Chapitre 5
Cincinnati, Ohio
Mardi 4 août, 7 h 05
— Qu’est-ce que vous foutez ? demanda le lieutenant Lynda Isenberg en s’appuyant contre le bureau de Scarlett. Je croyais que vous étiez en train d’étudier les vidéos de O’Bannion.
Scarlett sursauta. Lynda employait rarement un tel ton pour s’adresser à ses subordonnés, et presque jamais avec Scarlett. Elle ne lui en avait jamais donné l’occasion.
Elle s’essuya subrepticement les yeux, coupa le son de son ordinateur et appuya sur la touche PAUSE, figeant l’image de la vidéo qu’elle regardait. Et qu’elle écoutait. Il est vrai qu’elle s’était peut-être laissé un peu trop captiver par la beauté du chant de Marcus. Son timbre, riche et doux à la fois, agissait comme un baume sur le cœur meurtri de Scarlett. Tout en réveillant d’anciens chagrins.
— Je suis en train d’observer la victime, se défendit-elle en constatant avec soulagement que sa voix était ferme. Elle est là, regardez.
Elle désigna l’endroit, près du bord de l’écran, où se tenait Tala, hésitante et méfiante, à peine visible derrière les arbres.
— On dirait qu’elle va s’enfuir, observa Lynda d’une voix glaciale.
Quelque chose ne tournait pas rond, mais Scarlett éprouvait trop de respect pour Lynda pour se montrer indiscrète. C’était à sa chef de décider de se confier ou pas. Heureusement, Lynda faisait preuve de la même discrétion envers ses subordonnés. En tout cas, si elle avait remarqué les yeux rouges de Scarlett, elle se garda bien de lui demander pourquoi elle avait pleuré.
— Mais elle ne le fait pas, dit Scarlett. Jusqu’à ce qu’il ait fini de chanter. J’ai déjà regardé la moitié des dix vidéos du parc. Quand Marcus s’arrête de chanter, elle part. Mais elle reste toujours jusqu’à la fin de la chanson.
Lynda haussa les sourcils et écarquilla les yeux, sincèrement surprise.
— C’était Marcus O’Bannion qui chantait comme ça ?
— Oui.
La première fois que Tala l’avait entendu, elle avait semblé aussi stupéfaite que Lynda. Et, vidéo après vidéo, la gorge de Scarlett se nouait et ses yeux s’embuaient, tandis que des visions de Michelle lui revenaient en mémoire. Et s’achevaient toujours par la plus horrible, bien sûr… Tout ce sang.
C’est pourquoi elle évitait le plus souvent de se souvenir de son amie assassinée. Chaque fois qu’elle repensait à elle, elle sombrait toujours plus profondément, jusqu’à ce qu’elle trouve le courage de chasser ces visions douloureuses, affichant son flegme habituel, en bonne professionnelle. Tout comme Lynda en temps normal. Mais aucune des deux femmes n’arborait cette expression froide et déterminée en cet instant. Et, étrangement, cette émotion partagée avait quelque chose de réconfortant.
Lynda inspira un bon coup.
— On a chanté cette chanson à l’enterrement de mon mari, murmura-t-elle comme pour elle-même.
Scarlett en resta bouche bée. Cela faisait cinq ans qu’elle travaillait sous les ordres de Lynda, et elle n’avait jamais appris que sa chef avait été mariée.
— Je suis désolée…, dit-elle au bout d’un moment. Je ne savais pas…
— C’était il y a quinze ans, rétorqua abruptement Lynda. Aucun rapport avec cette affaire.
— Les chansons font renaître les souvenirs, dit doucement Scarlett.
Maintenant qu’elle avait eu un aperçu de la vulnérabilité de sa chef, elle aurait voulu que la vraie Lynda ne se réfugie pas si rapidement dans sa carapace.
— Cette chanson a été chantée à l’enterrement de ma meilleure amie, aussi, dit-elle en haussant les épaules.
Un long silence s’ensuivit, chacune des deux femmes évitant le regard de l’autre. Puis Lynda se racla la gorge et désigna l’écran de l’ordinateur.
— On ne la voit jamais sortir du bosquet ?
— Je n’en suis pas encore arrivée là. Marcus nous a déclaré qu’elle a laissé son caniche s’approcher assez près de lui pour qu’il puisse le caresser. Je n’ai pas encore visionné cette scène, mais tout ce qu’il nous a dit a été corroboré par les vidéos jusqu’à présent.
