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A

SSIS DANS UN BISTROT du quartier Montparnasse, à Paris, Shasif Hadi sirotait son café en tâchant de ne pas sembler trop nerveux.

Comme promis, son contact à Topanga Beach était entré en relation avec lui le lendemain de leur rencontre pour lui indiquer où il devrait récupérer les colis en retour, tous déposés au préalable dans des boîtes postales de la région de Los Angeles. Il ne fut pas surpris de découvrir que chaque paquet contenait un CD-ROM anonyme, mais fut surpris, en revanche, de trouver une note dactylographiée jointe à l’un des disques – Indiana Club, 77 avenue du Maine, Paris 14e – accompagnée d’une date et d’une heure. Ce que Hadi ignorait, c’était s’il s’agissait d’un simple dépôt de courrier ou d’une opération plus importante.

Algérien de naissance, Hadi était arrivé en France vers l’âge de dix ans, pour accompagner son père venu chercher du travail. Hadi s’exprimait parfaitement en français, avec un accent. Après la décolonisation, l’Algérie n’avait pas vraiment connu la prospérité, d’où une immigration massive en Europe, où les Algériens avaient été plutôt fraîchement accueillis, surtout depuis les années quatre-vingt-dix, quand ils avaient redécouvert leur identité islamique dans un pays qui tenait toujours à l’idée d’assimilation. Il suffisait de parler la langue (en la prononçant correctement), d’adopter les coutumes et l’on était français, et le Français se souciait assez peu de la couleur de la peau. Même s’ils appartenaient historiquement à un pays catholique, les Français se fichaient bien de savoir à quelle Église vous apparteniez, de toute façon, ils fréquentaient assez peu les lieux de culte. Mais l’Islam avait changé la donne. Peut-être les Français se souvenaient-ils de la victoire de Charles Martel à Poitiers en 732, où leurs ancêtres avaient déjà défait les Sarrasins, mais ils s’inquiétaient surtout du fait que certains immigrants musulmans rejetaient leur culture, pour adopter des tenues et des coutumes qui n’entraient pas vraiment dans le moule du bon vivant8 buveur de vin, d’où leur exclusion du processus d’intégration. Et pourquoi diable un homme ou une femme ne voudrait-il pas être français ? se demandaient-ils. Tout comme les myriades de flics français qui les tenaient à l’œil. Hadi le savait et, par conséquent, il faisait un effort pour s’adapter, avec l’espoir qu’Allah le comprendrait et lui pardonnerait dans Son infinie miséricorde. Et du reste, il ne serait pas le premier ou le seul musulman à boire de l’alcool. La police française l’avait bien noté qui l’ignorait par conséquent. Il avait un boulot de vendeur dans un vidéo-club, s’entendait bien avec ses collègues de travail, logeait dans un modeste mais confortable appartement, rue Dolomieu, dans le 5e arrondissement, conduisait une petite Citroën et ne se faisait absolument pas remarquer. Nul ne s’était fait la réflexion qu’il vivait quelque peu au-dessus de ses moyens. Les flics d’ici étaient bons mais pas parfaits pour autant.

Ils n’avaient pas non plus relevé qu’il voyageait un peu, en général au sein de l’Europe, et qu’à l’occasion il rencontrait des étrangers, généralement dans un bistrot confortable. Hadi appréciait tout particulièrement un rouge léger du Val-de-Loire, sans savoir que le vigneron était juif et un farouche défenseur de l’État d’Israël. L’antisémitisme était hélas à nouveau regrettablement répandu en France, pour le plus grand plaisir des cinq millions de musulmans qui habitaient désormais le pays.

« Je peux me joindre à vous ? » dit une voix près de l’épaule de Hadi.

Il se retourna. « Je vous en prie. »

Ibrahim s’assit. « Comment s’est passé le voyage ?

– Sans problème.

– Alors, que me rapportes-tu ? » demanda Ibrahim.

Hadi glissa la main dans sa poche de pardessus et en ressortit les CD-ROM qu’il passa à Ibrahim sans chercher à cacher le transfert. Essayer de ne pas se faire repérer était souvent le meilleur moyen pour qu’on le fasse. Par ailleurs, si un inconnu – voire un agent des douanes assermenté – s’avisait d’examiner le contenu de chacun de ces disques, il n’y trouverait que des diaporamas numériques de vacances estivales.

« Les as-tu regardés ? demanda Ibrahim.

– Bien sûr que non.

