Dieu et le Diable

 

L’Être suprême infiniment puissant, bon, savant, créateur et maître de toutes choses est présent à la créature humaine selon deux voies : la foi et la théologie. La foi, c’est simplement le sentiment d’une présence souveraine que le croyant éprouve à son côté, et grâce à laquelle il ne connaît pas la solitude. Cette présence suffit à remplir la vie des mystiques qui n’ont ainsi que l’apparence de la claustration. Mais elle peut s’effacer, et le mystique traverse alors dans une « nuit obscure » une épreuve de « déréliction ».

La théologie est la connaissance intelligente et rationnelle de Dieu. Elle culmine dans « l’argument ontologique » de saint Anselme qui fut ainsi le plus grand des théologiens. Cette preuve intelligible de l’existence de Dieu se formule de la sorte : entre toutes les idées, celle de Dieu – et elle seule – contient l’attribut de l’existence, puisqu’elle est la plus parfaite de toutes les idées. Si elle ne contenait pas cet attribut, il faudrait aussitôt la rebuter et la remplacer par une autre qui, elle, le contiendrait.

Leibniz a donné de l’argument ontologique une version en harmonie avec sa philosophie. Selon lui, les idées se pressent vers l’existence en fonction de la perfection qui est en elles. Elles n’y accèdent que si elles sont compatibles avec les idées plus parfaites réalisées avant elles. L’idée de Dieu, étant la plus parfaite de toutes les idées, se réalise la première et n’a donc pas à satisfaire à cette condition de compatibilité. S’il y a une idée de Dieu, Dieu existe donc.

Les créatures jouissent d’une liberté d’autant plus grande que Dieu les a faites plus parfaites. C’est pourquoi les animaux sont incapables de pécher. À l’autre pôle de la création, Lucifer – le Porte-Lumière –, la plus parfaite des créatures, devait succomber à l’orgueil et s’affirmer l’égal de Dieu. Il préside le royaume de l’enfer (qu’il ne faut pas confondre avec les Enfers de l’Antiquité gréco-latine) et il hante comme Diable le destin des hommes. Le Moyen Âge nous a légué une image hideuse et répugnante du Diable. Il faut attendre John Milton et son œuvre, Le Paradis perdu (1671), pour que Satan retrouve sa sombre beauté de grand vaincu. Lord Byron et Charles Baudelaire le pareront à leur tour des prestiges de l’intelligence sceptique et de la lucidité amère. La littérature française du XXe siècle a fait largement appel au personnage du Diable. Il apparaît dans l’œuvre de Léon Bloy, Paul Claudel, Paul Valéry, François Mauriac, Jean-Paul Sartre, etc. C’est qu’il incarne le négatif de façon vivante, efficace, dramatique et pour ainsi dire positive.

CITATION

Je suis l’esprit qui toujours nie !

Et ce à bon droit, car tout ce qui prend naissance

Mérite d’être détruit.

Mieux vaudrait dès lors que rien ne naquît.

Ainsi donc tout ce que vous nommez péché,

Destruction, bref le Mal

Est mon élément propre.

Faust, 1808

Goethe