
— Quel imbécile je fais ! murmura Alek.
Les Allemands, bien sûr, avaient enquêté sur les hommes qui s’étaient enfuis avec lui la nuit de sa disparition. Bauer, Hoffman et Klopp appartenaient à la garde des Habsbourg, et tous avaient une photo dans leur dossier militaire. Alek avait oublié qu’on pouvait aussi rechercher les roturiers.
Il jeta des regards affolés autour de lui. Deux autres soldats allemands barraient l’entrée, et le café n’avait pas d’autre issue. Les soldats qui avaient remarqué Bauer discutaient à voix basse, avec des regards nerveux dans leur direction.
Malone se renfonça dans sa chaise et déclara d’une voix tranquille :
— Il y a une porte à l’arrière du café.
Alek regarda – le mur du fond était entièrement masqué par l’écran, mais celui-ci était en papier.
— Hans, avez-vous un couteau ? chuchota Alek.
Bauer hocha la tête et mit la main dans sa poche.
— Ne vous inquiétez pas, monsieur. Je me charge de les occuper pendant que vous prenez la fuite.
— Pas question, Hans. Nous allons fuir ensemble. Passez-moi le couteau, et suivez-moi.
Bauer fronça les sourcils mais lui glissa son arme. Les deux soldats allemands faisaient des signes à leurs collègues à l’entrée. Il était temps d’agir.
— À midi, demain, à la mosquée Bleue, souffla Alek.
Il attrapa son fez, bondit sur ses pieds et piqua un sprint entre les tables jusqu’à l’écran.
L’immense feuille de papier se fendit en deux sous son couteau, dévoilant les rouages et les lampes à gaz qui ronronnaient derrière. À demi aveuglé, Alek trébucha et se cogna contre une énorme machine bourdonnante. Il se retint à une lampe à gaz, qui lui brûla la paume comme un tison. La lampe se renversa ; des flammes et des bouts de verre s’éparpillèrent sur le plancher.
Des cris retentirent derrière lui. Une odeur de gaz et de papier en train de brûler alerta les clients et un début de panique saisit l’assemblée. Alek entendit l’un des soldats leur crier de le laisser passer.
— La porte, monsieur ! cria Bauer.
Alek ne voyait rien, sinon des points lumineux qui dansaient devant ses yeux, mais Bauer le tira par la main en trébuchant sur les rouages et les morceaux de verre.
La porte s’ouvrit sur la nuit, et Alek savoura la sensation de l’air frais contre sa paume brûlée. Il suivit Bauer en clignant des yeux pour chasser son éblouissement.
La ruelle ressemblait à une version miniature du Grand Bazar, bordée d’échoppes de la taille d’une armoire et d’étals encombrés de pistaches, de noix et de fruits. Des visages surpris se tournaient vers Alek et Bauer en les voyant passer au pas de course.