– Pas de problème avec la douane ?

– Non. J’en ai même été surpris.

– Nous sommes cinq millions ici. Ils ne peuvent pas nous surveiller tous et je reste discret. On me considère comme un Arabe qui boit de l’alcool et ne présente aucun danger. »

Se montrer discret signifiait qu’il ne fréquentait aucune mosquée et ne fréquentait pas les lieux où se réunissaient les intégristes.

« Ils ont évoqué la possibilité que mon rôle change », souffla Hadi.

Ils étaient attablés en terrasse. Les clients les plus proches étaient à moins de trois mètres, mais il y avait le bruit de la circulation et l’agitation habituelle d’une grande ville. Les deux hommes savaient éviter de prendre des airs de conspirateurs. On n’était plus au temps des films des années trente. Mieux valait boire du vin comme tout le monde, fumer et reluquer les femmes qui passaient jambes nues dans leur robe chic. Ça, les Français n’avaient pas de mal à le comprendre.

« Si ça t’intéresse, répondit Ibrahim.

– Effectivement.

– Ce sera différent de ton activité habituelle. Il y a un risque.

– Si Dieu le veut. »

Ibrahim lui adressa un regard sévère pendant quelques secondes avant d’acquiescer. « Tes déplacements au Brésil… combien de fois t’y es-tu rendu ?

– Sept ces quatre derniers mois.

– Tu t’y es plu ?

– C’était sympa.

– Suffisamment pour y retourner si on te le demande ?

– Certainement.

– Nous avons un homme sur place. J’aimerais que tu le rencontres pour mettre au point les détails. »

Hadi acquiesça. « Je pars quand ? »

 

« Je l’ai », dit Jack en tendant les pages.

Bell les prit et se cala dans son fauteuil pivotant. Il s’étonna : « En France ? Le faire-part de naissance ? »

En approfondissant ses soupçons concernant le brusque changement de protocole des communications au sein du CRO, Jack avait remonté la piste et effectué une série de références croisées, jusqu’à ce qu’il ait réussi à décortiquer un des en-têtes alphanumériques qui lui avait révélé un nom nouveau et une liste de distribution électronique.

« Ouaip. Il s’appelle Shasif Hadi. Il semble qu’il vive à Rome, on ne sait où au juste, mais c’est un musulman, sans doute d’origine algérienne, qui s’efforce au mieux de rester discret. Il passe beaucoup de temps à Paris. »

Bell pouffa. « Sans doute les Italiens ignorent-ils jusqu’à son existence.

– Quelle est leur valeur ? demanda Jack.

– Les Italiens ? Leurs services de renseignement sont excellents, et historiquement, ils n’ont jamais hésité à s’y coller. Leur police est également de qualité. Leurs gars ne sont pas retenus par autant de restrictions que les nôtres. Ils savent mieux que nous filer les individus et procéder à des enquêtes de fond. Ils peuvent procéder à des écoutes administratives, sans décision judiciaire comme c’est le cas ici. Si j’enfreignais la loi, je n’essaierais pas trop d’attirer leur attention. C’est la vieille méthode européenne, on essaie d’en savoir le plus possible sur les individus et leurs activités. Si vous avez les mains propres, alors on vous fiche la paix. Dans le cas contraire, ils peuvent sérieusement vous pourrir la vie. Leur système juridique n’est pas le nôtre, mais dans l’ensemble il reste équitable.

– Ils surveillent de près leur population musulmane car il y a eu une certaine agitation, mais rien de plus. Tu as toutefois raison : si ce gars est un des protagonistes, il saura faire profil bas, boire son vin, manger son pain et regarder la télé comme tout le monde. Ils ont eu des problèmes de terrorisme politique, mais surtout dans les années soixante-dix avec les Brigades rouges, comme les Français avec l’OAS dans les années soixante. Et comme les Français, ils ont traité le problème avec efficacité mais sans prendre de gants. Les Italiens ne sont pas manchots. Mais revenons-en à ce Hadi. Reste-t-il statique ?

– Non, il a beaucoup travaillé ces six derniers mois – chez nous, en Europe occidentale, en Amérique du Sud…

– Où au juste ?

– Caracas, Paris, Dubaï…

– Cela mis à part et en dehors de ce courrier électronique, qu’est-ce qui vous fait penser qu’il soit actif ? demanda Bell. Vous savez, j’ai reçu un jour un coup de fil de l’autorité des communications. Il s’était avéré que j’avais accidentellement emprunté la connexion Internet par wifi de mon voisin. Je ne m’en doutais pas.

