Une invitation.
Une pieuse personne, qui s’était rempli la panse avec du cadavre d’oiseau en vue d’attester sa gratitude pour avoir échappé aux nombreuses calamités que le Ciel avait envoyées à d’autres, s’endormit à table et se mit à rêver. Elle se vit en train de vivre dans un pays où les oies représentaient la classe dirigeante, et où elles tenaient chaque année une fête pour manifester leur reconnaissance envers le Ciel miséricordieux, qui épargnait leurs vies pour ne les tuer que plus tard. Un jour, environ une semaine avant l’un de ces festins, elle rencontra le dindon suprême, qui lui dit : « J’espère que vous arriverez en condition adéquate pour le dîner du Thanksgiving8 . »
« Oui, Votre Excellence », répondit la pieuse personne, charmée, « je viendrai le ventre vide, je vous assure. Ce n’est pas un mince privilège de dîner avec Votre Excellence. »
Le dindon suprême la regarda un moment en silence ; puis il dit :
« En tant qu’animal domestique du rang le plus bas, vous n’êtes pas supposé en savoir tant que cela, mais vous pourriez en savoir plus. Comme ce n’est pas le cas, vous me permettrez de vous signaler que d’être convié pour le dîner est une chose ; que d’être convié à dîner en est une autre. »
Le dindon suprême le laissa sur cette pertinente remarque et, dans la suite immédiate de son rêve, la pieuse personne se vit comme un tas de viande blanche, de sorte que la terreur la réveilla en sursaut.