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– Higgins ! Enfin !
Le superintendant Scott Marlow était en proie à une excitation certaine. Il ne demanda aucune explication à Higgins sur ses activités des dernières heures. Se levant de son bureau, il brandit une feuille de papier.
– Regardez ce que nous avons reçu : une lettre anonyme !
Higgins dédaigna un siège en plastique orange. Il préféra rester debout pour prendre connaissance du document, un texte assez bref rédigé sur un papier vulgaire avec des lettres découpées dans une revue.


« Si vous voulez avancer dans l’affaire Mortimer, allez ce soir, vers vingt-deux heures, au 12 Carlisle Street, premier étage, porte gauche. Vous y apprendrez du nouveau sur le meurtre de la Frances. »


– Carlisle Street… C’est dans Soho, remarqua Higgins.
– J’organise une descente de police ?
– Je ne crois pas, superintendant. On ne s’amuserait pas à envoyer Scotland Yard dans un traquenard. Notre correspondant anonyme est sans doute digne de confiance. Il souhaite nous permettre de découvrir un indice essentiel… ou de piéger quelqu’un. Je vous propose d’aller ensemble au rendez-vous, à l’heure dite, dans une voiture banalisée.
Scott Marlow pesa le pour et le contre, se rallia à la proposition de Higgins.
– Entendu. À condition d’emmener un inspecteur en couverture. La sécurité avant toute chose. Mais qui… qui a pu nous envoyer cette lettre ?
– J’ai une petite idée, avoua Higgins, presque amusé. Le style de cette lettre n’est pas des meilleurs. Elle se termine de façon particulièrement désagréable pour feue Mme Mortimer.
– La Frances ! s’indigna le superintendant. Vous vous rendez compte ! Il n’y a plus de respect pour personne.
– Faut-il encore que la personne en question soit respectable, superintendant.
Scott Marlow se demanda s’il avait bien entendu. Il aurait aimé interroger Higgins, mais celui-ci se retira dans son bureau pour examiner le curieux document qui relançait l’enquête.
*
La voiture banalisée du Yard se faufila dans les rues de Soho. Outre le chauffeur, Higgins et le superintendant Marlow, un autre inspecteur, en civil. Scott Marlow lui avait donné l’ordre de surveiller l’immeuble incriminé, d’empêcher quiconque d’en sortir et d’intervenir en cas de grabuge.
Scott Marlow entrouvrit sa veste. Il appuya sur une petite boîte métallique carrée qui émit une sorte de bip-bip assez affligeant.
– Qu’est-ce que c’est ? s’enquit Higgins.
– Le progrès, expliqua le superintendant. Cet appareil était utilisé par les chirurgiens pour être en contact permanent avec l’hôpital ou la clinique. Le Yard l’a adopté. Du moins, les policiers de pointe. Je suis toujours en liaison avec le central. Vous voyez l’intérêt, en cas d’urgence.
À vingt-deux heures, le quartier chaud de la capitale britannique, Soho, était en pleine ébullition. LesFamily Leisure Entertainments, les boîtes à jeux, faisaient le plein. De multiples petites boutiques à la vitrine fermée par des rideaux plus ou moins transparents, offraient des films et des objets pour les goûts les plus excentriques. Des bookmakers d’occasion exerçaient leurs talents sur des touristes crédules. Cinémas pornographiques, marchands des quatre saisons, restaurants exotiques, salons de massage promettant un bien-être immédiat, multitudes de Chinois et d’Indiens vaquant à des tâches obscures… Soho palpitait, remuait, s’agitait.
La voiture de Scotland Yard se gara quelques numéros avant le 12, Carlisle Street. Le superintendant Marlow organisa la stratégie. Il donna l’ordre à l’inspecteur en civil de se placer en face de la porte du 12, un immeuble de trois étages en briques noircies. Le deuxième et le troisième étaient apparemment inoccupés. Au deuxième, des planches avaient été clouées sur les fenêtres. On distinguait un ancien panneau révélant qu’une fabrique de tissus avait disposé là de bureaux. Au premier, en revanche, perçait une lueur derrière de lourds rideaux.
– Le renseignement était bon, dit le superintendant. Le gibier est sur place.