– Ce n’est pas le cas ici, rétorqua Jack. J’ai vérifié et revérifié ; il s’agit bien du compte de Hadi. Hébergé chez un fournisseur d’accès allemand installé à Monte Sacro, un faubourg de Rome, mais ça ne veut rien dire. On pourrait y accéder depuis n’importe quel point en Europe. La question est de savoir pourquoi envoyer un tel message sous forme de mail crypté, quand un simple coup de téléphone aurait pu suffire, ou une annonce de vive voix, lors d’une rencontre au restaurant ? À l’évidence, l’expéditeur juge le sujet sensible. Peut-être ne connaît-il pas Hadi de vue, qu’il ne veut pas passer de coup de fil ou déposer un colis dans une cache convenue – ou peut-être qu’il ne sait comment s’y prendre. Ces gars sont mariés avec l’Internet. C’est une faiblesse opérationnelle qu’ils essaient de changer en vertu. Ils ont une organisation d’envergure relativement modeste et sans entraînement professionnel. Si ces gars étaient issus du KGB du bon vieux temps, on serait sérieusement dans la mouise, mais s’ils recourent à la technologie, c’est pour compenser leurs faiblesses structurelles. Ils forment un petit groupe, ce qui les aide à se dissimuler, mais ils doivent recourir aux technologies occidentales de communication pour dialoguer et coordonner leurs actions, et c’est parfait pour nous, mais nous savons qu’ils sont également hors d’Europe. Surmonter les frontières technologiques peut s’avérer compliqué. Raison de plus pour recourir aux porteurs traditionnels pour les éléments cruciaux.

– S’ils étaient un État-nation, ils jouiraient de meilleures ressources, mais en contrepartie, nous serions en mesure de mieux les cibler et de remonter avec plus de facilité leur chaîne de commandement. Il y a toujours du bon et du mauvais. On peut utiliser un fusil contre un vampire mais pas contre un moustique. D’un autre côté, le moustique n’est pas si dangereux, mais il peut réellement vous pourrir la vie. Notre vulnérabilité est que nous accordons bien plus de valeur qu’eux à la vie humaine. Si ce n’était pas le cas, ils n’auraient aucune prise sur nous, mais voilà, ça ne risque pas de changer. Alors, ils essaient de retourner contre nous nos faiblesses et nos principes fondamentaux, et inversement, nous avons du mal à les utiliser efficacement contre eux. Tant que nous n’aurons pas pu les identifier, ils continueront à nous harceler, avec l’espoir de nous faire tourner en bourriques. D’ici là, ils vont essayer de mettre à niveau leur technologie – en continuant de retourner contre nous la nôtre.

– Donc : recommandations ?

– On neutralise son compte de messagerie et si c’est possible, on lui met le fisc au cul. Toujours suivre la piste de l’argent. Dans un monde idéal, on croiserait ces infos avec celles du renseignement fédéral allemand, mais ce n’est pas évident. Merde, on ne peut même pas demander à notre Agence de le faire pour nous. »

Et en soulignant ce point, Jack venait d’identifier le vrai problème du Campus. Puisque la structure n’avait aucune existence légale, elle ne pouvait diffuser ses trouvailles aux services de renseignement officiels et, par conséquent, assurer le suivi des enquêtes via les canaux classiques. Même s’ils découvraient du pétrole au Kansas et que les gens faisaient fortune, un bureaucrate quelconque remonterait la piste de l’annonce pour savoir d’où elle émanait, brûlant du même coup la couverture du service. Être plus que secret pouvait s’avérer un handicap autant qu’un avantage. Pis encore. Ils pouvaient transmettre une demande à Fort Meade sous couvert d’une question de l’Agence, mais même cette procédure demeurait dangereuse et devait recevoir l’aval de Gerry Hendley en personne. Enfin, en quelque sorte, on récoltait le raisin avec les pépins. Dans un monde où il valait mieux être plusieurs à s’atteler à résoudre les problèmes, le Campus se retrouvait isolé.

