Chapitre 2
UN MUR D'ÉTUDIANTS
Avant d'entamer la chronique de ces années qui nous conduisent au terme, et pour les mettre en perspective, je voudrais revenir sur la visite ratée du Général à l'École normale supérieure, en 1959 1.
C'est qu'entre-temps j'ai découvert des circonstances qui l'éclairent d'un jour nouveau. Cette lumière n'est pas indifférente à la façon dont de Gaulle, et pas lui seulement, a buté en mai 1968 sur l'« insaisissable ».


Paris, 21 janvier 1994.
Mon enquête commence, presque par hasard, sur un plateau de télévision. Quelques anciens élèves de Normale y sont réunis, à l'occasion du bicentenaire de cette vénérable institution. Avec le directeur de l'École, Étienne Guyon, et Pierre-Gilles de Gennes, prix Nobel, j'ai été convié à la fête.

Jaurès, Péguy, Herriot, Blum, Brossolette, Brasillach, Déat, Sartre, Raymond Aron, Césaire, Pompidou... Comment ne pas évoquer les rapports entre la « rue d' Ulm » et la politique ? De tout temps, au-delà des parcours individuels, si divers, l'Ecole est « à gauche ». Jamais elle ne l'a été plus que dans les trente années qui ont suivi la Seconde Guerre. Dans cet établissement qu'un de ses directeurs de l'entre-deux-guerres avait appelé « une maison de tolérance », le parti communiste occupait alors la position dominante ; il donnait le ton, qui n'était certes pas celui de la tolérance. De Gennes nous raconte que, le jour de la mort de Staline, ses nombreux adeptes à l'École affichaient des visages consternés. L'un d'eux avança cette consolation : « Nous n'avons pas tout perdu, il nous reste son oeuvre écrite. » Quarante ans après, conclut-il, on n'oublie pas ces leçons-là.
Comment tant de jeunes esprits libres se sont-ils livrés à la servitude volontaire du stalinisme ? Comment, en particulier, ont-ils pu outrager l'homme qui, chez tant de leurs anciens, avait entretenu pendant la guerre la flamme de la Résistance ? J'en viens à raconter l'incident du bal de l'École de février 1959, où le général de Gaulle se vit refuser la main qu'il tendait aux jeunes élèves en smoking. Le hasard m'avait fait témoin oculaire de cette rébellion passive mais déterminée. Pour moi, cet outrage était un « coup monté ». L'expression fait bondir Guyon : « Un coup monté ? Pas du tout ! J'étais de ces promotions, je l'aurais su ! Non, c'était un geste purement individuel, spontané, inopiné. Il n'y a eu rien de collectif, rien de prémédité. »
A un démenti présenté avec tant de vivacité et d'autorité, je n'ai pas de preuve à opposer. Après tout, j'ai pu me tromper. Je reste sans voix.


Sur le champ de bataille de Villeroy, 5 septembre 1994.
Quelques mois plus tard, le 5 septembre 1994, c'est le quatre-vingtième anniversaire de la mort de Charles Péguy. Il mérite que la France lui rende hommage : il nous élève au-dessus de nous-mêmes — à la fois dreyfusard, antidreyfusiste, chrétien, socialiste, patriote, il réconcilie en lui-même des convictions si souvent opposées par notre histoire.
Sur un champ moissonné de la Brie champenoise, à Villeroy, nous sommes un petit groupe à attendre les ministres, Léotard, de la Défense, et Bayrou, de l'Éducation. L'École est représentée par Étienne Guyon, son directeur, et Jacques Lautman, directeur adjoint. Nous arpentons tous trois le champ où notre grand ancien a été frappé d'une balle au front, en entraînant sa section à l'assaut. Dans cet été 14, quelques centimètres de trajectoire à droite ou à gauche, et le lieutenant Péguy vivait, le lieutenant de Gaulle mourait sur le pont de Dinant, inconnu à jamais. De Gaulle m'a dit ce qu'il devait à Péguy2, le seul maître d'esprit qu'il ait jamais reconnu. L'École aussi se reconnaît dans le génie multiple et généreux de Péguy.
