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Higgins et Scott Marlow passèrent le début de la soirée à préparer la reconstitution prévue pour le surlendemain. Le superintendant était chargé de prévenir officiellement l’ensemble des participants. Il avait émis quelques observations lorsque Higgins lui avait exposé sa stratégie, mais acceptait de jouer le jeu, ne possédant aucune solution meilleure.
Scott Marlow avait exigé qu’on ne les dérangeât point, sauf en cas d’urgence. Un inspecteur stagiaire frappa à la porte vitrée du bureau. Furibond, Marlow ouvrit.
– Qu’est-ce que c’est ?
– Un appel de l’extérieur pour l’inspecteur Higgins. Personnel et urgent. La personne n’a pas voulu se nommer. Elle a simplement précisé qu’il s’agissait de l’affaire Mortimer.
– Passez-la-moi dans mon bureau.
Higgins décrocha. Il écouta son correspondant sans mot dire. « J’arrive », conclut-il avant de raccrocher.
– Qui était-ce ? demanda Scott Marlow, redoutant une nouvelle complication.
– J. J. Battiscombe. Il désire faire une révélation.
*
L’ex-veilleur de nuit avait fixé rendez-vous à Higgins dans un pub, leMuseum Tavern, célèbre pour sa collection de parapluies. Higgins découvrit J. J. Battiscombe en civil, attablé devant une chope de bière brune. Il portait un costume gris croisé, passablement élimé. L’ex-inspecteur-chef s’assit en face de lui.
– Bonsoir, monsieur Battiscombe. Vous semblez fatigué.
J. J. Battiscombe but une gorgée. Sans uniforme, il avait perdu toute superbe.
– Inspecteur, j’ai l’impression que vous me soupçonnez de graves méfaits.
– Dois-je comprendre que vous souhaitez passer aux aveux ?
L’ex-veilleur de nuit s’étrangla. La gorge sèche, il fut obligé de boire à nouveau un peu de bière.
– Un détail m’est revenu, inspecteur ; j’ai pensé qu’il pourrait vous intéresser.
– Ce sont les bizarreries de la mémoire, commenta Higgins. Elle nous fait parfois défaut à des moments importants. Quel est ce détail ?
– Un homme m’a interrogé, au British Museum. Il voulait savoir si Frances Mortimer venait parfois à l’annexe et à quels moments. J’ai refusé de lui répondre, bien entendu. Il prétendait appartenir à une agence de détectives privés. J’ai exigé un document officiel, il m’a montré une carte.
– Vous l’avez gardée ?
– Il n’a pas voulu me la laisser. Mais je n’ai pas oublié les références : agence Holmes, 18 Greek Street.
Higgins se leva. J. J. Battiscombe esquiva un geste pour le retenir.
– Inspecteur… J’espère que vous apprécierez.
– Naturellement, monsieur Battiscombe.
*
Higgins se présenta à l’hôtel particulier des Mortimer un peu avant midi. Agatha Lillby l’introduisit dans le grand salon et le pria d’attendre quelques minutes, car Sir John Arthur recevait deux personnalités du monde culturel. Higgins accepta de bonne grâce, heureux de pouvoir contempler à loisir une magnifique stèle égyptienne du Moyen Empire et un tableau de la Renaissance italienne représentant une jeune femme à son balcon.
Quand Agatha Lillby conduisit Higgins auprès du professeur, un quart d’heure plus tard environ, le nouveau directeur du British Museum ne cacha pas son inquiétude.
– J’espère que vous ne m’apportez pas de mauvaises nouvelles, inspecteur. Philipp est prostré. Il n’a rien voulu dire à propos de sa fugue.
– Rassurez-vous, rien de grave. Permettez-moi d’abord de vous féliciter pour votre nomination. J’ai lu avec intérêt l’article duTimessur votre carrière.
– Merci, inspecteur. J’espère que vous serez des nôtres lors de la réception organisée par le Museum pour fêter l’événement.
– Ce sera un grand honneur.
