Derrière la porte du cabinet l’étranger était debout en face de M. Lemercier, à qui il avait dit : « Regardez-moi ».
Les jambes de M. Lemercier tremblèrent sous le poids de son corps.
L’étranger le saisit dans ses bras au moment où il allait tomber à la renverse, en balbutiant ces mots :
– Mon fils Henri ! mon fils Henri !
Jeanne essaya de se lever, mais l’émotion la tenait clouée à son siége.
Le colonel Américain Henri Lemercier du faubourg Poissonnière, puisque nous savons désormais son vrai nom, riait et pleurait à la fois.
– Père ! s’écria-t-il en levant le vieillard dans ses bras, père bien-aimé, me pardonneras-tu ?
– Ta mère… murmura le vieillard, je vais chercher ta mère…
– Pas encore ! il faut la préparer…
– C’est juste, dit M. Lemercier, doux comme un enfant. Je perds la tête, vois-tu… Est-il possible, mon Dieu ! Henri ! mon fils Henri ! Un colonel des États-Unis !… est-ce pour le carnaval ?
– Non, c’est pour tout de bon, père, répondit gaiement le colonel ; mais nous sommes quatre, tu sais : ma femme et mes deux chéris.
– Tes enfants ! mes enfants ! s’écria le vieillard ; ta femme… ma fille !
Il tendit les bras. Jeanne s’y précipita, muette de bonheur.
Pendant une minute, ils ne parlèrent plus. M. Lemercier reprit :
– Ta mère, Henri… ma femme…
– Oh ! c’est la bonne bouche, cela, père, s’écria le colonel. Je t’aime dix fois plus que ma vie ; mais, tu n’es pas jaloux, n’est-ce pas ? Ma mère ! ma sainte et bien-aimée mère !… Il faut attendre… la préparer petit à petit… Comment trouves-tu ta fille, père ?
M. Lemercier ne répondit qu’en pressant Jeanne contre son cœur.
– Comme ses sœurs vont l’aimer ! pensa-t-il tout haut.
– Mes excellentes sœurs ! Père, je n’ai pas été un seul jour sans penser à vous tous. Mais regarde-moi donc ! Est-ce que je ressemble encore au portrait qui est sur la boîte d’écaille de maman ?
– Tu ressembles à un brigand, répondit le vieillard en souriant à travers ses larmes. Que va dire ton oncle le curé ?… Mais comment se fait-il, expliquez-moi donc cela, mes enfants, comment se fait-il que ma belle Jeanne… ma fille !… ne m’ait pas dit un mot de tout cela depuis deux ans qu’elle vit à dix pas de moi ?
– Elle eût été bien embarrassée, père. Elle a su mon nom seulement quand elle t’a entendu m’appeler « mon fils. »
– Vraiment !
Un nuage vint au front du brave négociant.
– Oh ! sois tranquille, père, nous sommes mariés : par un prêtre hongrois.
– Sont-ce de vrais prêtres ? demanda M. Lemercier.
– Je crois bien ! La cathédrale de Gran est la métropole de toute l’Autriche !
– Et tu as ton acte de mariage ?
– Nous le ferons venir. Jeanne s’est cruellement mésalliée en épousant le fils d’un commerçant, je te préviens de cela, père. M. Jacoby est palatin hongrois.
– Ah ! ah ! palatin… Il faut, me pardonner, ma fille, je ne sais pas du tout ce que c’est qu’un palatin.
– C’est quelque chose comme un demi-cent de sénateurs.
– Vraiment ! Ah çà ! c’est donc un roman que ton histoire ?
– Un vrai roman ! Asseyez-vous là tous les deux, car Jeanne n’en sait pas beaucoup plus long que toi, père. Je vous raconterai les détails une autre fois, aujourd’hui, je vais vous dire le gros. M. Lemercier, tout sage que vous êtes, vous avez donné le jour à un grand fou, et, quand je regarde en arrière, je me demande où j’ai pu prendre tant d’idées extravagantes. Ceci est le préambule. M’écoutez-vous ?
Le vieillard et la jeune femme étaient assis et se tenaient par la main.
– Nous t’écoutons, dirent-ils.
– Et moi aussi, prononça une voix pleine de larmes de l’autre côté de la porte.