En devisant, nous revenons sur l'incident dont l'interprétation m'a opposé à Guyon. Comment expliquer qu'en 1959, l'école de Péguy ait pu insulter le fils spirituel de Péguy, que l'école de Jean Çavaillès et d'Albert Lautman 3 ait pu insulter le héros de 1940 ? Étienne Guyon maintient : « L'École n'a rien à voir avec cet incident. Ça a été l'acte d'un isolé. »
La conversation détendue m'apprend bientôt que Guyon et Lautman ont connu à l'École l'auteur du « coup ». Mais ni l'un ni l'autre ne va jusqu'à me dire son nom. Ils invoquent un secret qui ne leur appartient pas.
J'ai quand même l'impression d'avancer. Un ancien élève existe bien, fait de chair et d'os, qui s'était mis les mains dans le dos pour ne pas serrer celle que le général de Gaulle lui tendait. J'aimerais en avoir le coeur net, savoir s'il y a eu ou non « coup monté ». Il faut que je le rencontre, pour essayer de comprendre. Peut-être l'intéressé accepterait-il de délier ses camarades d'un secret si longtemps gardé ?
« Que vous êtes jeunes, que vous êtes nombreux, que vous êtes aimables ! »
Un ami commun a bien voulu poser la question au camarade inconnu. Celui-ci a fini par accepter de sortir de l'anonymat pour moi. Le rencontrer n'est pas allé sans nouveau mystère. Plusieurs fois, un déjeuner à trois a été convenu, reporté, décommandé.
La rencontre a finalement lieu, encore quatre ans plus tard, le 11 décembre 1998, dans un appartement louis-philippard du Quartier latin. L'inconnu m'a devancé. Il me dévoile son identité. C'est un physicien des hautes énergies de la promotion 1958, professeur d'université, discret, doux, charmant.
La maîtresse de maison se joint à nous. Elle aussi découvre l'inconnu. Pourtant, elle était au fameux bal, au bras de son futur mari ; et bien qu'elle ait souvent parlé de l'affaire avec lui, il lui en avait gardé le secret jusqu'à ce jour.
AP (à l'inconnu) : « Je suis heureux de vous serrer la main, et encore plus heureux de voir que vous ne refusez pas la mienne. (Rires : l'atmosphère se détend.) Ainsi, vous êtes le héros d'un acte de rébellion, d'une sorte d'insurrection à froid, alors que vous avez l'air le plus cordial du monde. Qu'est-ce qui vous a amené à ce geste ? Qu'en attendiez-vous ?
L'inconnu. — En ce temps-là, d'une part j'étais communiste — j'ai cessé de l'être après 68 ; d'autre part, j'étais mal informé, comme mes camarades. Nous pensions que de Gaulle était un général factieux. Il avait pris le pouvoir par le putsch militaire du 13 mai. Il était l'instrument de l'armée, qui voulait écraser l'insurrection algérienne en imposant l'Algérie française. Il nous conduisait tout droit au fascisme.
« Nous avions soigneusement préparé cet incident à l'avance. Nous nous sommes réunis à une cinquantaine : une trentaine de communistes — toute la cellule de l'École — plus une vingtaine de trotskistes et de PSA 4. Nous étions tous d'accord sur le but : il ne fallait pas qu'on puisse dire que ce général de pronunciamiento avait été bien reçu à l'École et que l'Université se réconciliait avec lui. Nous avons décidé de former un cordon sanitaire, pour lui barrer la route au bas de l'escalier du gymnase, quand il le descendrait pour aller prendre un bain de foule avec les danseurs. Nous avons répété la scène sur les lieux plusieurs jours à l'avance. Le soir du bal, de Gaulle s'est écrié, au balcon du gymnase : "Que vous êtes jeunes, que vous êtes nombreux, que vous êtes aimables ! "
AP. — Et il a été alors très applaudi, bien que cette phrase à la Mac-Mahon ne le méritât pas vraiment.
« Monsieur, je voudrais vous serrer la main »
L'inconnu. — Il a descendu l'escalier et il s'est heurté au mur que nous formions, bien serrés les uns contre les autres, nos mains agrippées derrière le dos. Il m'a tendu la main en premier. Je ne l'ai pas prise. Il m'a dit : "Monsieur, je voudrais vous serrer la main." Je n'avais rien préparé, évidemment. Je n'avais pas imaginé que j'allais être choisi par lui. J'ai bafouillé : "Je ne serre pas la main d'une politique ", ou "de votre politique", je ne sais plus.