— C’est le contraire qui m’aurait étonnée, remarqua prudemment Lynda. Il ne vous aurait pas fourni volontairement des éléments qui infirment ses dires.
Surprise par le ton hésitant de Lynda, Scarlett se tourna vers elle. Cette fois, le regard de sa chef était assombri non par le chagrin mais par l’inquiétude.
— Que voulez-vous dire ? demanda Scarlett d’un ton un peu trop belliqueux.
— Vous avez des liens personnels avec cet homme. Ce n’est qu’un témoin, pour l’instant, mais il pourrait devenir un suspect. Dans une affaire de meurtre, Scarlett… Je ne vous cacherai pas que ça me préoccupe.
Scarlett était persuadée que Marcus ne pouvait en aucun cas devenir un suspect, mais elle décida de ne pas contester cette possibilité, histoire de ne pas donner à Lynda un prétexte pour lui retirer cette enquête.
Cette enquête qu’elle menait au nom de Tala, pas pour les beaux yeux de Marcus.
— Je ne suis pas liée à ce témoin, répliqua-t-elle sans détourner les yeux. Pas comme vous vous l’imaginez, en tout cas. J’ai eu en tout et pour tout cinq contacts avec Marcus O’Bannion…
Elle leva la main et leva les doigts l’un après l’autre et poursuivit :
— La première fois, c’était quand il a été blessé en sauvant la vie d’une femme. Puis je suis allée lui rendre visite deux fois à l’hôpital. Je l’ai revu, sans lui parler, à l’enterrement de son frère. Et enfin, j’ai répondu à son appel la nuit dernière. Voilà à quoi se limitent nos rapports.
Elle n’était pas tenue d’énumérer les innombrables nuits où elle était restée éveillée en regrettant que ces relations ne soient pas plus nombreuses et plus intimes. Ça, c’est mon petit secret.
Lynda n’avait pas l’air convaincue.
— Alors quelle est la nature de votre relation ? demanda-t-elle.
— Je crois que nous testons réciproquement nos idées reçues. Il se méfie des policiers, mais il a cru pouvoir compter sur moi pour aider Tala. Et moi, je me méfie très fortement des journalistes, mais je me dis que lui, il est différent. Et j’espère que vous comptez avoir la même conversation avec Deacon, ajouta-t-elle d’un ton glacial. Il est beaucoup plus « lié » à Marcus que moi, puisque celui-ci n’est autre que son futur cousin par alliance.
Lynda l’observa attentivement pendant un long moment avant de se tourner vers l’écran, où Tala se tenait toujours, figée, entre les arbres.
— Que pouvez-vous me dire de plus sur elle ? demanda Lynda.
— Elle avait dix-sept ans. Sans doute une migrante… J’ai déjà visionné ce que Marcus a filmé la nuit dernière. Je n’ai pas pu voir son visage très distinctement parce que la ruelle était mal éclairée, mais le son était très net. Je pense qu’elle est originaire des Philippines.
C’est Marcus qui l’avait suggéré le premier, en fait. Ça aussi, je le garde pour moi. Scarlett sélectionna la vidéo de la ruelle, remit le son et appuya sur PAUSE.
Scarlett tourna l’écran vers Lynda puis s’assit dans son fauteuil, regardant la scène pour la cinquième fois. Le salut timide de Tala. Les questions prudentes de Marcus.
« Pourquoi pleures-tu, Tala ? »
« Et vous, pourquoi pleurez-vous ? » répliquait la jeune fille.
À l’évocation de ces larmes, que Marcus ne démentait pas, Scarlett sentit sa gorge se nouer comme les fois précédentes. Non seulement il pleurait encore son frère neuf mois après son décès, mais il n’avait pas honte de l’avouer. Cependant, ces larmes, il les avait versées alors qu’il se croyait à l’abri des regards, au fin fond d’un parc et au beau milieu de la nuit. Scarlett se demanda quelle attitude il adoptait face aux membres de sa famille et au reste du monde.
Et elle se demanda s’il lui avouerait son chagrin, à elle.
Elle se rendit compte subitement que c’était ce qu’il venait de faire. En lui remettant les vidéos sans y être contraint, il avait effectivement ouvert son cœur non seulement à Scarlett, mais à toute autre personne à qui elle jugerait bon de les montrer. Il avait confiance en elle. Prise de court par cette douce pensée, elle se promit de mettre ses fichiers à l’abri des regards indiscrets.
