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Whitlow approche de la demeure de la Reine en blanc. Il jubile. La sphère armillaire si complexe constitue une toile de fond bourdonnante.
Le Cœur se trouve à l’intérieur du point noir autour duquel pivote ce globe majestueux. Whitlow exulte. Ils y étaient : au centre même. Comme ils sont puissants et privilégiés ! Leur succès sera dûment récompensé. Toutes les promesses seront enfin tenues.
La Mite est au-dessus, autour, partout. Elle les guide avec un enthousiasme soyeux et poussiéreux.
Droit devant, Glaucous distingue un des bergers à travers un écheveau d’ombres changeantes. C’est la fille, Virginia, qui marche avec circonspection sur la glace. Elle est assistée de quelques chats. Whitlow et lui seront bientôt à sa hauteur.
Glaucous rassemble ses forces.
— Une brillante conclusion, lui dit Whitlow. Nous n’avons besoin de présenter qu’un berger et un messager au Typhon, au maître de la Princesse de Craie, pour gagner le droit de passer. Quelle récompense ! Quel grand moment !
Glaucous se déplace avec précaution. Tout autour, les sillons et les entailles ne demandent qu’à l’avaler, espérant un mouvement maladroit et malheureux. Il se demande comment ils pourront s’emparer de la fille et la livrer… avant que les chats fassent ce qu’ils vont forcément faire.
La Mite passe tout près, les met en garde. D’autres visiteurs traversent le lac vert. Même à cette distance, Glaucous reconnaît sa proie : Jack. Le garçon suit un très important contingent de félins, pareil à un tapis gris et duveteux.
Les chats, amis des livres et des histoires, toujours prêts à vous accompagner dans vos lectures en ronronnant et en s’endormant sur vos genoux. La mort de toutes les histoires ne leur ferait pas plaisir.
La Mite touche de nouveau son épaule. Il y a un troisième homme sur le lac. Il s’agit de Daniel, le mauvais berger. Il n’y a pas de chats avec lui ; il avance seul.
— Considérez les profondeurs du temps, marmonne Whitlow d’un ton révérencieux. Elles dépassent l’entendement. Et pourtant nous sommes là : quelques-uns, les derniers. Cela me rend fier. Cela justifie toutes nos souffrances. Toutes nos actions.
Glaucous hoche la tête d’un air absent, le regard rivé sur le Cœur, le centre. Il pense à cette dernière ligne, au meilleur destin.
Au-delà de la cage mouvante, une vision familière et obsédante : un public terrifiant constitué de géants issus de ses pires cauchemars. Il les a aperçus si souvent : chaque fois qu’ils ont capturé un berger et sa boîte pour le jeter dans le Gouffre. Qu’un cauchemar ambulant comme lui puisse avoir des cauchemars lui semble juste.
Le pire de tous les cauchemars : être poussé hors du chariot du chasseur d’oiseaux, rouler sur les pavés dans un nuage de plumes… et entendre le cliquetis des griffes des rats, qui sortent des égouts immondes.