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À l’entracte, Frances Mortimer et Philipp quittèrent la catégorie A des « stalls » du Lyttelton Theatre, l’une des salles du National Theatre où se donnait la représentation d’Othello.
– Je boirais bien quelque chose, dit Philipp.
– Si vous voulez, mais je dois d’abord téléphoner.
– À qui ?
– À mon mari. Je l’ai trouvé fatigué et je crains que la visite d’Eliot Tumberfast ne lui fasse passer une fort mauvaise soirée.
Philipp ne voyait pas l’utilité d’une pareille corvée, mais il ne quitta pas Frances, qui eut aisément Sir John Arthur au téléphone.
– Chéri ? Vous n’êtes pas couché ?
– Des ennuis, Frances. Excusez-moi un instant.
Frances perçut les échos d’une violente discussion entre son mari et Eliot Tumberfast. Il n’était question que de points techniques d’égyptologie. Tumberfast ne voulait céder sur aucun point. Le professeur Mortimer lui ordonna de se taire.
– Frances ?
– Ce n’est pas raisonnable, gronda-t-elle d’une voix douce. Vous devriez renvoyer votre assistant et vous reposer.
– C’est une campagne de fouilles de trois années qui est en jeu. Ce que je découvre est consternant. Pardonnez-moi…
Sir John Arthur se moucha. Philipp s’impatientait, estimant que cet intermède avait assez duré. Il passait une soirée avec Frances, pas avec son père. Il tapota de l’index sur sa montre de manière qu’elle le remarquât.
– La représentation est-elle satisfaisante ? demanda le professeur.
– Excellente. Je regrette d’autant plus votre absence, et je n’oublie pas le service que vous m’avez demandé.
– Je sais que je peux compter sur vous, Frances. Comme le téléphone ne transmet pas la grippe, je me permets de vous embrasser.
– Moi aussi, chéri. À tout à l’heure.
Elle raccrocha, soucieuse.
– Qu’est-ce qu’il y a ? interrogea Philipp.
– C’est bien ce que je craignais. Une nouvelle querelle avec son assistant.
– Laissez ces vieilles barbes s’entre-déchirer. Nous avons mieux à faire.
Le visage de Frances s’empourpra.
– Ne vous exprimez plus jamais de la sorte, Philipp, ou je ne vous adresse plus la parole.
*
À la sortie du National Theatre, vers vingt-trois heures, la Rolls des Mortimer était coincée dans un embouteillage.
– Complètement idiote, cette pièce de Shakespeare, pestait Philipp. Cet Othello est un imbécile. On ne tue pas la femme qu’on aime.
– Mais c’est Shakespeare…, protesta Frances.
– Et alors ! Ce n’est pas une raison.
Frances était à la fois choquée et amusée. Elle avait pris soin de s’asseoir suffisamment loin du jeune homme. Le chauffeur avança difficilement dans Waterloo Street et s’engagea sur Waterloo Bridge, traversant la Tamise. Il tourna à gauche en direction de Mayfair.
– Nous ne rentrons pas directement, Barry, intervint Frances. Je dois passer par le British Museum. Mon mari m’a demandé de lui rapporter un dossier.
Le chauffeur passa Trafalgar Square et remonta vers le nord, en direction de Tottenham Court Road. Il aviserait sur le parcours pour choisir le chemin le plus court. Chaque jour, il conduisait Sir Mortimer à son bureau, installé dans une annexe administrative jouxtant le British Museum.
– Acceptez-vous de m’accompagner, Philipp ? Vous savez combien peu j’apprécie cet endroit.
– Ah non, protesta le fils du professeur. Je ne veux plus entendre parler de ce bureau.
– Vous avez commis une bêtise, dit Frances d’une voix rassurante, plus personne n’y pense. Quelle imprudence de voler une statuette égyptienne… Vous n’aviez guère de chance de passer inaperçu ! Et à quoi cela vous servait-il ?
– Qui peut être sûr de bien connaître la vie d’autrui ? Je ne mettrai plus les pieds dans ce maudit bureau.
– Je ne vous le demande pas, protesta-t-elle. J’ai formellement promis à mon mari de vous en interdire l’accès. J’aimerais simplement ne pas monter seule à l’étage. Il vous suffirait de m’attendre sur le palier, j’en aurai pour une minute.
Philipp se rapprocha d’elle.
– Vous avez peur ?
– Oui, avoua-t-elle sans fausse honte. Ces sarcophages, ces morts qu’on a dérangés dans leur dernier sommeil… Cela m’impressionne. Surtout depuis la disparition de cette momie !
Frances était toujours sincère. Elle ne cachait pas ses faiblesses, son âme était aussi limpide que son regard. Philipp avança sa main vers celle de la jeune femme. Elle s’en aperçut et retira la sienne aussitôt.
– Vous viendrez avec moi, Philipp ?
Boudeur, il se tassa dans son coin. La Rolls tourna dans Great Russel Street, approchant de sa destination.
*
Une clé s’introduisit dans la serrure de la petite porte donnant sur la ruelle que dominait de toute sa masse l’hôtel particulier des Mortimer. L’ombre, après avoir vérifié que personne ne l’observait, pénétra dans la propriété, évita l’allée de graviers et longea la façade arrière. Agatha Lillby atteignit l’office sans avoir fait le moindre bruit. Elle ôta son imperméable et ses chaussures trempées. Ainsi, elle gravirait silencieusement l’escalier de marbre et regagnerait sa chambre.
Un éclat de voix la fit tressaillir. Comme elle l’avait supposé, le professeur et Eliot Tumberfast continuaient à se quereller. Presque malgré elle, Agatha prit la direction du bureau. Elle devait s’assurer qu’il ne s’était rien produit de fâcheux.
La porte s’ouvrit brusquement. Agatha se plaqua contre les tentures rouges du couloir. Sir John Arthur apparut de dos, comme s’il barrait la route à son visiteur.
« Pas question de vous en aller maintenant, dit-il. Vous ne vous en tirerez pas comme ça, Tumberfast. Vos explications ne me suffisent pas. Quand ma femme reviendra du British Museum, j’aurai la preuve de vos mensonges. Asseyez-vous. »
Le professeur se moucha et claqua la porte. Agatha resta immobile un long moment, reprenant sa respiration. Elle avait eu une peur bleue et monta à sa chambre où elle était censée dormir depuis plus de deux heures.
Le crime de la momie
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