Henri ne fit qu’un bond et rapporta sa mère dans ses bras.
Jane, mon ange, voilà ce que je ne saurais pas te peindre. Nul n’a pu trouver encore le fond d’un cœur de mère. Ce furent des baisers, des étreintes, des pleurs. Mme Lemercier voulait être toute à son fils et ne pouvait se lasser d’admirer sa nouvelle fille. Elle voulait envoyer chercher les deux enfants pour les voir ; elle voulait aussi ses quatre filles et tous ses autres petits-enfants pour leur faire voir. Elle riait, elle sanglotait, elle avait le délire.
– Que tout le monde écoute ! ordonna Henri, qui était le maître. Il est permis de rire, de pleurer, de s’embrasser ; mais je dois une histoire, je la paye. Tant pis pour ceux qui s’occuperont à autre chose. J’ai deux jours de traversée et quarante heures de chemin de fer dans le corps. Il faudra bien que je dorme, à la fin. Y est-on ?
– Nous y sommes.
– Me voilà donc parti pour chercher des aventures. Dix huit ans, et ne sachant à quelles bagarres me vouer. Je ne comprends pas beaucoup la politique. Il me fallait me battre, n’importe pour qui ; telle était ma vocation. Je ne m’en vante pas. Je pense qu’elle est la punition de tous les bordereaux qui se sont faits depuis cinquante ans dans la maison de papa. Le commerce a couvé ici un œuf de bandit. Avançons.
» Au lieu de garder le roi de Naples, dont le fils s’est crânement conduit à Gaële, je tirai d’abord des coups de fusil aux Russes et aux Autrichiens, tout le long du Danube. Je fus blessé, parce que j’allais au combat comme à la noce, et au mois de juin 1848, le père de Jeanne me recueillit en son château de Kaunitz, près de Debreckzin. Jeanne me soigna et je l’aimai. C’est la règle. Je m’appelais le capitaine Henri, tout uniment, par la crainte que j’avais d’inquiéter ma bonne mère, qui aurait vu mon nom dans les journaux. Le palatin Jacoby, fier comme Guzman, n’aurait pas plus donné sa fille, du reste, à M. Henri Lemercier qu’au capitaine Henri. Nous nous mariâmes. Je rejoignis l’armée ; je fus fait prisonnier par les Russes, et, depuis lors, je n’ai revu ma femme que cette nuit, dans la cour de notre hôtel, ici, faubourg Poissonnière, à Paris.
» Je m’échappai du château de Szegedin, où l’on gardait les captifs ; je tuai en duel un magnat hongrois, qui était un excellent seigneur, mais que le palatin Jacoby voulait avoir pour gendre. Les Magyars se mirent à me poursuivre comme un chien enragé ; je me rendis aux Russes. J’eus dispute avec un colonel d’artillerie, qui était bien le plus galant homme que j’aie rencontré jamais. Il avait dit du mal de votre gouvernement provisoire de 1848, et il avait bien raison, mais je n’en savais pas plus long, et ce bêta de gouvernement, c’était la France, pour le moment. Nous allâmes sur le pré, le colonel et moi ; il y resta. Je fus envoyé tout net en Sibérie.
» Il y a du bon partout, même en Sibérie ; seulement on n’y peut pas écrire à ses parents. Je fus employé à faire de l’or, et Dieu sait que la Californie n’est que de la Saint-Jean auprès de ces riches placers perdus sous la neige. Je m’ennuyais, je me sauvai ; je fus repris, je me sauvai encore. Cela m’occupait. Je voyais toujours ma mère et ma femme ; j’aurais brisé des murs de diamant.
» Les évasions sont rares en Sibérie. Un jour j’entendis parler de la guerre de Crimée. Les Russes sont de bons enfants qui aiment beaucoup les Français. Ils me racontèrent les exploits de l’armée française dans la Baltique et dans la mer Noire. Vive Dieu ! me disaient-ils, si les Anglais ne vous avaient pas, comme nous les rosserions ! Mais il est écrit que l’Angleterre trouvera toujours moyen de s’abriter derrière la vaillance française sans jamais lui rendre la pareille. Cela m’est bien égal. Je n’aime pas beaucoup les Anglais ; mais il faut que tout le monde vive.