« Il a tendu alors la main à mon voisin, qui, lui aussi, a gardé les mains derrière le dos ; je crois à un troisième, qui a fait de même. Le Général a dit alors : "J'ai compris." Et il est reparti par l'autre escalier, sans se mêler aux danseurs. C'est justement ce que nous avions voulu.
AP. — Dans l'heure qui a suivi, j'ai parlé avec des élèves qui m'avaient paru dans le coup. Étiez-vous parmi eux ?
L'inconnu. — Non, je suis parti tout de suite. J'étais tellement bouleversé de ce qui venait de se passer, que je n'ai pas voulu rester une minute de plus sur place.
AP. — J'ai demandé à l'un : "Êtes-vous communiste ? " et il m'a répondu : " Ça n'a rien à voir." Il devait l'être. J'ai dit à un autre : "Vous savez que l'École a reçu courtoisement tous les Présidents de la IIIe et de la IVe ?" Il m'a répondu que c'étaient des potiches. Un autre m'a dit : " L'École a résisté à Napoléon Ier, à Napoléon III, à Pétain ; elle résistera au Général-Président."
L'inconnu. — Oui, c'est ce que nous pensions. C'était une erreur de jugement. Je la regrette. J'ai compris depuis lors que de Gaulle n'était pas un général putschiste. Mais par rapport aux sentiments qui étaient les miens, j'ai fait ce qui me paraissait mon devoir. D'ailleurs, dans les années suivantes, mon antigaullisme n'a pas baissé. J'étais engagé à fond dans le mouvement pour la libération de l'Algérie. Nous avions l'impression que de Gaulle amusait la galerie, mais qu'il ne voulait pas donner l'indépendance au FLN, et qu'il ne le ferait que si nous l'y forcions. J'étais à Charonne, j'ai vu des CRS se précipiter sur les manifestants et abattre leurs matraques, j'ai vu le sang couler. C'est seulement plus tard, après le retrait du Général, que j'ai regretté de l'avoir offensé. J'ai pensé le lui écrire, mais il est mort avant que j'aie rédigé ma lettre.
La maîtresse de maison. — Vous savez, ce que pensait notre invité, nous étions nombreux à le penser, même si nous n'étions pas communistes. Dans la minute qui a suivi, un mot d'ordre est passé dans nos rangs : "Bouche cousue ! Aucun mot, aucun nom ! Il ne s'est rien passé ! "
Le maître de maison. — Le mot d'ordre était destiné à éviter qu'il y ait des sanctions. Il fallait protéger notre camarade. Même entre nous, nous ne citions pas de noms.
« C'est une gaminerie »
AP. — La loi du silence, l'omerta, elle a été observée des deux côtés. Du vôtre, il ne fallait pas qu'on connaisse votre nom, ni celui de vos complices ; vous aviez peur de sanctions. Mais du côté de l'Élysée, on ne tenait pas non plus à monter l'affaire en épingle. On a minimisé les choses. Le cabinet de l'Élysée a téléphoné aux journaux sur le thème : "C'est une gaminerie. (Il paraît que le Général avait eu ce mot.) Ça n'a rien changé à la visite du Général, qui s'est très bien passée. Il a été très applaudi." » (Ce qui était vrai avant l'incident, mais il est reparti dans un épais silence.)
Le silence tombe à nouveau sur nous. Je reprends : « C'est quand même impressionnant. Comment est-il possible qu'une conspiration, ourdie par cinquante conjurés, qui n'étaient pas homogènes, ne soit pas venue aux oreilles de la direction ? Il aurait été si facile de décommander cette visite, sous un prétexte quelconque !
L'inconnu. — Pour l'engagement en faveur du FLN, pour le rejet de De Gaulle, nous étions absolument homogènes. Nous avions tous les mêmes convictions. Nous nous sommes engagés au secret absolu avant, pendant et après le bal.
AP. — Le secret qui a été gardé pendant quelques jours pour préparer l'affront, encore, on comprend. Mais comment se fait-il que, depuis, le même secret ait pu être préservé pendant quarante ans ?
Le maître de maison. — Nous étions liés par notre propre consigne.
