Doge annonça bientôt à l’un des gardes du palais qu’il était prêt à recevoir Emilio Vindicati.
Si, Votre Sérénité.
Tandis qu’il l’attendait, il se perdit de nouveau dans les reflets scintillants de la lagune.
Venise...
Une fois de plus, il va falloir te sauver.
Il avait fallu déjà bien des combats pour que, du limon et des flots, les Doges parvinssent à préserver la « Vénus des eaux ». Francesco pensait souvent à ce miracle. Car la survie de cette ville tenait du miracle. Autrefois à la frontière de deux empires, byzantin et carolingien, Venise avait lentement conquis son autonomie. Saint Marc était devenu patron de la lagune en 828, lorsque deux marchands avaient rapporté en triomphe au Rialto les reliques de l’évangéliste, dérobées à Alexandrie. Mais ce furent la première croisade et la prise de Jérusalem qui, pour la péninsule, signifièrent le début de l’Age d’or. Au croisement des mondes occidental, byzantin, slave, islamique, et de l’Extrême-Orient, Venise devint incontournable : bois, fer de Brescia, de Carinthie et de Styrie, cuivre et argent de Bohême et de Slovaquie, or silésien et hongrois, draps, laine, toiles de chanvre, soie, coton et colorants, fourrures, épices, vins, blé et sucre transitaient par elle. Parallèlement, Venise développait ses propres spécialités, comme la construction navale, les productions de luxe, le cristal et la verrerie, le sel. Elle ouvrait les routes de la mer à de grands convois de galères : à l’est, vers Constantinople et la mer Noire, Chypre, Trébizonde ou Alexandrie ; à l’ouest, vers Majorque et Barcelone, puis Lisbonne, Southampton, Bruges et Londres. L'Etat armait les galères, régulait les flux, encourageait les ententes. Marco Polo et le Livre des merveilles du monde faisaient rêver les citoyens de Venise à de lointains horizons; Odoric de Pordenone parcourait la Tartarie, l’Inde, la Chine et l’Insulinde, pour en rapporter sa célèbre Descriptio terrarum. Niccolo et Antonio Zeno poussaient l’avantage vénitien jusque vers les terres inconnues du Nord, au large de Terre-Neuve, du Groenland et de l’Islande, tandis que Ca’ Da Mosto s’embarquait à la découverte du Rio Grande et des îles du Cap-Vert.
J’aurais beaucoup donné pour assister à tout cela.
Venise, cette « ville de rien » perdue sur la lagune, devenait un empire! Bases et comptoirs se multipliaient, en Crète, à Corinthe, Smyrne ou Thessalonique, toujours plus loin sur les mers, créant ainsi de véritables colonies d’exploitation – au point que l’on songea un temps à édifier une nouvelle Venise, une Venise d’Orient... D’un bout à l’autre de ces nouveaux territoires, on devenait sujet de la cité vénitienne. Mais les populations dominées, souvent miséreuses, offraient également un terreau de choix pour la propagande des Turcs, auxquels finirent par s’abandonner les pays les plus mal en point. Contrôler de si vastes étendues et s’acharner à en développer l’exploitation obligeait à de telles liaisons administratives et commerciales que l’équilibre impérial ne pouvait manquer de se fragiliser. Et depuis...
