38
L’égyptologue eut quelque peine à
desserrer les mâchoires.
– Il y a eu des discussions d’ordre
scientifique entre lui et moi, mais je le respecte !
– Vous le haïssez, monsieur
Tumberfast. Et vous n’étiez pas indifférent au charme de Mme
Mortimer. Mais elle était riche et vous ne l’êtes pas. Ce n’était
pas avec votre salaire d’égyptologue que vous auriez pu la tenter.
N’auriez-vous pas négocié quelques pièces, acquis une petite
fortune et tenté de la séduire ?
– Je respecte trop l’Égypte ancienne,
Inspecteur. Son art appartient à l’humanité, pas à des voleurs
!
Dobelyou souriait, s’apprêtant à
reprendre la parole.
– Malheureusement, dit Higgins, plus
prompt, les accusations portées par Dobelyou contre l’un ou l’autre
d’entre vous n’auraient pas valeur de preuve. Ce serait si commode
de se décharger d’un crime en inventant une fable.
– Mais je n’ai pas commis le moindre
crime ! s’enflamma William W. Dobelyou, se sentant à nouveau sur la
sellette. Et moi, j’ai une preuve ! Je ne pouvais pas être à la
fois en haut et en bas. J’ai couru à toutes jambes quand j’ai
entendu les deux détonations. J’ai arraché le seau des mains
d’Indira, pour ne pas perdre le butin. J’ai dévalé l’escalier et
heurté le veilleur de nuit avant de m’enfuir. Vous pouvez le lui
demander !
J. J. Battiscombe, qui se faisait le
plus discret possible, fut gêné d’être mis ainsi en
lumière.
– Ce qui pose problème, objecta
Higgins, c’est que vous vous connaissiez assez bien, tous les deux.
Monsieur Battiscombe, n’auriez-vous pas rencontré Dobelyou en Inde,
à l’époque où vous tentiez de… faire des affaires ?
– Je… je ne m’en souviens
pas.
– Menteur ! accusa Dobelyou, furieux.
C’est moi qui t’ai dépanné, sinon tu serais en prison pour recel
d’objets volés ! Tu m’avais promis que tu renverrais l’ascenseur un
jour et tu as bien été obligé de le faire ! C’est lui qui m’a
indiqué le coup du British Museum, inspecteur.
– C’est faux ! Vous n’allez quand
même pas croire ce bandit, ce brigand, ce…
Scott Marlow fut obligé d’intervenir
et de calmer Dobelyou qui s’était levé en se promettant d’agresser
l’ex-veilleur de nuit.
Higgins s’exprima avec
lenteur.
– Vous auriez donc drogué vous-même
votre thé, monsieur Battiscombe, pour faire croire que vous dormiez
pendant le vol et que vous étiez une victime des voleurs. Ce thé,
vous ne l’avez pas bu. Vous avez joué la comédie devant Frances et
Philipp Mortimer.
– Non, inspecteur, j’étais assoupi
!
– Qui a ouvert la porte de ce bureau,
monsieur Battiscombe ? Qui a décroché la clé au tableau de service
?
– Moi, mais…
– Et si vous aviez fait semblant de
décrocher cette clé, monsieur Battiscombe ? Ne l’aviez-vous pas
dissimulée dans l’une de vos poches ? Vous l’aviez déjà utilisée en
refermant la porte derrière vous… après avoir assassiné Mme
Mortimer.
– Impossible, inspecteur, j’étais en
bas ! Dobelyou m’a bousculé, j’ai même eu ma veste mouillée par
l’eau du seau qu’il tenait en main ! Quand je suis monté, Philipp
Mortimer m’a vu… C’était bien après les coups de feu !
– Votre innocence repose sur les
témoignages de Dobelyou et de Philipp Mortimer, remarqua Higgins,
pensif. Et si vous aviez mouillé vous-même vos vêtements ? Si vous
aviez utilisé votre remarquable discrétion pour commettre un vol à
votre propre compte, sans supposer que Frances Mortimer aurait pu
vous surprendre dans le bureau de son mari ? Un ancien militaire
comme vous est forcément un bon tireur.
Le visage de J. J. Battiscombe devint
pathétique.
– Je vous jure que je suis innocent,
inspecteur ! J’ai commis une faute grave, je l’avoue. La vie a été
injuste envers moi, je méritais mieux. Le montant de ma retraite
est misérable ! Quand Dobelyou est venu me menacer de révéler mon
passé, j’ai cru que j’allais tout perdre et je lui ai fait
promettre qu’il n’y aurait qu’un vol et que nous ne nous reverrions
jamais. Pour le reste, je n’ai pas la moindre responsabilité
!