AP. — Mais comment expliquer que cette consigne perdure quarante ans après, alors que tous les témoins qui avaient à l'époque une responsabilité sont morts, et que les conjurés arrivent à l'âge de la retraite ?
Le maître de maison. — L'incident est resté dans les mémoires, même si on n'en parlait pas.
AP. — En tout cas, il est resté dans la mémoire du Général. Il a été si frappé de cette rebuffade qu'il n'a jamais pris le risque qu'elle se renouvelle. Systématiquement, il a évité de remettre les pieds dans une enceinte universitaire française. C'est d'autant plus frappant que, à l'étranger, il demandait à rencontrer les étudiants, ce qui donnait lieu chaque fois à des manifestations d'enthousiasme.
Le maître de maison. — Et il a fallu attendre trente-cinq ans pour qu'un autre Président de la République, Mitterrand, mette les pieds à l'École. Il a fait préparer soigneusement sa venue. Les invités étaient triés sur le volet, pour qu'il n'y ait pas une seule fausse note. Il fallait qu'on puisse dire qu'il avait été bien reçu là où le Général avait été mal reçu, qu'il avait réussi là où de Gaulle avait échoué.
AP. — Ce que cette affaire a montré avec force, c'est qu'une rébellion, soigneusement préparée en petit comité, peut entraîner la glaciation d'une salle d'un millier de danseurs, qui, l'instant d'avant, était chaleureuse. C'était une fête ; pas de politique, pas de discours, pas de message ; seulement un moment sans prétention, où l'on côtoyait familièrement l'Histoire, nous, celle d'un personnage de légende, lui, celle d'une institution prestigieuse, le tout dans une atmosphère bon enfant. Et voilà que le geste concerté de cinquante militants a pris en otage l'École pour en faire un symbole de résistance au Général. Sur ce millier de garçons et de filles, aucun n'a eu l'idée de forcer le barrage pour aller lui-même serrer la main du Général, quitte à créer un scandale encore plus grand ; quitte à entraîner une bagarre. Ce dont on se souvient quarante ans après, ce que l'historien retiendra, c'est ce geste brutal d'une infime minorité des participants : 5 % de cette population estudiantine avaient réussi à transformer pour l'Histoire le caractère de cette soirée. Je me demande si nous n'avons pas là l'avant-goût de ce qui s'est passé en mai 68.
L'inconnu. — En 1968, je n'étais pas du tout dans le coup. J'étais en province. Nous étions des spectateurs lointains. Tout se passait à Paris.
AP. — La ressemblance entre l'incident de 59 et la fronde de 68 réside dans le même paradoxe. En février 59, quand de Gaulle arrive dans la salle de bal, il est acclamé ; après l'incident, la salle se fige. En avril 68, tout était calme ; les chefs syndicalistes n'envisageaient aucune action avant la rentrée d'octobre. Et soudain, une contagion se répand : des millions de travailleurs se sont mis en grève.
« La thèse classique, c'est qu'il y avait sous la surface un formidable rejet de tout : du régime, du Général, du gouvernement, de l'autorité, du capitalisme, de la famille, des bonnes moeurs, de la société. Mais comment les experts en revendication ont-ils pu ne pas sentir cette force révolutionnaire, si vraiment elle existait ? Comment ce qui était imprévu et imprévisible était-il inévitable comme une fatalité ? Et si cette force révolutionnaire était tellement puissante, comment a-t-elle pu s'évaporer, le mois suivant, dans les isoloirs ? Comment, un an plus tard, Krivine, qui la représentait à l'élection présidentielle, a-t-il obtenu 1 % des voix, alors que le tohu-bohu se poursuivait de plus belle dans les universités ?
« J'avance une explication d'un autre ordre. Je crois aux hommes acteurs de l'Histoire. Il y a eu un début de révolution parce qu'il y avait des révolutionnaires. En 65-66, quand le Parti a voulu reprendre en main les Jeunesses communistes, un peu trop turbulentes à son gré, les trotskistes et les maoïstes ont claqué la porte.
L'inconnu. — C'est vrai, j'ai vécu cela.
