Anton l’a d’abord suivie des yeux, comme pour la protéger. Puis, elle a disparu.

Il continue de l’imaginer preste, expéditive, fougueuse, comme jadis. Leurs voix remontent des broussailles du passé :

« Attends, réfléchis, tu te précipites toujours. Tu conclus trop vite.

— Laisse-moi suivre mon instinct. »

Il regarde sa montre, il reste un quart d’heure avant que Steph n’abandonne. Anton se demande si Anya arrivera à temps.

Penché au-dessus de Marie, il la retourne sur le côté avec des précautions infinies. Ôtant sa chemise, il la déchire pour tamponner la plaie, pour arrêter ce sang qui ne cesse de se répandre.

La blessure est profonde, la balle s’est sans doute logée non loin du cœur.

Le torse nu livré au soleil, Anton se penche au-dessus de la jeune femme et lui parle lentement. Il lui dit qu’il la sauvera. Il ment. Sachant ce qu’il sait, il souhaite tout simplement qu’elle résiste jusqu’à l’arrivée de son ami. Il y croit à cette rencontre. Il en mesure toute l’importance.

Marie se laisse bercer par ces paroles. Ses gémissements se calment, son visage est presque apaisé.

Anton imagine Anya à cette même place. Anya, souvent perdue, souvent retrouvée. Ni l’un ni l’autre n’ont regretté d’avoir accompli ce long chemin ; ni d’avoir parcouru cette course d’obstacles de l’existence, tantôt ensemble, tantôt seuls. La durée est une conquête, il le sait.

Mais s’étaient-ils vraiment quittés ? Ils n’avaient jamais cessé, l’un et l’autre, de se faire signe, de se revoir, tout en s’accordant une tacite liberté. Le temps de leur séparation s’était traversé en s’efforçant de préserver l’avenir, de ne jamais élever entre eux d’infranchissables barrières.

Ils se voulaient lucides, indépendants ; mais l’angoisse les étreignait dès qu’ils croyaient vraiment se perdre. Un sentiment étrange et puissant les soudait.

L’âge avait labouré leurs corps, défiguré leurs faces, embrumé leurs regards ; mais ils se reconnaissaient sous toutes les flétrissures du temps. Toujours surpris et se surprenant, entremêlant à travers tant d’années l’infinie variété de leurs tempéraments et de leurs visages.

Anton essuya les gouttes de sueur sur le front de Marie et chercha à la protéger du soleil. Il se sentait étrangement solidaire de ce jeune couple inconnu.