» Le soir du jour où il me fut parlé de la tour Malakoff, je sautai en bas d’un rempart de quarante pieds, j’en escaladai un autre de même taille, et je fis douze lieues dans la neige. J’allais à Sébastopol. Des monts Altaï, où j’étais, jusqu’à la Crimée, il y a loin ; n’importe, j’étais lancé. J’avais un costume russe je savais la langue : marche !
» Je marchai. J’arrivai à Sébastopol juste une année après la prise de Malakoff.
» J’écrivis à ma femme en lui disant mon nom, cette fois, et en la priant de donner de mes nouvelles à ma bonne mère. La lettre doit être à la poste de Gran ; nous l’irons chercher quelque matin.
» J’étais libre, morbleu ! et c’était bien le principal. J’atteignis la frontière turque comme je pus. Me voilà chez des alliés. Vive la France !
» Je ne connais rien en politique ; mais s’il fallait juger la France par ses alliés ottomans, miséricorde ! On parle des Russes ! mais les Russes sont des chérubins auprès de ces magots de Turquie, stupides, cruels, voleurs, menteurs, assassins et poltrons. Il y a pourtant de braves gens parmi eux, seulement, ils sont trop rares.
» Enfin, n’importe ! Je m’embarquai en qualité de matelot sur une grande coquine de felouque mal faite, mal gréée, mal voilée et, surtout mal fréquentée, qui portait quelques marchandises moisies. Nous fîmes voile de Sinope pour les îles de l’Archipel. Le commandant du navire me donna trois fois des coups de bâton. Il les donnait très-bien. Je les lui rendis à Lemnos, localité célèbre au collége. Je lui cassai les deux bras, les deux jambes et la tête. L’équipage voulut me nommer pacha ; mais on parlait d’une campagne que la France devait faire en Italie, j’avais hâte d’arriver.
» J’arrivai le lendemain de la paix de Villafranca. Est-ce du guignon ? Heureusement, j’étais à Venise. Je fis connaissance avec une douzaine d’officiers autrichiens, gais compagnons, doux comme des agneaux et braves comme des lions. Les journaux, je vous en préviens vous en font avaler de bien fortes au sujet des étrangers. Tout en fréquentant mes Autrichiens, je rencontrai un honnête garçon qui conspirait contre l’Autriche. Je fis de tendres adieux à mes habits blancs d’Autrichiens et je m’embarquai pour Gênes. De Gênes, je passai volontaire en Sicile. J’y restai peu : j’aime la guerre, c’est vrai, mais non pas celle-là, et dès que j’eus regardé de près Garibaldi, l’idée me vint de me faire zouave du pape : à la bonne heure ; ceux-là sont des soldats ! Seulement, sur la route, en passant le détroit, je rencontrai Godard ; Godard, de la rue des Petites-Écuries, qui est contre-Amiral dans la flotte d’Alexandre Dumas. Il me donna des nouvelles de ma mère, de mon bon père, de mes chères sœurs, de tous les petits enfants… Il paraît que nous fondons un clan, ici, dites donc, comme dans les romans de Walter Scott ?…
» Godard n’est pas beau ; mais sa vue me fit verser des larmes. C’était la patrie ; bien plus que la patrie, c’était le faubourg Poissonnière. À son aspect, tout le boulevard Bonne-Nouvelle passa devant mes yeux éblouis. Je vis le Gymmase, le Bazar, la porte Saint-Denis… Oh ! la porte Saint-Denis ! Je remontai le faubourg par la pensée j’aperçus le Conservatoire, le Garde-Meuble et la chère porte de notre maison.
» Ma mère, ma pauvre bonne mère, j’aurais passé en ce moment la Méditerranée à la nage pour venir me jeter dans tes bras. Je me bouchai les deux oreilles pour ne pas entendre le bruit héroïque du canon de Gaëte, et je sautai sur le pont du bateau à vapeur.