Venise avait su conserver sa position éminente jusqu’au XVIe siècle. Les temps de la splendeur première avaient ensuite commencé à s’effacer. Les difficultés vénitiennes après la bataille de Lépante, l’hégémonie espagnole en Italie et la collaboration active entre l’Espagne et la papauté en furent autant de symptômes. Lors de la paix de Passarowitz en 1718, Venise perdit de nouveau des territoires au profit des Turcs. La Cité des Doges se cantonna alors dans une neutralité bienveillante, tout en engouffrant des sommes insensées dans la modernisation de l’Arsenal. L'épanouissement des arts put masquer un temps cette lente déréliction : les fresques de Titien, de Véronèse et du Tintoret rivalisaient de beauté ; Canaletto faisait frémir l’air de la lagune et scintiller la cité de lumières vaporeuses. Mais, Francesco le savait : aujourd’hui, confrontée à l’exigence suprême de tenir son rang aux yeux du monde et au spectre toujours vivace de son engloutissement, Venise ne pouvait plus masquer ses fêlures. Les plus sévères la comparaient à un cercueil languissant, à l’image de ces gondoles noires qui la sillonnaient de toutes parts. La réputation de la ville, cette glorieuse Réputation qui avait constitué le credo de son expansion, était en péril. La fraude, les jeux de hasard, la paresse, le luxe avaient suffi à corrompre les valeurs anciennes. Les témoignages que recueillait Francesco, depuis quatre ans, montraient que le volume du trafic maritime ne cessait de baisser. Face à Livourne, Trieste ou Ancône, le port s’était affaibli. On essayait bien de réconcilier la noblesse avec les activités de négoce, qu’elle jugeait désormais trop « plébéiennes », en prenant exemple sur les Anglais, les Français, les Hollandais. Peine perdue : le mercantilisme et l’affairisme continuaient, et les nobles ne reprenaient pas pour autant le chemin de l’ancienne Réputation.
De là à parler de véritable décadence, il n’y avait qu’un pas.
Vindicati a raison... La gangrène est là.
Enfin, Emilio Vindicati fit son apparition dans la Salle du Collège.
Les grandes portes s’ouvrirent devant lui.
Francesco Loredan se retourna.
Vindicati avait délaissé sa tenue d’apparat pour un ample manteau noir. Emilio, perruque poudrée au-dessus d’un visage ovale, était un homme de haute stature; la maigreur de ses membres donnait l’impression qu’il flottait dans son vêtement. Ses yeux, pénétrants et mobiles, étaient souvent traversés par une lueur d’ironie, qu’accusait le pli au coin de sa bouche. Celle-ci semblait avoir été dessinée au fusain, deux traits presque invisibles, qui s’aiguisaient de temps à autre en un sourire proche du sarcasme. La fermeté et l’énergie tranquilles qui émanaient de sa physionomie s’apparentaient à la surface d’un lac dont les profondeurs, en réalité, étaient autrement troublées : furieux, passionné, rigide, Emilio était un cavalier de tempête – tout à fait ce qu’il fallait pour influencer de sa poigne vigoureuse les délibérations du Conseil des Dix. Florentin de naissance, il avait grandi à Venise, et venait de se faire élire à sa charge après avoir été membre du Maggior Consiglio durant vingt-cinq ans. Là, il s’était fait une réputation d’habile politique et d’impitoyable rhéteur. On critiquait son apparence hautaine et la rigueur parfois excessive de ses positions; mais, comme Francesco Loredan, Emilio avait l’habitude d’assumer des charges publiques, et regrettait l’Age d’or de la Sérénissime. Il était de ceux pour qui la raison d’Etat devait primer toute chose. Et à la différence de la plupart des nobles vénitiens, qu’il jugeait endormis sur le mol oreiller de la paresse, Emilio entendait tout mettre en oeuvre pour permettre à la République de retrouver son lustre d’antan.
En entrant dans la Salle du Collège, Emilio Vindicati ôta son couvre-chef et s’inclina devant le Doge avec cérémonie. Sa main s’attardait sur une canne noire, dont le pommeau figurait deux griffons entrelacés. Francesco Loredan se tourna de nouveau vers la lagune.
— Emilio, j’ai lu avec attention les délibérations du Conseil et les recommandations que vous me faites dans votre courrier. Nous savons tous les deux de quelle façon fonctionnent nos institutions, et nous sommes coutumiers des jeux d’influence politique. Je ne vous cache pas ma surprise, et mon horreur à la lecture de vos documents. Sommes-nous si aveugles que vous le dites ? Notre pauvre Venise est-elle si menacée que vous le prétendez... ou forcez-vous le trait, pour nous pousser à agir?