AP. — Les dissidents ont alors constitué des groupes vraiment révolutionnaires. Ils n'étaient que quelques centaines de militants, mais ils étaient bien décidés à subvertir la société et se sont organisés à cet effet. Ce sont eux qui ont réussi à créer l'événement. Il a suffi de ces quelques centaines de gauchistes, résolus et exercés, pour entraîner derrière eux une bonne part de la jeunesse estudiantine. Tout comme les conjurés de la rue d'Ulm ont réussi à congeler autour d'eux le millier de danseurs qui, l'instant d'avant, avaient applaudi chaleureusement le Général.
Le maître de maison. — Je dirais plutôt que Mai 68 fut comme un coup de grisou. Le gaz est là, accumulé dans une poche de la mine, et il suffit d'une étincelle pour qu'il explose.
AP. — C'est justement là que gît pour moi l'erreur. Il n'y avait pas de gaz accumulé ! En physique sociale, il n'y a pas forcément égalité entre la cause et la conséquence. On est toujours tenté de croire qu'à une grande conséquence, il faut une grande cause. Je crois que c'est une illusion. Tout dépend des hommes, de leur invention, de leur détermination, de l'enchevêtrement d'innombrables libertés imprévisibles.
La maîtresse de maison. — Je crois surtout que le Général était un homme du XIXe siècle. 1968, c'est la fin du XIXe siècle et des contraintes qui pesaient encore sur la société.
L'inconnu. — C'est cela, il y avait un appétit de libération, surtout de libération sexuelle.
AP. — Croyez-vous vraiment ? La loi Neuwirth est de 1967. L'autorisation de la pilule, des contraceptifs, c'était acquis. La libération sexuelle avait commencé bien avant 68, elle a continué bien après. Elle s'est faite partout, même dans les pays où il n'y a pas eu de Mai 68. »
Le déjeuner tire à sa fin et le débat n'en a pas. Mes hôtes n'ont pas été convaincus par ma façon de voir. Nous nous séparons bons camarades.

En repartant, je pense au Général, à l'humiliation qu'il a dû ressentir. Il l'a enfermée dans le silence. Mais personne n'a mesuré l'effet que ce silence pouvait avoir dans sa psychologie. Imaginons qu'une enquête ait été faite. Elle aurait mis au jour le montage de l'opération. L'incident se réduisait à ce qu'il était en réalité : un coup de la cellule communiste et de ses satellites, qu'on n'appelait pas encore gauchistes. Mais derrière les jeunes gens qui lui avaient refusé leur main, de Gaulle a pu voir se profiler toute une École, toute l'Université, toute une jeunesse... A partir de ce moment, il a évité le monde universitaire, qui lui avait manqué. Qui dira de quel poids cette impression a pu peser dans son comportement pendant la crise de Mai ?
Mais le silence a agi sur l'École aussi. Elle s'est solidarisée avec les fautifs, comme une classe de collégiens se solidarise avec les deux chahuteurs qui, dans le fond de la salle, se sont lancé des fléchettes. Et elle s'est ainsi solidarisée avec l'acte lui-même, que pourtant, dans son immense majorité, elle n'approuvait pas.
Si le mystère a duré quarante ans, c'est sans doute qu'une sourde honte pèse sur les acteurs. De fait, il n'y a pas de quoi se vanter d'avoir pris de Gaulle pour un militaire putschiste, et Staline ou Trotski pour des bienfaiteurs de l'humanité. Mais la honte est encore une façon de ne pas faire face à l'histoire. Elle est encore une façon de se solidariser avec l'erreur. La vérité libère.
Dans cette affaire, il y a tout le mystère de Mai 68 et du crépuscule du Général. Là aussi, de Gaulle s'est heurté à un mur d'étudiants au visage buté. Qu'y avait-il derrière ce mur ? La lecture que quarante ans ont permise de l'épisode de 1959 autorise une nouvelle lecture de la fronde de 1968.
1 Cf. C'était de Gaulle, t. I, Ire partie, ch. 5, « On ne serre pas la main d'un dictateur ».
2 Cf. C'était de Gaulle, t. II, IIe partie, ch. 17.
3 Jean Cavaillès, compagnon de la Libération, et Albert Lautman, le père de Jacques Lautman, fusillés comme résistants.
4 Le parti socialiste autonome — ancêtre du PSU (parti socialiste unifié) — qui s'était séparé de la SFIO après l'envoi du contingent en Algérie.
Cétait de Gaulle - Tome III
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