Et puis, elle sentit la corde mollir ; l’aéronef venait de perdre encore un peu de vitesse. Emportée par son élan, elle se balança légèrement vers l’avant, puis revint vers l’arrière, de sorte qu’elle se retrouvait presque immobile par rapport au sol.
— Maintenant ! cria Deryn, avant de décrocher son deuxième mousqueton.
Elle descendit d’un coup, et atterrit brutalement sur le sable et les rochers plats qui s’effritèrent sous ses bottes. L’impact lui remonta dans toute la colonne vertébrale ; elle trébucha en avant mais réussit à garder l’équilibre. Le bout de la corde s’arracha du mousqueton et lui cingla les doigts au passage, puis rasa la plage en direction du couchant.
Alors que le Léviathan s’éloignait et que le bourdonnement de ses moteurs était peu à peu noyé dans le fracas des vagues, Deryn sentit sa mélancolie reprendre le dessus, nourrie par un fort sentiment d’abandon.
Elle se retourna et compta trois silhouettes sur la crête. Au moins, aucun de ses hommes n’avait été entraîné dans la mer.
— Tout le monde va bien ? lança-t-elle.
— Oui, monsieur ! répondirent dans le crépuscule deux voix, suivies d’un gémissement.
C’était Matthews, à une dizaine de yards, qui ne s’était pas relevé. Deryn courut jusqu’à lui et le trouva plié en deux.
— C’est ma cheville, monsieur, lâcha-t-il entre ses dents serrées. Je me la suis retournée.
— Allons bon. Voyons si vous pouvez tenir debout.
Deryn fit signe aux deux autres, puis se débarrassa de son sac à dos. Elle s’agenouilla et vérifia le bocal qui contenait les anatifes vitrioliques ; il ne s’était pas cassé.
Quand les aviateurs Spencer et Robins les eurent rejoints, elle leur demanda de soulever Matthews. Mais à peine eut-il tenté de s’appuyer sur sa jambe droite qu’il poussa un cri de douleur.
— Reposez-le, ordonna-t-elle, avant de soupirer.
L’homme s’était foulé la cheville. Jamais il ne pourrait parcourir deux miles dans la rocaille de la péninsule et rentrer ensuite.
— Vous allez devoir nous attendre ici, Matthews.
— À vos ordres, monsieur. Mais quand viendra-t-on nous chercher ?
Deryn hésita. Des quatre, elle était la seule à savoir à quel moment exact le Léviathan retournerait au Sphinx. De cette façon, si ses hommes tombaient entre les mains des Ottomans, ces derniers ne pourraient pas tendre un piège à l’aéronef.
Quant à Deryn, eh bien, elle était un héros décoré, n’est-ce pas ? Les Ottomans ne lui arracheraient pas un mot.
— Je n’ai pas le droit de vous le dire, Matthews. Attendez ici, et ne vous montrez pas. Faites-moi confiance, le commandant ne nous laissera pas tomber.
L’homme grimaça de douleur.
Deryn, Robins et Spencer s’agenouillèrent pour répartir entre eux trois le contenu des quatre sacs à dos et laisser à Matthews de l’eau ainsi qu’un peu de viande en conserve. Ensuite ils descendirent la crête en direction du détroit après l’avoir abandonné derrière eux.
Son premier commandement n’avait débuté que depuis quelques minutes, et elle avait déjà perdu un homme.