– J’ai également invité le superintendant Marlow qui, de son côté, m’a convié pour demain après-midi à une reconstitution du crime. J’avoue que revivre ces événements…
Higgins déambulait, toujours attiré par les gros dictionnaires de hiéroglyphes.
– Un très pénible devoir, professeur. Mais le superintendant est obligé de procéder ainsi. Il est probable que cette reconstitution ne nous apportera guère d’éléments nouveaux ; néanmoins, la bonne marche de l’enquête nous y contraint.
Sir John Arthur n’avait pas le visage réjoui d’un homme venant d’être élevé à une très haute fonction. Il savait admirablement cacher sa peine, et gardait fière allure, conscient de son rang.
– J’ai pris la liberté de vous importuner en raison d’un curieux événement qui pourrait relancer l’enquête.
– Philipp…
– Non, il ne s’agit pas de votre fils. L’ex-veilleur de nuit de l’annexe, J. J. Battiscombe, m’a fait part d’un entretien avec un détective privé appartenant à l’agence Holmes. Il m’a donné une adresse que lui avait indiquée ce détective. Je m’y suis rendu. Il n’y a aucune agence Holmes à cet endroit, seulement un cabaret satirique d’un goût parfois douteux. Ce détective a menti sciemment, ce qui n’a rien d’étonnant. Ce qui l’est plus, professeur, c’est que quelqu’un menait une enquête sur votre épouse.
Sir John Arthur émit un discret soupir.
– C’est exact, inspecteur. Je suis parfaitement au courant. Cette enquête, c’est moi qui l’ai demandée à l’agence Christie’s and Sons. Enquête n’est d’ailleurs pas le bon terme… En réalité, je faisais protéger Frances.
– Elle courait donc un danger ?
– Indirectement… Peut-être aviez-vous raison. C’est sans doute moi qui devais être assassiné à la place de Frances. Je ne voulais pas qu’on m’atteigne à travers elle.
– Avez-vous reçu des menaces précises ?
– Menace est un bien grand mot. Disons que ma carrière a sans doute exacerbé des jalousies. Il y a bien eu un coup de téléphone anonyme que je n’ai pas pris au sérieux et qui avait rendu Frances inquiète. Elle ne voulait pas que je m’expose. Les milieux scientifiques ne comptent pas parmi les plus tendres. Et c’est le soir où Frances était parfaitement protégée…
Higgins parut embarrassé.
– Vous auriez dû me parler plus tôt de ce coup de téléphone et de cette protection.
– Je n’y pensais plus, répondit le savant sans la moindre gêne. Ces détails me semblent tellement futiles, aujourd’hui.
– Je vous comprends, Sir John Arthur. Mais voici au moins un point éclairci. À demain, donc.
*
L’agence Christie’s and Sons avait élu domicile dans Savile Row, au sein d’un des quartiers chics de Londres, tout près de Bond Street. Spécialisée dans l’étude de cas obligatoirement discrets, car appartenant à la haute société britannique, Christie’s and Sons ne faisait aucune publicité tapageuse. Le bouche à oreille suffisait amplement à sa réputation.
Higgins fut reçu dans un bureau spacieux dont le mobilier était de style Stuart. L’ex-inspecteur-chef ne l’appréciait guère, le jugeant à la fois lourd et maniéré.
Le représentant de l’agence était jeune, alerte, sûr de lui.
– Très honoré de vous recevoir, monsieur. Ne prononçons pas encore de nom, si vous le voulez bien… Discrétion oblige !
Higgins approuva.
– Laissez-moi deviner… Ne viendriez-vous pas pour un divorce ?
– Pas exactement, répondit Higgins. Pour un meurtre.
Son interlocuteur blêmit.
– Nous n’apprécions pas ce genre de plaisanteries. Nous sommes une agence sérieuse, nous avons nos entrées à Scotland Yard et…
– Je viens précisément du Yard, l’interrompit Higgins, j’aimerais m’entretenir avec vous du dossier d’un de vos clients. À titre confidentiel et officieux… À moins que vous ne préfériez l’intervention du superintendant Marlow ?
Le responsable de Christie’s and Sons redevint tout miel.
– Je suis à votre disposition, inspecteur.
Le crime de la momie
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