« J’ai bien peur que non, Jack, répondit Bell. À moins que ce Hadi apparaisse accidentellement sur une liste de diffusion ou que ce mail soit effectivement anodin, je pencherais pour l’hypothèse du messager. »

S’ils n’étaient pas le moyen de communication le plus rapide, ces derniers demeuraient le plus sûr. Données et messages cryptés, aisés à dissimuler dans un document ou sur un CD-ROM ne sont pas le genre d’élément que sont habitués à pêcher les personnels de sécurité aux aéroports. À moins d’avoir l’identité du transporteur – ce qui pouvait bien être le cas désormais –, les bons pouvaient ne jamais savoir que les méchants préparaient la fin du monde.

« D’accord, dit Jack. À moins qu’il ne bosse pour le National Geographic, on tient là quelque chose. Il est opérationnel ou il joue un rôle de soutien. »

Le gamin réfléchissait de manière pratique, bon point pour lui, estima Rick Bell. « OK, dit-il à Jack. Mets-ça au sommet de ta pile et tiens-moi au parfum.

– D’accord », et Jack se leva.

Il se dirigea vers la porte, puis se retourna.

« Une idée en tête ?

– Ouais. J’aimerais avoir un entretien avec le patron.

– À quel sujet ? »

Jack le lui dit. Bell tâcha de masquer sa surprise. Il joignit les doigts et considéra le jeune homme. « D’où cela vient-il ? Cette histoire avec Mohammed ? Parce que ce n’est pas ça, la vraie vie, Jack. Le travail sur le terrain, c’est…

– Je sais, je sais. Je veux juste avoir l’impression d’agir concrètement.

– Mais c’est le cas.

– Tu sais ce que je veux dire, Rick. Agir. J’y ai beaucoup réfléchi. Laisse-moi au moins jouer cartes sur table avec Gerry. »

Bell y réfléchit avant de hausser les épaules. « OK. Je t’arrange ça. »

 

Quinze mille putains de kilomètres et toujours pas de bière, songea Sam Driscoll, mais cela ne dura qu’un instant car bien vite il se rappela encore une fois qu’il aurait pu faire le même trajet dans un sac en plastique. Quelques centimètres plus à gauche ou à droite, avaient dit les toubibs, et l’éclat aurait déchiqueté la veine brachiale, céphalique ou basilique, et il se serait vidé de son sang bien avant d’avoir rejoint l’hélico. On en a quand même perdu deux en chemin. Barnes et Gomez s’étaient pris la roquette en pleine gueule. Young et Peterson avaient reçu quelques éclats aux jambes mais ils avaient réussi à grimper seuls à bord du Chinook. Ensuite, ils n’avaient eu qu’à faire un saut de puce pour gagner la base de Kala Gush, où il s’était séparé de son commando, à l’exception du capitaine Wilson avec sa jambe brisée, qui l’avait accompagné d’abord jusqu’à la base allemande de Ramstein, avant d’embarquer pour l’hôpital de Brooke, à Fort Sam Houston. Il s’avéra, en effet, que l’un comme l’autre devaient avoir recours au même type de chirurgie orthopédique, spécialité de ce centre médical des armées. À la chirurgie et au Demerol. Les infirmières savaient gérer l’utilisation des narcotiques analgésiques, ce qui avait fortement contribué à lui faire oublier que, cinq jours plus tôt, il avait encore un fragment de granite de l’Hindou Kush fiché dans l’épaule.

La mission avait été un échec, tout du moins en ce qui concernait leur objectif principal, et les Rangers n’avaient pas l’habitude d’échouer, de leur fait ou non. Si les renseignements fournis avaient été exacts et que la cible s’était bel et bien trouvée dans la grotte, elle avait dû s’en échapper, sans doute moins de vingt-quatre heures avant leur arrivée sur les lieux. Malgré tout, se remémora Driscoll, au vu de la tempête qu’ils avaient essuyée à leur retour vers la zone d’atterrissage, ça aurait pu être bien pire. Il avait perdu deux hommes mais en avait ramené treize. Barnes et Gomez. Merde.

La porte s’ouvrit et le capitaine Wilson entra, assis dans un fauteuil roulant. « T’as une minute pour une visite ?

– Bien sûr. Comment va cette jambe ?

– Toujours cassée. »

Driscoll rigola. « Ça risque de durer un petit moment, mon capitaine.

– Pas de broches ou de plaques, c’est déjà ça. Et toi, ça va comment ?

– Aucune idée. Les toubibs ne sont pas trop causants. L’intervention s’est bien passée, pas de dégâts vasculaires, ce qui aurait été critique. Les os et les articulations, ça doit être bien plus facile à réparer, j’imagine. Des nouvelles de nos gars ?