– Qu’en pensez-vous, Barry ?
interrogea Higgins en regardant le chauffeur des Mortimer. Vous
prétendez bien avoir vu s’enfuir William W. Dobelyou ?
Les traits anguleux du chauffeur se
chargèrent d’agressivité.
– Je l’ai vu et bien vu
!
– Rien n’est plus sujet à caution que
le témoignage d’un auteur de lettres anonymes, dit Higgins, sévère.
Vous détestiez Mme Mortimer, n’est-ce pas ?
Barry se renfrogna, refusant de
répondre.
– Vous détestez d’ailleurs tous les
Mortimer, Barry. Ce sont des riches, ils vous exploitent. Votre
patron avait refusé de vous augmenter, je crois ?
– Exact, précisa le nouveau directeur
du British Museum. Je n’étais que médiocrement satisfait des
services de Barry. Il se plaignait sans arrêt.
– C’est faux ! protesta Barry,
dévisageant John Arthur Mortimer d’une manière haineuse. Je suis
l’homme à tout faire, chez vous. La voiture, les poubelles, la
plomberie… Je n’ai jamais fini. J’étais bien mal payé de mon
dévouement.
– Dans ces conditions, pourquoi ne
pas être parti depuis longtemps ? demanda Higgins.
Barry baissa les yeux.
– Ça ne vous regarde
pas.
– Vous êtes bien mystérieux, Barry.
Je me demande si ce n’est pas Mme Mortimer qui vous a
retenu.
– Peut-être bien, inspecteur, elle
m’a aguiché, elle m’a…
– Taisez-vous, intervint Sir John
Arthur. Vous êtes un méprisable individu. Mon épouse m’a parlé de
votre conduite inqualifiable à son égard. Nous étions décidés à
vous licencier.
Scott Marlow délaissa William W.
Dobelyou, beaucoup moins faraud qu’au début de la reconstitution.
Il s’approcha de Barry, dont l’attitude lui déplaisait fort. Le
superintendant avait une paire de menottes dans la poche gauche de
sa veste. Il n’attendait qu’un signe de Higgins pour la passer aux
poignets de l’assassin.
– Vous étiez particulièrement
attentif aux allées et venues des membres de la famille Mortimer,
dit Higgins à Barry et vous les avez tous calomniés.
– Je n’ai dit que la vérité
!
– Vous êtes rancunier et vaniteux,
Barry, et vous ne supportez pas qu’une femme vous abandonne. Vous
avez envoyé une lettre anonyme pour dénoncer la passion d’Agatha
Lillby parce qu’elle vous avait quitté. Et si vous aviez assassiné
Frances Mortimer parce qu’elle refusait de vous céder… ou parce
qu’elle ne voulait plus vous céder ?
– Je vous interdis de parler ainsi !
protesta John Arthur Mortimer. Comment pouvez-vous imaginer que ma
femme…
– Ça vous aurait vexé, Sir ? ironisa
Barry. Vous aimeriez peut-être que je sois accusé de meurtre ? Mais
c’est impossible. Je me trouvais dans votre superbe Rolls, devant
l’annexe du musée et j’ai même vu s’enfuir le voleur.
– Vous n’avez malheureusement aucun
témoin, indiqua Higgins.
– Comment aurais-je pu monter au
premier étage sans être vu par le veilleur de nuit et par Philipp
Mortimer ?
– La haine est souvent fort
inventive, Barry. Et vous étiez si mécontent de votre salaire ! À
force de fouiller dans les corbeilles à papier de Sir John Arthur,
vous avez sans doute découvert des renseignements négociables. Je
me demande si vous ne les avez pas vendus à un professionnel du vol
comme William W. Dobelyou.
– Ça ne tient pas debout ! Je hais
les riches, c’est tout. Jamais je ne plaindrai une femme comme
Frances. Elle a tout eu, dans cette vie. Moi, rien. Mais je ne
porte aucune responsabilité dans ce meurtre.
– Je n’en suis pas si sûr, insista
Higgins. Si vous étiez le complice de Battiscombe et de Dobelyou,
vous avez mis au point, ensemble, une version des événements et
vous vous y tenez.
– Je ne connaissais pas le chauffeur
des Mortimer, je le jure ! déclara J. J. Battiscombe. Moi non plus,
je ne porte aucune responsabilité dans ce crime odieux
!
– Tout le monde cherche une porte de
sortie, observa Dobelyou. Et si j’affirmais que j’étais en relation
d’affaires avec tous ces messieurs ?