Lui et Moi
Le grille-pain éjecta mes deux moitiés de muffin avec un léger claquement et je retirai mes œufs et mon bacon de la plaque à induction. La poêle était gorgée de gras et, malgré moi, je me demandais combien cela faisait de points. Haussant les épaules, je déposai le tout sur la table, me remplis un verre de jus de mangue...
Philippe déboula à ce moment. Il avait l'air terriblement en forme, voire... réjoui ?
— Quelle belle journée, Aurore, tu ne trouves pas ? s'exclama-t-il pour m'obliger à le questionner.
Évidemment, je ne répondis rien et il se sentit obligé de continuer :
— J'ai super bien dormi après cette excellente soirée !
— Tu as pu forniquer après tes huit ans d'abstinence ? finis-je par lâcher, n'en pouvant plus.
Philippe eut un petit claquement de langue satisfait et son regard s'illumina au sens propre.
— Mieux que ça, répondit-il sans vraiment relever mon attaque.
— Tu as rompu avec cette pauvre Dominique ? compris-je aussitôt.
Il exultait :
— Tu aurais dû la voir ! Elle pleurait tellement que je me suis demandé un moment s'il était possible que le corps humain contienne autant d'eau ! Et plus elle pleurait, plus je lui en mettais plein la gueule, j'ai même prétendu qu'elle était trop grosse !
Je détachai les yeux de mes muffins, de mes œufs, de tout ce bon gras qui m'appelait depuis l'assiette et le regardai longuement. Il était si fier de lui. En réalité, quoi qu'il crût, il n'était qu'un pauvre con ordinaire comme tant d'humains ordinaires.
Il remarqua alors mon petit déjeuner :
— Enfin, Aurore, comment peux-tu bouffer de telles saloperies ? Ça va te boucher les artères !
J'hésitai deux secondes à lui rappeler que rien ne pouvait nous boucher les artères, mais laissai tomber et l'observai se servir un simple verre de lait et une tranche de pain complet. Pas de beurre. Pas de café. Ce type vivait comme un saint...