– Ouais. Ils vont bien. En tout cas, ils sont sur pied.

– Young et Peterson ?

– Tous les deux vont bien. Activités allégées pendant quelques semaines. Écoute, Sam, il se trame quelque chose.

– Votre visage me dit que ce n’est pas une visite de Carrie Underwood.

– J’ai bien peur que non. Les CID9. Deux agents sont passés au bataillon.

– Pour nous deux ? »

Wilson acquiesça. « Ils ont épluché nos rapports de mission. T’as des informations à me donner, Sam ?

– Non, mon capitaine. Je me suis pris un PV pour stationnement interdit devant le gymnase le mois dernier, mais à part ça, je suis resté bien sage.

– Pas d’entourloupe dans la grotte ?

– Le merdier habituel, mon capitaine. Comme je l’ai dit dans mon rapport.

– Eh bien, toujours est-il qu’ils monteront ici cet après-midi. Joue franc-jeu. Ça devrait marcher. »

 

Il ne fallut pas plus de deux minutes à Driscoll pour comprendre ce que voulaient les keufs du Département d’enquêtes criminelles de l’armée : sa tête. Qui et pourquoi, il l’ignorait, mais quelqu’un avait décidé de lui faire porter le chapeau pour ce qui était passé dans la grotte.

« Et combien de sentinelles avez-vous rencontrées ?

– Deux.

– Tuées toutes les deux.

– Oui.

– OK, donc, vous avez pénétré dans la grotte proprement dite. Combien d’occupants étaient-ils armés ? demanda l’un des enquêteurs.

– Après avoir tout nettoyé, nous avons compté…

– Non, je veux dire au moment de votre entrée. Combien étaient armés ?

– Définissez “armés”.

– Ne jouez pas au plus fin, caporal. Combien d’hommes armés avez-vous rencontrés en pénétrant dans la grotte ?

– C’est consigné dans mon rapport.

– Trois, correct ?

– Ça me semble exact, répondit Driscoll.

– Les autres étaient endormis.

– Avec des AK sous leur oreiller. Vous n’avez toujours pas pigé. Vous parlez de prisonniers, c’est ça ? Ça ne marche pas ainsi, pas dans la vraie vie. Vous avez une fusillade à l’intérieur d’une caverne avec un seul bandit et vous vous retrouvez avec des Rangers sur le carreau.

– Vous n’avez même pas tenté de neutraliser ces hommes assoupis. »

La remarque fit sourire Driscoll. « Je dirais qu’ils ont été pleinement neutralisés.

– Vous les avez abattus durant leur sommeil. »

Soupir de Driscoll. « Bon sang, si vous me disiez plutôt franchement ce que vous êtes venus me dire.

– À votre guise. Caporal, nous avons recueilli suffisamment de preuves dans votre compte rendu de mission pour vous inculper de meurtre de combattants désarmés. Ajoutez-y les déclarations du reste de votre équipe…

– Que vous n’avez pas encore officiellement recueillies, n’est-ce pas ?

– Pas encore, non.

– Parce que vous savez que c’est un tissu de conneries, et que vous aimeriez mieux que je pose bien gentiment ma tête sur le billot pour ne pas faire de vagues. Pourquoi cet acharnement ? J’ai fait mon boulot. Faites le vôtre. Nous n’avons fait qu’appliquer la procédure réglementaire. On ne laisse pas aux barbus une chance de dégainer les premiers.

– Et apparemment, vous ne leur avez pas non plus laissé une chance de se rendre, n’est-ce pas ?

– Dieu tout-puissant… Messieurs, ces idiots ne se rendent pas. Quand il s’agit de fanatisme, ils vous feraient passer les pilotes kamikazes pour des ramollis. Ce que vous me suggérez aurait entraîné la mort de plusieurs de mes hommes, et ça, il n’en était pas question.

– Caporal, êtes-vous en train d’admettre que vous exécuté préventivement ces hommes ?

– Ce que je dis, c’est que cet entretien est terminé tant que je n’aurai pas vu un avocat du TDS10. »

Notes

8. En français dans le texte.
9. Personnels de l’United States Army Criminal Investigation Command (USACIDC), enquêteurs de la police criminelle de l’armée américaine.
10. US Army Trial Defense Service : service de conseil juridique de l’armée américaine. Il procure gratuitement des avocats et des conseils juridiques aux soldats impliqués dans des procédures criminelles ou administratives.