Chapitre 12 DU TROUBLE APPORTÉ PAR L’IMAGE

Méduse, fille de Phorcus, déplut à Minerve, déesse de la sagesse, qui, pour la punir, métamorphosa ses cheveux en serpents. La tête de Méduse ainsi coiffée changeait en pierres tous ceux qui la regardaient. Vous eussiez dit que l’image, cette belle image d’or, de pourpre, d’émeraude et de saphir, qui coûtait un sou, produisait un pareil effet sur les convives du vicomte Paul.

Aussitôt que le doigt du vicomte eut désigné l’image aux regards des convives, il se fit un subit et profond silence autour de la table.

Le rayon visuel de Lotte sembla glisser et s’allonger sous la frange soyeuse de ses cils, et joindre son œil au papier par une ligne de blanche lumière.

Puis sa paupière se ferma.

Fanchon voulut ressaisir la feuille volante ; elle semblait ressentir plus vivement que les autres cette consternation qui pesait sur les convives, mais le vicomte Paul s’était emparé déjà de l’image et la contemplait, disant :

– Le Juif-Errant ! Qu’est-ce que c’est que le Juif Errant ?

À onze ans qu’il avait, le vicomte Paul n’avait donc jamais ouï parler du Juif-Errant ? Nous avons fait déjà allusion à cette circonstance singulière.

Il n’y a pas en France un enfant de six ans qui ne sache l’histoire du Juif-Errant. Et nous verrons bientôt qu’à Tours, en Touraine, précisément à cause du colonel de Savray et de la belle comtesse Louise, sa femme, on s’occupait du Juif-Errant plus qu’en tout autre pays de France.

En outre, dans le château même, ils appelaient Lotte, cette douce enfant, « la fille du Juif-Errant ! »

On ne lui avait donc jamais donné ce sobriquet devant le vicomte Paul ?

Pourquoi ?

Souvenez-vous que la comtesse Louise, en parlant de la complainte du Juif-Errant, avait dit à Fanchon, la nourrice :

– Madame Honoré, si vous voulez rester avec nous, ne chantez jamais cela !