La jeune femme décide de ne plus s’opposer à son corps, mais de l’escorter, de naviguer avec lui. Évitant les soubresauts, l’inutile résistance, elle décide de l’accompagner, à travers remous et rotation. Elle ne contrariera plus ces secousses, ces soubresauts, ces ballottements de tête, ces saccades de bras, ces tremblements, ces frissonnements. Elle fera corps avec son corps. Elle ne cherchera pas à le brusquer ni à lui imposer ses propres désirs. Elle s’en accommodera.
Marie se ménage, elle économise son souffle de plus en plus chaotique et bruyant. Il faut tenir jusqu’à l’arrivée d’un passant. Cette rue ne peut rester éternellement déserte !
À l’affût d’un passant à qui confier son message, Marie demeure aux aguets. En réponse à la longue lettre de Steph, qu’elle garde précieusement sur elle depuis plus d’une semaine, il faut que ce dernier sache qu’elle allait à sa rencontre. Il suffit qu’elle griffonne sa réponse sur l’envers de l’enveloppe pour qu’il le comprenne. Elle est à présent certaine qu’elle ne parviendra pas jusqu’au pont et que ses forces l’abandonnent.
« Patiente. Ne me lâche pas », murmure-t-elle à son corps en déroute.
Dorénavant elle se laissera manœuvrer par lui, sans toutefois le perdre de vue.
Elle agit comme si elle écrivait un texte, qu’elle laisse venir à elle tout en le maîtrisant. Un texte essentiel, vital, qu’elle redoute de ne pouvoir mener jusqu’à terme. Face à cette mort rapprochée, saura-t-elle tenir, lucidement, jusqu’au bout ? Pourra-t-elle conclure, boucler la dernière ligne de son existence avec ces mots : « Je t’aime. Je viens à toi. » Ou du moins : « Je venais. » Il faut que Steph le sache : ELLE VENAIT.