Eloge de l'ombre
Car un laque décoré à la poudre d'or n'est pas fait pour être embrassé d'un seul
coup d'oeil dans un endroit illuminé, mais pour être deviné dans un lieu obscur,
dans une lueur diffuse qui, par instants, en révèle l'un ou l'autre détail, de
telle sorte que, la majeure partie de son décor somptueux constamment caché dans
l'ombre, il suscite des résonances inexprimables. De plus, la brillance de sa
surface étincelante reflète, quand il est placé dans un lieu obscur, l'agitation
de la flamme du luminaire, décelant ainsi le moindre courant d'air qui traverse
de temps à autre la pièce la plus calme, et discrètement incite l'homme à la
rêverie. N'étaient les objets de laque dans l'espace ombreux, ce monde de rêve à
l'incertaine clarté que sécrètent chandelles ou lampes à huile, ce battement du
pouls de la nuit que sont les clignotements de la flamme, perdraient à coup sûr
une bonne part de leur fascination. Ainsi que de minces filets d'eau courant sur
les nattes pour se rassembler en nappes stagnantes, les rayons de lumière sont
captés, l'un ici, l'autre là, puis se propagent ténus, incertains et
scintillants, tissant sur la trame de la nuit comme un damas fait de ces dessins
à la poudre d'or." Publié pour la première fois en 1978 dans l'admirable
traduction de René Sieffert, ce livre culte est une réflexion sur la conception
japonaise du beau.