Chapitre 4
Conseil du 31 mars
1966.
La loi d'amnistie consécutive à l'élection
présidentielle est à l'ordre du jour. En plus des dispositions
devenues habituelles pour les contrevenants, lesquelles suscitent
les discussions habituelles à propos du recouvrement des amendes,
un ensemble de mesures touche aux condamnés de l'OAS.
Pompidou : « Ces textes sont très bien venus et
ils sont généreux. Ils seront très bien accueillis. Mais il faudra
que le gouvernement reste très ferme dans la discussion au
Parlement, pour ne pas se laisser déborder.
« On peut être bête et méchant »
GdG. — Il y a deux problèmes bien distincts. Celui
des auteurs de crimes particulièrement odieux, ils sont environ 70.
Et celui des chefs, une dizaine ; certains sont graciés, comme le
général Gouraud et le général Nicot. Le général Faure va
l'être.
Edgar Faure (osant empiéter sur le territoire
présidentiel de la grâce). — Ferrandi 1 n'est pas un personnage bien redoutable.
GdG. — Ferrandi a été le mauvais génie de
Salan.
Faure (persistant). — Il est surtout bête.
GdG. — On peut être bête et méchant (Hara-Kiri 2 commence à
déteindre).
Pompidou. — Il ne s'agit pas, mon général, de
discuter votre droit de grâce. (On réprime des sourires, chacun se
souvenant de l'affaire Jouhaud 3 et devinant
que le Premier ministre donne une leçon au nouveau venu.) Mais cela
pose un problème de cohérence : les graciés peuvent échapper à la
loi d'amnistie que nous examinons.
GdG. — On pourrait mettre dans la loi une
disposition qui dirait en somme : dès lors que les condamnés sont
graciés, ils sont amnistiés.
Fouchet. — Il ne faut pas oublier que la plupart
des gens dont on parle ont commis des crimes affreux. Il faudra que
le ministre de l'Intérieur les surveille de près. Vous aurez beau
les amnistier, ils ne vous pardonneront jamais, mon général.
GdG. — Je ne les amnistie pas pour être pardonné
par eux. »
« La collaboration, ça a été très compliqué
»
Conseil du 25 octobre
1967.
Joxe 4 : « Pendant
la session de printemps, une proposition de loi d'amnistie sur tous
les faits relatifs à l'Algérie a été déposée. Nous ne l'avons pas
laissée venir à l'ordre du jour, mais le Premier ministre a déclaré
à la télévision qu'il l'étudierait. Il faut donc que le
gouvernement prenne position. Je rappelle que des lois successives
ont amnistié les membres des forces de l'ordre et les combattants
du FLN, puis les mineurs, puis les auteurs d'infractions
punissables d'une peine inférieure à dix ans. Il y avait eu 1 480
amnisties avant la fin de l'année 64. La loi de juin 1966,
consécutive à votre élection, a amnistié 1 907 personnes de plus.
Il reste 374 cas, dont 164 sont des personnes en fuite, condamnées
par défaut.
« On pourrait envisager d'amnistier tous ceux qui
restent, y compris ceux qui sont à l'étranger, en n'excluant que
les crimes de sang et les quelques chefs de l'organisation. Cela
pour l'amnistie de plein droit. Il n'y aurait pas de limitation
pour l'amnistie individuelle. Je signale que, après la Commune,
l'amnistie n'est intervenue que sept ans après ; pour les faits de
collaboration pendant l'Occupation, huit ans après.
Michelet. — Est-ce que le texte concerne les
derniers collaborateurs non amnistiés ? (Geste de dénégation de
Joxe.)
GdG. — Il ne s'agit que de l'Algérie. Beaucoup a
été fait déjà. On peut faire vite maintenant. (Un silence, puis,
s'adressant à Joxe, comme pour une réflexion échangée en privé.) Je
n'aime pas vos comparaisons. La Commune, tout s'y mêlait. La
collaboration, ça a été très compliqué. Les crimes des communards
et des collaborateurs avaient en somme quelques excuses. Et
pourtant, l'amnistie s'est fait attendre beaucoup plus longtemps
pour eux. »
Le Général est plein d'indulgence pour les
communards et les collaborateurs. Mais il n'a pas l'air de voir que
ses formules peuvent aussi bien s'appliquer aux patriotes rebelles,
aux « soldats perdus » : eux aussi avaient quelques excuses ;
l'Algérie aussi, « tout s'y mêlait », « ça a été très compliqué
».
« Je suis prêt à mettre fin à ces affaires de
collaboration »
Conseil du 15 novembre
1967.
Trois semaines plus tard, le texte revient du
Conseil d'État, et Michelet revient sur le souci qu'il avait
seulement esquissé en octobre : les quelques dizaines de personnes
qui ont purgé leur peine pour faits de collaboration, mais ne sont
pas amnistiées.
GdG : « Ne mélangeons pas, mais je suis prêt à
mettre fin à toutes ces affaires de collaboration. Le garde des
Sceaux peut faire préparer un texte. Nous l'examinerons. »
Lui qui, personnellement, n'oublie rien de
l'attitude que les uns ou les autres ont eue sous l'Occupation ;
qui se fait donner une fiche pour la lui rappeler avant de recevoir
un haut fonctionnaire, un parlementaire, voire un patron, ou
d'accepter de les promouvoir dans la Légion d'honneur —, il fait en
sorte que, collectivement, l'oubli des fautes réunisse la nation.
Lui qui n'a pas hésité un instant avant d'entrer en Résistance, lui
qui ne s'est pas laissé apitoyer sur Pucheu et sur Brasillach, il
est vrai en pleine guerre, le voilà compréhensif pour les
hésitations, les contradictions, les divagations. Et puis,
l'amnistie n'est pas l'acquittement. Les peines ont été subies. Il
n'est plus nécessaire que la mémoire du châtiment soit publiquement
entretenue. L'amnistie est une façon d'exprimer que l'Histoire a
tourné la page.