» Vous croyez peut-être que c’est tout ! Hélas ; non. Je ne sais comment ce diable de major Smith m’embaucha. Il était à Marseille, le major Smith, fabricant de cuir de coton, et il embarquait des soldats pour New-York. La guerre d’Amérique, hein ? Comment résister à cela ! Je partis pour renforcer l’armée fédérale ; mais heureusement je me trompai de chemin, et j’ai passé six mois dans les rangs des hommes du Sud, qui ont eu l’obligeance de me nommer colonel. Quels gaillards ! Savez-vous pourquoi ils se hachent, là-bas ? Non ? ni moi non plus. Un bandagiste, qui commandait mon corps d’armée, et qui battait sa femme parce qu’elle mettait de l’eau dans son rhum, me tira un matin quatre coups de revolver ; on n’a jamais pu deviner pourquoi. Je me fâchai, je le brutalisai ; il en mourut. On voulut me pendre, ce n’était pas mon opinion, je pris la clé des champs.
» Un brick français était en partance ; il se nommaitle Parisien : embarque !
» Je dis au capitaine : « Toujours tout droit jusqu’au faubourg Poissonnière ! »
» Et voilà ! Le bon Dieu, qui a pitié des fous comme des ivrognes, voulait me faire une surprise à mon arrivée à Paris et rassembler en un gros bouquet tous mes chers amours pour fêter mon retour dans ma patrie. Je comptais courir en Autriche, après avoir embrassé mes parents ; je retrouve ici, non seulement tous ceux que j’y ai laissés, mais ma femme, mon trésor de femme, mes enfants, aussi. Je raille pour garder une contenance, mais j’ai envie de pleurer… Je pleure… je suis heureux, je vous aime… embrassez-moi !
Ses larmes inondèrent, en effet, son mâle visage. Paris produit de ces aventuriers qui sont bons comme du pain et qui font pis que pendre. On l’embrassa ; sa figure hâlée et tout humide de pleurs n’était pas assez large pour tous les baisers qu’on y mettait à la fois.
Ceux qui l’entouraient et lui-même étaient trop occupés pour remarquer cela ; mais, depuis quelques minutes, un bruit confus se faisait entendre dans le corridor. C’étaient des piétinements, des rires, des murmures et des chuchotements. Tout cela se taisait quand on cessait de parler dans le cabinet.
– Et maintenant, fils, dit Mr Lemercier d’un ton suppliant, c’est bien fini, n’est-ce pas ?
– Bien fini, répéta le grand-père, tu nous as fait assez de chagrin.
– Dis, Henri, implora la jeune femme, réponds à ton père et à ta mère, tu ne nous quitteras plus ?
L’oncle Henri hésita un instant. Il regarda son uniforme, mais il regarda aussi les beaux yeux de Jeanne.
– Ma foi, dit-il, j’ai trente ans, c’est l’âge de se ranger. On a beau dire, les aventures sont fatigantes, et, sans parler de la Russie j’ai passé des instants bien désagréables, tant avec nos alliés les Turcs que chez les héros du Potomac. J’avais bien songé à faire une pointe jusqu’en Pologne, mais on y parle latin et c’est le chemin de la Sibérie. Réflexion faite, à bas la guerre ! vive la famille ! je me fais marguillier de la paroisse Saint-Eugène, adjoint au maire ou sergent-major de la garde nationale, au choix du gouvernement. Soupe-t-on ? Si c’est encore l’habitude de ces contrées, je mangerai une tranche de foie gras avec plaisir… La main aux dames !
Il saisit à la fois sa mère et Jeanne et les entraîna ravies vers la porte.
Au moment où il l’ouvrait, un fracas épouvantable éclata, et la maison trembla sous la frénésie des applaudissements qui grondèrent dans les corridors.
– En triomphe ! l’oncle Henri ! en triomphe ! criaient cinq cents voix enthousiastes dont le timbre généralement suraigu donnait plus de montant à cette manifestation. Vive l’oncle Henri qui a été en Sibérie ! Vive l’oncle Henri qui a pris la tour Malakoff un an après le maréchal Pélissier ! Vive l’oncle Henri qui a cassé un Turc comme une poupée ! Vive l’oncle Henri qui se battait sans savoir pourquoi ! Colonel ! adjoint ! sergent-major ! propriétaire ! et marguillier ! Vive l’oncle Henri qui est revenu ! Vive sa femme ! vivent ses enfants ! vive le souper ! En triomphe ! en triomphe !