Une fois entrés dans l’immeuble, Higgins et Scott Marlow virent, dans le minuscule couloir, une rangée de boîtes à lettres. Au-dessus de celle correspondant au premier étage, porte gauche, il y avait simplement deux lettres : B. J.
– Discret propriétaire, nota Scott Marlow, en attaquant les premières marches de l’escalier, recouvertes d’une moquette orange en nylon.
Au terme d’une brève ascension, ils aboutirent à une porte où avait été fixée une plaque avec les deux lettres B. J. Impossible de se tromper. Scott Marlow appuya sur la sonnette. Une longue minute s’écoula. Une voix féminine s’éleva derrière la porte.
– Qui est-ce ?
– Scotland Yard. Ouvrez immédiatement.
On poussa un cri aigu. Il y eut un bruit de pas précipités, des exclamations, on remua des chaises, une autre voix glapit : « Mais ouvrez donc ! » Higgins sonna à son tour. D’une voix puissante, le superintendant réitéra son ordre : « Ouvrez immédiatement ! »
Cette fois, on lui obéit. La porte s’entrebâilla, laissant apparaître le visage apeuré d’une femme.
– Vous… vous êtes la police ?
– Exactement, répondit Marlow avec sévérité.
– Vous venez… nous arrêter ?
Sans répondre, Higgins poussa la porte et entra dans un assez vaste studio aux murs tendus de velours rouge sombre. La pièce était faiblement éclairée par deux lampes sur pied. Au centre, une table de jeu sur laquelle étaient encore disposées des cartes. Autour, des chaises, dont trois seulement étaient encore occupées par des femmes. Les autres joueuses avaient préféré se lever et se tasser contre le mur du fond, comme si elles pouvaient ainsi échapper aux regards des policiers.
Parmi elles, il y avait une personne que Higgins et le superintendant croyaient bien connaître. Agatha Lillby, la femme de chambre des Mortimer.
Les cheveux dénoués, vêtue d’un corsage rouge vif assez décolleté et d’un pantalon de cuir noir, elle ne ressemblait plus du tout à une domestique dévouée et sérieuse. C’était une sorte de vamp, aussi provocante qu’attirante, avec des faux airs d’Ava Gardner.
Higgins s’attarda un instant sur la table de jeu. Dans la panique générale, on avait abandonné les billets qui devaient représenter l’enjeu : environ 1500 livres.
Ces dames devaient trouver dans leur passion un excitant suffisamment puissant pour mettre sur pied une telle organisation, louer le studio et se livrer en secret à leur vice caché.
– Mesdames, annonça Scott Marlow avec solennité, je suis obligé de relever vos identités. Je ne pense pas que vous ayez demandé une licence pour ouvrir cet établissement que je dois considérer comme clandestin.
Les joueuses étaient trop terrorisées pour protester. Elles s’alignèrent toutes dans le fond de la pièce, encadrant Agatha Lillby qui ne cessait de fixer Higgins.
Quand elles énumérèrent leurs noms et qualités, le superintendant Marlow pâlit à vue d’oeil.
En ce tripot se trouvait rassemblée la fine fleur des femmes de chambre de l’aristocratie anglaise. Ces clandestines servaient avec zèle quelques-unes des plus respectables familles du royaume, habitant toutes le quartier de Mayfair.
– Une seconde, mesdames.
Scott Marlow prit Higgins à l’écart et parla à voix basse.
– Vous avez entendu ? Je ne peux pas arrêter ces personnes !
– Pourquoi donc ? s’étonna Higgins.
– Mais… ce serait bouleverser l’équilibre du royaume, pénaliser l’Angleterre ! Elles ont toutes précisé le nom de leur patron. J’ose à peine le répéter. Ce serait un scandale, Higgins, le plus terrible des scandales !
– Sans compter l’augmentation du nombre des chômeuses, superintendant. Je me rends à vos raisons. Mieux vaut éviter un pareil drame, en effet. Ces dames devraient peut-être signer une déclaration, malgré tout.
– Bien entendu, approuva Scott Marlow, soulagé par l’attitude compréhensive de Higgins. Je m’en occupe moi-même.
– Parfait. De mon côté, je vais poser quelques questions à Mlle Lillby. Sans trop m’avancer, je crois qu’elle était quelque peu visée par la lettre anonyme.
– Comme vous voudrez.
Le crime de la momie
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