Emilio haussa un sourcil et se passa la langue sur les lèvres.
— Douteriez-vous des avis du Conseil des Dix ?
— Allons, Emilio. Evitons de placer notre conversation sur le terrain de nos susceptibilités respectives... Ainsi, un meurtre ignoble a été perpétré la nuit dernière au théâtre San Luca...
Emilio s’était redressé, les deux mains dans le dos, l’une continuant de jouer avec sa canne.
Il soupira, puis fit quelques pas dans la Salle du Collège.
— Oui, Votre Altesse. Je vous ai épargné les détails de ce crime sordide. Sachez seulement qu’il n’a jamais eu de précédent à Venise. A l’heure qu’il est, le cadavre est toujours en place. J’ai ordonné de ne toucher à rien dans l’attente d’une décision concertée sur la façon dont mener cette enquête, eu égard aux informations particulières que je vous donne dans mon courrier... Mais il est bien certain que cette situation ne peut durer très longtemps.
— Avez-vous avisé le Grand Conseil de cette horreur ?
— Pas exactement, Votre Altesse. Et, si je puis me permettre... je pense que c’est la dernière chose à faire.
Les deux hommes se turent de nouveau. Le Doge quitta la fenêtre et fit à son tour quelques pas pour se planter devant Emilio, bacheta en main. Il reprit la parole :
— Je n’aime pas beaucoup cela... Vous n’ignorez pas que l’ouverture même de mes courriers m’est interdite en l’absence des membres de mon Conseil restreint. De ce point de vue, le présent entretien est aussi une entorse à notre Constitution. Ce n’est pas à vous, Emilio, que je dois rappeler les raisons qui me poussent à respecter scrupuleusement cette étiquette... et vous savez qu’en définitive, je n’ai guère de pouvoir de décision. Vous arguez auprès de moi de circonstances exceptionnelles pour contourner nos procédures habituelles; certains y verraient déjà une manière d’intrigue. Alors dites-moi, Emilio... pensez-vous sérieusement que des membres du gouvernement de Venise puissent être mêlés à ce forfait? Reconnaissez que ces accusations seraient d’une haute gravité.
Emilio ne cilla pas.
— Les atteintes à la sûreté de l’Etat le sont tout autant, Votre Altesse.
Il y eut un silence, puis Francesco leva une main et fit la moue.
— Certes, mon ami... Mais il ne s’agit là que de conjectures. Les arguments que vous avancez dans votre rapport sont pour le moins étonnants, et les preuves font défaut.
Le Doge se détourna et se posta au-dessous de La Victoire de Lépante.
— Il est impensable pour nous de procéder à une enquête en plein jour; le simple fait de l’ordonner nous mettrait dans une position très inconfortable et déboucherait aussitôt sur une crise des plus profondes. C'est la dernière chose dont nous avons besoin pour le moment.
— C'est pour cette raison, Votre Altesse, que je me refuse à faire appel à l’un de nos agents d’information traditionnels pour nous en apprendre davantage.
Le Doge plissa les yeux.
— Oui, j’ai bien compris cela. Et vous décidez donc d’employer pour ces basses oeuvres une crapule, un être léger et inconsistant, que nous condamnions à croupir un moment dans les prisons de Venise avant de le faire exécuter! Voilà une idée bien étrange. Qui vous dit que, au premier pas qu’il fera dehors, il ne tentera pas de vous fausser compagnie ?
Emilio sourit.
