L’âme et le corps
L’âme est le principe vital, éternel et immuable qui habite le corps. C’est une notion religieuse qui ne doit pas être confondue avec l’esprit. La culture, la mémoire, l’imagination relèvent de l’esprit. Elles peuvent varier d’un âge à un autre, d’une situation à une autre. Le dormeur, l’ivrogne et le fou se définissent par l’état de leur esprit, non par leur âme. L’âme est une lueur divine prisonnière d’un corps le temps d’une vie. La mort est sa libération.
Telle est du moins la conception platonicienne, néoplatonicienne et chrétienne de la relation de l’âme et du corps. Elle souligne les sujétions matérielles imposées à l’âme par le corps, sa situation ici et maintenant dans l’espace et le temps, sa faiblesse, sa vieillesse, ses besoins, ses maladies. Le corps doit être nourri, habillé, soigné. Et de quelles exigences, de quelles souffrances n’est-il pas le siège !
Selon une autre vision – qui s’épanouit avec les recherches des anatomistes de la Renaissance – notre corps est un objet d’étude incomparable. Il nous en apprend plus qu’aucun autre sur les lois de la nature, puisque nous le vivons de l’intérieur. Son étude ne peut que nous remplir d’étonnement et d’admiration. La sculpture antique avait célébré sa beauté extérieure. L’anatomie et la physiologie nous apprennent quelle machine merveilleusement agencée il est. Certes il est vulnérable, mais c’est parce qu’il est aussi efficace. Si l’on veut pouvoir agir dans le monde matériel, il faut accepter le risque de pâtir. L’âme doit se féliciter d’avoir à sa disposition cet instrument de précision pour s’insérer dans la vie concrète, et le jour de sa mort elle doit pleurer d’être séparée d’un aussi admirable compagnon.
C’est pourquoi l’âme doit ménager et entretenir son corps, comme un cavalier soigne son cheval. Jean-Jacques Rousseau : « Plus le corps est faible, plus il commande ; plus il est fort, plus il obéit. » Cette conception du corps-cheval mène à sa réhabilitation morale. À l’image d’une âme éthérée, traînant, comme un boulet, un corps plein d’appétits grossiers et impérieux, se substitue celle d’un corps naïf, sage et sain – comme un animal – chevauché par une âme perverse, vicieuse et suicidaire. Si le corps devient alcoolique, tabagique ou morphinomane, n’est-ce pas son âme qui lui a infligé ces tares ? Le premier contact d’un corps vierge avec l’alcool, le tabac ou la drogue provoque de sa part un réflexe de rejet violent qui est la santé même. Il faut que l’âme dresse le corps à supporter et à aimer ces perversions.
Cette réhabilitation du corps trouve sa justification religieuse dans le dogme chrétien de la « résurrection de la chair », selon lequel, à la fin des temps, tous les morts reviendront à la vie avec un corps que saint Paul qualifie de glorieux (1, Corinthiens XV). Les théologiens attribuent à ce corps nouveau quatre attributs essentiels : l’éclat, l’agilité, la subtilité et l’impassibilité.
CITATION
Animula, vagula, blandula
Hospes comesque corporis
Quae nunc abibis in loca
Pallidula, rigida, nudula
Nec, ut soles, dabis iocos.
Petite âme vagabonde et câline,
Compagne et convive du corps,
Voici que tu descends dans des lieux
Livides, farouches et nus
Où tu ne t’adonneras plus à tes jeux habituels.
Empereur Hadrien