Scarlett appuya sur PLAY et se blinda, sachant ce qui allait advenir tandis que la suite de la vidéo défilait. Mais elle n’en tressaillit pas moins lorsqu’elle entendit pour la cinquième fois le premier coup de feu.
Tala s’effondra sur le trottoir. Son visage remplit tout l’écran au moment où Marcus s’agenouillait à ses côtés. On voyait ensuite ses mains tremblantes découper un bout du polo de Tala et panser hâtivement la blessure. Puis Marcus se redressait vivement.
Lynda émit un petit grognement désapprobateur.
— Il la laisse toute seule, remarqua-t-elle.
— Juste le temps d’appeler les secours et de sécuriser la scène de crime, murmura Scarlett.
— Personne en vue, remarqua Lynda d’un ton crispé tandis que Marcus se mettait à courir. Dommage qu’il n’ait pas réussi à filmer le tireur.
— Il était en train de faire le tour du pâté de maisons pour revenir par l’autre bout de la ruelle et tirer deux autres balles. Marcus a appelé les flics à 2 h 47.
Le visage de Tala remplit de nouveau l’écran.
« Tala ! cria Marcus. Ne meurs pas, nom de Dieu ! Ne meurs pas ! »
Les lèvres de Tala remuèrent, articulant péniblement le mot : « Aidez… » Elle rassembla tout ce qui lui restait de forces pour souffler dans un râle douloureux : « Malaya. »
Lynda saisit la souris et mit la vidéo sur pause.
— Aidez Malaya ? fit-elle, intriguée. Qu’est-ce que ça veut dire, malaya ?
— Malaya se traduit par « libre » ou « libérer », en tagalog comme en malais, déclara doctement Scarlett.
Elle se garda bien, cette fois encore, de révéler que c’était Marcus qui le lui avait appris. Entre-temps, elle avait eu tout le loisir de vérifier cette information sur Internet.
— Elle lui a demandé de libérer sa famille, dit Lynda.
Puis elle disposa côte à côte l’image figée de Tala à la lisière du bosquet et celle de la jeune fille agonisant sur l’asphalte.
— Elle porte les mêmes vêtements, observa-t-elle.
Scarlett hocha la tête.
— Oui, j’ai remarqué. Elle est habillée comme ça sur toutes les vidéos. Un polo blanc et un jean délavé…
— Une sorte d’uniforme ?
— C’est ce que j’ai pensé. Je n’ai pas vu de logo sur le polo qu’elle portait quand elle a été abattue, puisqu’il était trempé de sang. Le technicien de scène de crime m’a promis que Vince m’appellerait si le labo trouvait quelque chose, mais il ne s’est toujours pas manifesté…
Vince Tanaka, le chef de la scientifique, était extrêmement méticuleux, et son équipe très compétente.
— Pas de logo visible sur les polos qu’elle portait au parc, non plus, poursuivit Scarlett. Mais la qualité de l’image laisse à désirer. Le labo est aussi en train de travailler sur les vidéos. Je peux vous dire aussi deux choses qui paraissent certaines. Premièrement, Tala connaissait son assassin.
Elle revint en arrière et s’arrêta à l’instant où une lueur d’épouvante bien particulière se lisait dans les yeux de la jeune fille, indiquant qu’elle avait reconnu l’homme qui s’apprêtait à la tuer.
— Vous avez raison, dit Lynda. On peut donc écarter la piste d’un meurtre à l’aveugle.
— Et cela confirme que ce n’était pas Marcus la cible, mais bien la jeune fille.
— Vous avez pensé qu’O’Bannion pouvait être visé ?
— Il est journaliste d’investigation. On peut donc se dire qu’il s’est fait pas mal d’ennemis… Il était censé m’envoyer une liste des personnes l’ayant menacé de mort ces dernières années, mais je ne l’ai pas encore reçue.
— Je suis sûre qu’il a visionné attentivement cette vidéo avant de vous la transmettre. Peut-être qu’il a tiré lui-même cette conclusion et pensé que vous n’aviez pas besoin de la liste, en fait.
— C’est possible… Mais j’aimerais bien y jeter un coup d’œil quand même.
— Vous avez raison. Demandez un mandat à un juge, si nécessaire.
