La vie devant soi
Momo, petit garçon arabe, habite chez Madame Rosa, ex-prostituée désormais âgée qui s’occupe des « enfants de pute », ces mômes dont la mère est prostituée ou le père proxénète, et qui courent des risques à barboter dans le milieu de la nuit. Madame Rosa est la seule mère de Momo, lui-même le plus grand et le « doyen » des enfants qu’elle a chez elle. Une véritable histoire d’amour et un lien fusionnel se créent entre la vieille dame et le jeune Arabe. Mais voilà, Madame Rosa est âgée, la mort s’approche, et elle ne veut pas mourir à l’hôpital. C’est à Momo de faire en sorte qu’elle puisse finir dignement sa vie, sans avoir à traîner sa « grosse carcasse » sur un brancard de l’hôpital, et ce six étages durant… Momo raconte donc sa vie chez Madame Rosa, où la prostitution, les enfants de pute et la peur des nazis (Madame Rosa, juive, a subi les camps de la mort) sont des sujets quotidiens. On s’attache très rapidement aux deux personnages principaux et à leur vie. Le langage enfantin et coloré de Momo est plein de poésie et de vérité, celle-là même qui ne sort que de la bouche des enfants.Gary, sous le pseudonyme d’Emile Ajar, s’intéresse donc à ce fichu sixième étage où crèche Madame Rosa, fichu sixième étage car il n’y a pas d’ascenseur et que Madame Rosa peine à se déplacer dans les escaliers. Les craintes de Madame Rosa (les nazis, l’Assistance Publique, les proxénètes) et celles de Momo (sa mère, ses rêves, la mort de Madame Rosa) se superposent dans une histoire où chacun aide l’autre à vivre. Les mots d’enfant de Momo sont plein de bon sens et ses maximes mériteraient une petite anthologie. Le jeune Arabe pique des idées et des expressions ça et là, sa langue imagée rend le roman plus vif et plus beau, à l’image de Zazie, personnage de Queneau né en 1959. Car malgré les bas-fonds et l’aspect sordide de tout ce petit quartier où voyous et putes traînent, il y règne autre chose qu’un racisme ou qu’une violence exacerbés. Français, black et beurs cohabitent plus ou moins bien, et Madame Rosa est l’emblème de cette vie riche et colorée : même tout là-haut, dans sa tour d’ivoire, elle donne de l’amour et quelques claques à des gosses paumés qui, à l’image de Momo, ne sont pas loin d’être plus intelligents que la majorité des adultes.