Les monstres avaient écouté, Jane ; les monstres avaient entendu ! Penses-tu qu’ils respectaient le héros de tant de belles aventures ? Du tout ! ils se pendaient à sa tunique comme la trop nombreuse famille de la mère Gigogne s’accroche à ses jupons. Ils voulaient tous en avoir un morceau pour en faire sans doute des reliques. Oh ! certes, l’oncle Henri avait couru de bien grands dangers en sa vie, mais jamais il ne s’était trouvé à pareille mêlée.
Figure-toi cinq cents diables acharnés contre un aventurier paisible ! Il ne savait auquel entendre et demandait grâce en riant aux larmes.
– Où sont mes neveux ? où sont mes nièces ?
– Moi, moi, moi !
Tous ! figure-toi Jane ! Ils étaient tous ses nièces et ses neveux. Maurice, qui était monté sur ses épaules par derrière, avait beau l’étouffer, il ne pouvait se faire entendre. Maurice voulait désigner loyalement les vraies nièces et les vrais neveux, mais, bah ! Je t’en souhaite !
– Moi, moi, moi !
– Mon oncle, ne reconnais-tu pas ton petit Augustin ? criait un scélérat de mandarin, jaune comme un serin.
– Mon oncle, mon bon oncle, ne fais pas languir ta petite Célestine ! roucoulait une Albanaise.
– Ah ! mon oncle ! pleurait Arlequin, je suis ton Casimir ! Comme tu m’aurais fait sauter sur tes genoux si j’avais été au monde avant ton départ !
– Embrasse Gustave, mon oncle !
– Mon oncle ! une caresse à Sidonie !
– N’as-tu rien rapporté pour Aglaé ?
– Pas un souvenir à Clémence !
– Mon oncle ! mon oncle ! mon oncle !
Deux cent cinquante nièces ! deux cent cinquante neveux ! L’oncle Henri devenait fou comme un cheval tourmenté par les mouches. Il cherchait de bonne foi les fils et les filles de ses sœurs ; il tâchait de les distinguer par la ressemblance, mais son regard se noyait dans cet océan de visages joyeux et moqueurs. Il ne reconnaissait plus ses propres enfants, qu’il n’avait vus qu’une seule fois, il était perdu, débordé, submergé ; un rire homérique le prenait.
– Je demande à retourner en Merrimaquie ! s’écria-t-il, capitulant franchement ; mes neveux et mes nièces, ayez pitié de moi ! Je me rends !
Ainsi parla ce libérateur de l’Italie et autres nationalités. Les assiégeants cessèrent aussitôt le feu, car il avait affaire à de généreux ennemis, et M. Lemercier commençait à faire les gros yeux. Une délicieuse Marie Stuart et un beau highlander sortirent des rangs et s’élancèrent dans ses bras en l’appelant papa. On ne riait plus. Henri et Henriette lui présentèrent Gaston ; Maurice, Fernand ; Claire, Antonine, Louise, Agathe et les autres, tandis que les jeunes mères attendaient leur tour pour le presser dans leurs bras, après avoir comblé déjà de caresses leur nouvelle sœur.
À table, maintenant ! Dans le jardin d’hiver ! Un festin de Balthasar !
Vertu-chou, Jane ! comme on soupa ! Il y en avait pour tout le monde. L’orchestre soupait, et sais-tu ce que peut manger un trombone qui soupe ? Les domestiques soupaient ; la concierge soupait, les pompiers soupaient. Ah ! qu’il est doux de voir un souper de pompier ! Maurice alla trinquer avec eux.
Six heures du matin sonnant, les cuivres, vaillamment embouchés, sonnèrent comme une fanfare en forêt. C’était le galop final. Maurice avait Henriette ; la petite Agathe s’était emparée d’Henri. L’oncle était la proie de Claire, d’Antonin, de Louise et d’une douzaine d’autres tyrans mignons. Le grand-papa ?… oui, Jane ! le grand-papa en était ; il avait pris sa nouvelle fille par la taille et galopait comme un perdu : la grand’maman galopait, tenue aux deux anses, comme un panier, par deux de ses gendres ; les quatre jeunes mères galopaient, tout le monde, quoi ! C’était un galop magnifique, imposant, monumental :
Quand il fut fini, on tira l’échelle.