
Avant de suivre Dylan, Alek baissa les yeux vers l’éléphant de guerre qui avait empalé le djinn.
Les membres d’équipage abandonnaient le mécanopode par la trappe ventrale ; ils toussaient et titubaient à l’aveuglette. Ils ne représentaient pas une menace pour le moment.
Mais voir le sol si loin en bas lui fit resserrer encore ses gants de pilote. L’entraîner avec Dylan à descendre en rappel lui avait enseigné une sainte horreur des brûlures par frottement. Il avala sa salive, chargée d’arômes de paprika et de poivre de Cayenne, puis bondit à son tour…
La corde siffla autour de lui, rageuse, comme une salve d’eau bouillante. Il freinait sa chute tous les deux ou trois mètres, en faisant sonner ses bottes contre le métal brûlant de la carlingue du djinn. Des bouffées de vapeur tournoyaient autour de lui, tandis que les moteurs du mécanopode cognaient et sifflaient en refroidissant.
Quand il eut enfin touché le sol, Alek arracha ses gants pour contempler ses paumes à vif.
— Vous avez mis le temps, se plaignit Dylan, face au golem de fer. Venez ! Ce canon Tesla m’a l’air prêt à tirer. Il faut montrer à Klopp que tout va bien !
Alek se dégagea de la corde et suivit le garçon, qui s’éloignait au pas de course. Le golem de fer continuait vers eux d’un pas lourd, à travers le champ de bataille.
De toute évidence, Klopp n’avait pas remarqué les renforts ottomans en route.
Tout en courant, Alek plissa les yeux pour mieux distinguer le panache de fumée dans le lointain. Il paraissait déja plus proche, et le garçon vit que la fumée s’inclinait en arrière contre le ciel étoilé.
« Rapide », avait dit la créature. Mais quel mécanopode pouvait être aussi rapide ?
Devant lui, Dylan poussa un petit cri de surprise. Il avait trébuché avant de s’étaler dans la poussière la tête la première. Alors qu’il se relevait à toute vitesse, Alek ralentit. Il fixa l’obstacle qui avait fait tomber son compagnon : une voie ferrée.
— Oh, non !
— Quoi ? demanda Dylan, les yeux baissés vers les rails. Ah, c’est sans doute la que l’Orient-Express…
— Express, souffla le loris perspicace.
Ils pivotèrent tous les deux vers la colonne de fumée à l’approche. Elle se trouvait beaucoup plus près maintenant, car elle avançait, le long de la falaise, dix fois plus vite que n’importe quel mécanopode.
Et elle fonçait tout droit sur le golem de fer.
— Il ne peut pas le voir ! s’écria Alek. Il lui tourne le dos.
— Klopp ! cria Dylan, qui se mit à courir et à gesticuler. Éloignez-vous de la voie !
Alek l’imita pendant quelques foulées, le cœur battant. Mais crier ne leur servirait à rien. Il fouilla dans ses poches à la recherche d’un moyen d’envoyer un signal – une fusée, un pistolet.
La célèbre locomotive à tête de dragon se profilait maintenant à l’horizon, avec son œil unique chauffé à blanc et ses cheminées qui vomissaient de la fumée. Dylan continuait à courir vers Klopp en lui montrant le train.
Le golem de fer s’immobilisa lourdement et baissa la tête pour mieux distinguer le minuscule jeune homme devant lui.
Alek vit deux bras gigantesques se déployer de part et d’autre de la locomotive. Longs d’une douzaine de mètres, ils se tendirent à droite et à gauche, pareils à une paire de sabres brandis par un cavalier au galop.
Klopp devait avoir entendu les cris de Dylan, ou le grondement du train dans son dos, car le mécanopode pivota lentement sur lui-même…
Mais à cet instant précis, l’Express arriva à toute allure, et le faucha au niveau des jambes avec son bras de charge. Le métal crissa et se tordit, pendant qu’un jet de vapeur fusait des genoux.