« Ma petite fille, répétait Anya.

— Ma petite fille », reprenait Anton. Leurs voix se greffaient l’une à l’autre. « Il accourt…

— Il vient…

— Il arrive…

— Il sera bientôt auprès de toi. »

Marie avait repris confiance. La douleur diminuait. Il lui semblait flotter sur le dos, le long d’une rivière, dans une douce attente. Elle respira profondément.

Anton sentait la fin venir.

Lui et sa femme tournaient cependant leurs regards vers la rue qui remontait en légère pente. Absurdement, déraisonnablement, comme si leurs paroles à elles seules finiraient par métamorphoser la réalité.

Vide, dramatiquement vide, la rue les défiait. Vacante, solitaire, nue, elle étendait devant leurs yeux son espace désert. L’apparence de cette rue abandonnée, la certitude d’avoir vu disparaître Steph auraient dû tarir tout espoir.

 

Anya revoyait l’autobus, le chandail bleu, l’engloutissement dans le car… La main de son compagnon saisit la sienne :

« À toi, continue », lui souffla-t-il.

Elle se sentait incapable de formuler une seule parole, il n’insista pas et, se penchant au-dessus de la jeune femme, il lui glissa à l’oreille :

« Rien n’est beau comme l’amour, ma petite fille. J’ai vécu longtemps, je le sais… Tu peux me croire. »

Ces mots-là, au moins, étaient véridiques.

Soudain, Anya se redressa et cria vers la rue cruellement déserte :

« Il viendra, je le verrai la première et tu le sauras, petite. Il viendra ! »