Un homme, une femme poussent une porte cochère, hésitent avant de s’aventurer dans la rue. Marie ne peut les apercevoir.
L’homme se tient droit malgré son âge, sous sa casquette des cheveux blancs bouclés recouvrent ses tempes. Il remet ses lunettes, scrute les toits souvent occupés par des francs-tireurs.
« Je ne vois rien. Allons-y. »
Elle lui arrive à l’épaule, sa chevelure est moins blanche, plus copieuse ; sa démarche moins ferme.
Chacun porte une valise. Ils se tiennent par la main.
« Tu crois qu’on a raison de partir ? demande-t-elle.
— La zone est toujours dangereuse, tout à l’heure tu as bien entendu les coups de feu… Nous serons les derniers à partir. »
Il se redresse, se surveille, ne se laisse aller ni à l’inquiétude ni à la panique.
Elle est plus hésitante. Son corps s’est épaissi. Les années ont eu raison de son apparence. Il lui reste l’épaisseur des cheveux, la curiosité du regard, le geste juvénile. Elle lâche la main de son compagnon, se retourne pour jeter un dernier coup d’œil à leur appartement abandonné. La vue de ce lieu où ils vivent depuis dix ans, et de ce quartier détruit, la remplit de tristesse.
« Allons, dit-il, on repart ! Tu sais bien qu’on repart toujours, toi et moi. »
Elle sourit, il trouve toujours les paroles qui remettent en chemin.
« Embrasse-moi », dit-elle, lui tendant la joue.
Il la serre contre lui, pose un long baiser sur sa joue. Un frisson la parcourt, elle se sent toujours adolescente. Que d’événements traversés avant cette fin de vie ! Ils s’étaient même quittés durant plusieurs années.