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Higgins et le superintendant Marlow déjeunèrent ensemble. Marlow avait proposé un restaurant à la mode, mais Higgins avait refusé, invitant Marlow àThe Hunting Lodgeoù l’on dégustait un râble de lièvre aux cerises d’une qualité supportable. Sans trop se faire prier, le superintendant avait accepté de goûter à un brouilly que le patron réservait à ses habitués.
Confortablement installé sur la banquette de cuir noir, Scott Marlow se sentait en excellente forme.
– J’ai une bonne nouvelle, annonça-t-il à Higgins, qui regardait d’un oeil critique les gravures de chasse accrochées aux murs. Nous sommes sur la piste de Dobelyou. Deux receleurs ont parlé. Il se cacherait en Cornouailles, sans doute pour tenter de quitter l’Angleterre. Son arrestation n’est plus qu’une question d’heures. Et son casier est éloquent ! Saviez-vous qu’il est même soupçonné de meurtre dans son pays d’origine, Ceylan ?
Un Anglais de bonne souche avait quelque difficulté à remplacer l’appellation « Ceylan » par le moderne « Sri Lanka ».
– Cela ne plaide guère en sa faveur, admit Higgins.
– C’est le moins que l’on puisse dire !
Higgins posa son carnet noir sur la table, l’ouvrit et en consulta une page pendant que le superintendant dégustait un verre de brouilly, servi à la température idéale.
– Vous souvenez-vous du dossier rouge ?
– Bien entendu, répondit Marlow. Celui qu’on a retrouvé à côté du corps de Mme Mortimer. On l’a photographié, ramassé et mis sur une étagère. Je ne vois pas en quoi…
– Les feuillets étaient-ils en désordre ?
– Autant que je m’en souvienne, non.
Higgins regardait en l’air, comme s’il avait remarqué quelque chose d’insolite. Le superintendant en profita pour se remplir un nouveau verre.
– Je crois avoir compris comment l’assassin, naturel ou surnaturel, a pu se dissimuler et s’enfuir.
Scott Marlow s’étrangla à demi.
– Qu’avez-vous dit ?
– Frances Mortimer a été assassinée par quelqu’un qui se trouvait dans le bureau de son mari, si l’on en croit les déclarations des témoins. Il fallait trouver le comment, mais cela ne donne ni le pourquoi, ni surtout le « qui ».
Higgins se parlait à lui-même. Le superintendant était fasciné comme s’il assistait au tour d’un magicien.
– Grâce à quel indice avez-vous…
– Ordre et méthode, superintendant. J’aimerais voir le corps de près.
– Le rapport d’autopsie vous a été communiqué ! Je ne sais pas si une exhumation du corps de Mme Mortimer…
– Ce ne sera pas nécessaire. Je parlais de la momie.
Scott Marlow en oubliait le boire et le manger, tandis que Higgins découpait avec soin une part de tarte au citron nappée de crème à la vanille.
– N’oublions pas, ajouta-t-il, que la momie est notre témoin le plus important. Elle est la dernière à avoir approché de près Frances Mortimer.
Le superintendant n’était pas décidé à suivre Higgins sur ce terrain-là. Il était persuadé que l’ex-inspecteur-chef tendait un rideau de fumée pour éviter de parler de l’essentiel.
– Higgins, vous ne croyez quand même pas que cette momie…
– Je n’ai rien à croire avant de l’avoir interrogée, superintendant.
*
La momie était l’hôte le plus insolite de la morgue centrale de Londres. De hauts fonctionnaires de la police et de la culture se battaient par notes interposées pour décider du destin de ce cadavre fort ancien que le British Museum souhaitait récupérer.
Higgins se recueillit devant la momie, qu’on avait installée sur une table stérile dans une minuscule pièce glaciale aux murs blancs. La dépouille mortelle était celle d’un homme d’une cinquantaine d’années, d’après les premiers rapports scientifiques. Il aurait vécu vers le milieu du premier siècle avant J.-C. Mais le repos éternel du malheureux s’était brutalement interrompu. La plupart des bandelettes étaient déchirées, laissant apparaître une peau desséchée, craquelée. À la place du coeur, un trou sinistre aux bords irréguliers. On avait creusé pour extraire quelque chose. Le crâne avait été défoncé. La jambe gauche était fracturée, l’os ouvert. Plusieurs doigts de la main droite manquaient. Outre les dégradations du temps, il était visible que cette malheureuse momie avait été torturée.
Higgins la contempla longuement. Il n’éprouvait aucun attrait pour le morbide. Mais ce cadavre martyrisé, unique dans l’histoire du crime, était sans doute un indice essentiel pour découvrir l’assassin de Frances Mortimer.
Le crime de la momie
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