— Je lui donne encore une heure. S’il se dérobe, je le ferai. Mais s’il a changé d’avis et s’il ne tient pas à ce que je voie cette liste, il l’a peut-être déjà effacée. Pour l’instant, je pars du principe que Tala était la cible. Nous allons interroger les habitants du quartier, les habitués du parc, et leur montrer des photos de Tala et du caniche. Je cherche parallèlement à identifier le chien.
— Vous allez faire la tournée des vétérinaires ?
— Bien sûr, mais je me suis dit que j’aurais plus de chances auprès des toiletteurs qui ont une clientèle huppée.
— Vous connaissez des toiletteurs ?
— Vous vous souvenez de Delores Kaminsky ?
— Mais bien sûr ! La femme qui a survécu… Elle est toiletteuse ? Je croyais qu’elle s’occupait d’un refuge pour animaux.
— Elle exerçait les deux activités avant son agression. Et elle envisage de se remettre au toilettage.
Lynda inclina la tête et jeta un regard acéré à Scarlett.
— J’ignorais que vous restiez en contact avec les victimes, dit-elle.
Scarlett haussa les épaules pour dissimuler son embarras.
— C’est rare, mentit-elle.
En réalité, elle prenait des nouvelles de toutes les victimes que ses enquêtes l’avaient amenée à rencontrer. Surtout les plus jeunes. Ces personnes avaient survécu à de terribles traumatismes. Scarlett ne supportait pas l’idée que les souffrances qu’on leur avait infligées pouvaient faire de leur vie un effroyable gâchis. Elle en avait poussé plus d’une à se placer sous la protection des services sociaux, n’hésitant pas à alerter ceux-ci lorsque l’une des victimes risquait de partir en vrille. Les travailleurs sociaux parvenaient parfois à les remettre sur la bonne voie. La plupart du temps, leurs efforts étaient voués à l’échec, et elles replongeaient dans le trou noir du système pénal et carcéral.
Mais Scarlett n’en persistait pas moins à les aider, et elle avait la ferme intention de continuer à le faire.
Lynda resta silencieuse, fixant Scarlett d’un regard entendu. Scarlett sentit ses joues rougir.
— C’est Dani et Faith qui m’ont fait connaître le refuge de Delores, dit-elle enfin après avoir lâché un soupir résigné.
La sœur et la fiancée de Deacon avaient prétexté avoir besoin du Land Cruiser de Scarlett pour transporter les chiens qu’elles venaient d’adopter. Mais celle-ci savait très bien que c’était une manière de l’inclure dans leur bande de filles. Ce qui avait d’ailleurs marché au-delà de leurs espérances.
— Quand Delores a repris conscience, elles sont allées la voir à l’hôpital. Ses amis se sont occupés de veiller sur les chiens, s’efforçant d’en placer le plus possible autour d’eux. Mais il y en avait beaucoup…
— Faith en a adopté deux, si je me souviens bien, dit Lynda en esquissant un sourire.
— Un labrador âgé de trois ans et un golden qui est encore un chiot.
— Je suis au courant. Deacon n’arrête pas de râler parce qu’ils lui mâchent ses chaussures…
Lynda haussa les sourcils comme si elle venait d’avoir une agréable révélation.
— Ne me dites pas que vous en avez adopté un, vous aussi, dit-elle d’un ton malicieux.
Scarlett leva les yeux au ciel.
— Oui, elles m’ont fait culpabiliser et je me suis sentie obligée de les imiter.
Le regard de Lynda s’était adouci.
— Vous avez bon cœur, dit-elle. Il n’y a rien de honteux à cela.
— Je n’en ai pas honte…
Nouveau mensonge.
— Mais j’ai une réputation à défendre, ajouta-t-elle aussitôt.
— Eh bien, vous pouvez compter sur ma discrétion. Votre chien, il est de quelle race ?
— C’est un bulldog. Il lui manque une patte… Personne d’autre n’en voulait.
— Comment s’adapte-t-il à sa nouvelle vie ?
Scarlett repensa aux efforts que Zat avait faits pour la réconforter, quelques heures plus tôt, lorsque, submergée par l’émotion, elle avait éclaté en sanglots. Malgré les mauvais traitements qu’il avait subis toute sa vie, il était très affectueux, et d’un naturel doux et conciliant. Scarlett voulait que Zat vive comme un prince pour le restant de ses jours.
