— En garde, monsieur !
Deryn brandit son arme à son tour, et étudia la position d’Alek. Il avait les deux pieds à angle droit, le bras gauche recourbé dans le dos comme l’anse d’une théière. Son plastron d’escrime lui donnait l’allure d’un édredon ambulant. Même avec sa lame pointée sur elle, il avait l’air bougrement ridicule.
— Je dois vraiment me tenir comme ça ? demanda-t-elle.
— Si vous voulez ressembler à un escrimeur, oui.
— À un idiot, plutôt, marmonna Deryn, qui aurait bien aimé que la leçon se déroule dans un endroit plus discret.
Une douzaine d’hommes d’équipage les observaient, ainsi que deux renifleurs d’hydrogène intrigués. M. Rigby, le bosco, avait interdit la pratique de l’escrime à l’intérieur de l’aéronef.
Après un soupir, Deryn s’efforça d’imiter la posture d’Alek.
Au moins faisait-il un temps splendide sur le dos du Léviathan. L’aéronef avait laissé la péninsule italienne derrière lui la nuit dernière, et une mer d’huile s’étalait jusqu’à l’horizon ; le soleil de l’après-midi la faisait scintiller comme un tapis de diamants. Des mouettes tournoyaient au-dessus d’eux, portées par une brise fraîche.
Surtout, il n’y avait aucun officier présent pour rappeler à Deryn qu’elle était en service. On avait signalé deux cuirassés allemands dans les parages, et cette dernière devait guetter les signaux de l’aspirant Newkirk, suspendu deux mille pieds plus haut à un ascensionniste Huxley.
On ne pouvait pas pour autant l’accuser de se dérober à ses devoirs. Deux jours plus tôt, Hobbes lui avait ordonné de garder un œil sur Alek et d’apprendre tout ce qu’elle pourrait à son sujet : elle était donc en mission secrète pour le commandant.
Elle trouvait dommage que ses supérieurs continuent à considérer Alek et ses hommes comme des ennemis, mais au moins, cela lui fournissait un prétexte pour passer du temps en compagnie du jeune homme.
— J’ai l’air d’un parfait nigaud, non ? demanda-t-elle à Alek.
— En effet, monsieur Sharp.
— Eh bien, vous aussi ! Quel que soit le mot que vous employiez pour ça dans votre langue.
— Le mot est dummkopf, répliqua-t-il. Mais je n’ai rien d’un dummkopf, car ma position est tout à fait correcte.
Il baissa son sabre et s’approcha, en rectifiant la posture de Deryn comme si elle était un mannequin dans une vitrine.