— Ne vous inquiétez pas de cela, Votre Sérénité. Celui auquel je pense est trop épris de liberté pour marchander plus avant, ou tenter de nous duper. Il sait ce qui l’attend s’il renie sa parole. Certes, je vous concède qu’il s’agit là d’un homme qui, en de nombreuses circonstances, a tout fait pour se moquer de la République et y causer les dissipations que ne manque pas d’occasionner ce genre de tempérament, disons, aventurier et frondeur. Mais notre contrat le sort des geôles et lui sauve la vie. Il sera redevable de cette grâce et je sais que, tout bandit qu’il est, il garde un certain sens de l’honneur. Je sais de quoi je parle, pour l’avoir eu sous ma responsabilité durant près de quatre ans... Il a déjà travaillé pour nous, et pour le Conseil. Il sait mener une enquête criminelle et se fondre dans la foule pour obtenir des informations. Il pense vite, et n’a pas son pareil pour se sortir des situations les plus insolites.
— Oui, dit Loredan. Visiblement, il a aussi beaucoup de talent pour s’y mettre.
Le sourire d’Emilio se fit un peu contrit.
— Je vous le concède. Mais cette légèreté dont vous parlez nous est aussi une arme : après tout, personne ne l’a jamais soupçonné d’agir pour notre compte. Je tiendrai cet homme de bien des manières, vous pouvez me croire.
Le Doge réfléchit quelques secondes.
— Admettons, Emilio... Admettons une seconde que nous agissions ainsi, avec tous les risques que cela représente... Avez-vous déjà fait part à ce prisonnier de votre proposition ?
— C'est fait, Votre Altesse. Il a accepté, naturellement. Il n’attend plus que nous. Figurez-vous qu’il profite de sa claustration pour rédiger ses Mémoires... Je lui ai signifié, comme vous l’imaginez, que les détails de l’affaire dont nous parlons ne sauraient y figurer... Non que je pense que son récit passera à la postérité! Mais il serait fâcheux qu’il renie de sa plume l’engagement qu’il m’a fait, et que cela suffise à jeter le discrédit sur nous, les Conseils et le gouvernement tout entier.
— Hé ! Cela, je ne vous le fais pas dire.
Il alla s’asseoir dans son fauteuil, se caressant la barbe d’une main. Emilio s’avança.
— Allons, que risquons-nous, Votre Altesse ? Dans le pire des cas, il s’enfuit; mais dans le meilleur... Il sera peut-être pour nous l’instrument rêvé... Il manie l’épée comme personne, sait s’attirer les confidences du peuple, et son intelligence redoutable, si elle est mise au service d’une noble cause, peut sauver Venise. Une ironie qu’il n’a pas manqué de noter lui-même, mais de laquelle il se délecte. Il y trouvera ainsi une forme de rédemption... La rédemption, Votre Altesse... Un ressort puissant...
Le Doge réfléchit encore. Il ferma les yeux, ramenant ses doigts en coupe auprès de ses lèvres. Puis, dans un soupir, il regarda Emilio :
— Bien. Amenez-le donc ici. J’ai toute confiance en votre jugement. Mais concevez que je veuille le voir et l’entendre moi-même, pour me faire une opinion plus exacte de l’esprit de cet homme.
Emilio sourit. Lentement, il quitta son fauteuil et s’inclina. Il releva les sourcils et son sourire s’accentua lorsqu’il dit :
— Il en sera ainsi, Votre Altesse.
Il était déjà sorti que le Doge, préoccupé, marmonnait :
— Tout de même... Faire sortir l’Orchidée Noire !...
005
Le Doge ferma les yeux.
Il vit des galères armées qui canonnaient dans la lagune, des formes encapuchonnées courir dans la nuit et se déverser sur Venise, le Carnaval s’embraser. Il sentit l’odeur de la poudre et entendit le bruit des armes. Il s’imagina la Sérénissime sombrant dans les eaux, engloutie pour jamais. Le spectacle grandiose de son propre anéantissement enflamma aussi son esprit.
On lui avait apporté un café fumant, qui reposait auprès de son sceptre. Ses yeux se perdirent dans le marc.
Et Francesco Loredan, Prince de la Sérénissime, cent seizième Doge de Venise, pensait :
Les fauves sont lâchés.