— Ça se passe plutôt bien, dit-elle d’un ton brusque. Il ne mange pas autant que je l’aurais cru. Quoi qu’il en soit, j’ai rendez-vous avec Delores plus tard dans la matinée, pour lui montrer une photo du caniche. On verra si elle peut m’aider.
Lynda se tourna vers l’écran, où l’image des yeux épouvantés de Tala était toujours figée.
— Vous m’avez dit que vous saviez deux choses sur Tala, dit-elle. Quelle est la seconde ?
Heureuse de changer de sujet, Scarlett posa la main sur la souris.
— Vous pouvez rayer Marcus O’Bannion de la liste des suspects potentiels. Ce n’est pas lui qui a tiré…
Elle déplaça le curseur de l’avance rapide jusqu’à l’endroit où Marcus était agenouillé et tentait d’arrêter l’hémorragie.
— Voilà le deuxième tir, poursuivit-elle. Il vient de derrière Marcus et l’a atteint au dos. La force de l’impact l’a projeté au sol.
L’image tangua brièvement tandis que Marcus s’effondrait la tête la première sur l’asphalte, et l’écran devint entièrement noir.
— La caméra s’est cassée en tombant ? demanda Lynda.
— Non, l’objectif est dirigé contre le trottoir. Il a atterri sur le corps de Tala. La chemise de Marcus était trempée de sang quand je suis arrivée. C’est à ce moment qu’un troisième coup de feu est tiré, toujours derrière Marcus.
Trente secondes s’écoulèrent avant que Marcus n’émette un gémissement et ne relève la tête. Le mouvement de la caméra fut accompagné d’un cri, plus faible, tandis que Marcus se redressait et s’agenouillait à côté du corps sans vie de Tala. Il y eut un plan fixe sur la blessure à la tête, et l’image se mit à trembler.
« Non », murmurait Marcus d’une voix rauque. « Oh non ! »
Puis il se pencha lentement et saisit le menton de Tala, avec une telle douceur que les yeux de Scarlett se mirent à lui piquer. Il tourna la tête de la jeune fille avec la même délicatesse, faisant apparaître à l’écran l’arrière fracassé de son crâne.
— Oh non, murmura Lynda. Pauvre fille…
Scarlett serra les dents lorsque Marcus poussa un nouveau gémissement, qui ressemblait plus à la plainte d’une bête blessée à mort qu’à un son humain. Quand elle était arrivée quelques moments plus tard, il avait eu l’air si maître de lui, si solide. Un roc.
— Son frère Mikhail a, lui aussi, été abattu d’une balle dans la tête, dit Lynda.
— Oui, c’est Marcus et son frère, Stone, qui l’ont retrouvé, enterré dans une tombe de fortune. Mikhail n’avait que dix-sept ans.
— Comme Tala.
— Marcus s’est lancé à la poursuite du tueur après ça, mais il n’y avait plus personne. J’ai demandé au labo d’analyser soigneusement les images, au cas où un détail imperceptible, à l’arrière-plan, m’aurait échappé. Marcus nous a remis volontairement un petit pistolet qu’il portait dans un étui à la cheville.
— Deacon m’a dit que vous pensiez tous les deux qu’O’Bannion avait une autre arme à feu sur lui…
— Oui, confirma Scarlett. Et, oui, ça me préoccupe énormément. Marcus O’Bannion nous cache quelque chose, c’est certain. Mais cela n’a rien à voir avec le meurtre de Tala.
— Trouvez ce que c’est, ordonna Lynda. Je ne veux pas qu’on ait de mauvaises surprises pendant le procès, s’il doit déposer en tant que principal témoin.
— Oui, chef.
Scarlett était résolue à découvrir ce qu’il avait omis de leur dire. Ensuite, elle déciderait de lui accorder ou non sa confiance.
Elle rouvrit sa boîte mail et constata que Marcus ne lui avait toujours pas adressé de nouveau message. La liste des menaces était donc toujours en attente. Elle ne lui serait sans doute d’aucune utilité pour trouver l’assassin de Tala mais, en revanche, elle pouvait donner à Scarlett un aperçu de l’âme de Marcus.
Et puis, cela lui fournissait un prétexte pour le recontacter.
Pour que je me mette à chercher ce qu’il dissimule de louche, se reprit-elle aussitôt.
Entendre une nouvelle fois le son de sa voix ne serait qu’un bonus.