Chapitre 19
« VOTRE PSYCHOLOGIE A ÉTÉ DE LAISSER VENIR »
Élysée, jeudi 23 mai 1968.
Flohic, avec lequel je bavarde un moment avant de rejoindre mes collègues qui arrivent l'un après l'autre dans la salle du Conseil, parle de « l'indulgence complice de certains à l'égard des manifestants. » Pense-t-il à Grimaud, ou à plus haut que lui ? En tout cas, avec son absolue fidélité au Général, nul doute qu'il a entendu celui-ci tenir des propos du même ordre.
Avant l'arrivée du Général et de Pompidou, les ministres échangent leurs inquiétudes. Ils sont, me semble-t-il, une nette majorité à trouver que la politique d'apaisement inconditionnel a échoué : elle a embrasé toute la société.
Missoffe : « Le système de Pompidou est épatant, mais il ne fonctionne pas. Tout le monde réclame : "Et moi, et moi"
Guéna. — Les étudiants ont fait la preuve qu'il suffisait de tout casser pour obtenir tout. Pourquoi les jeunes ouvriers se gêneraient-ils ?
Marcellin : « Il fallait fiche les meneurs en taule »
Marcellin. — Comment se fait-il que le gouvernement fasse montre d'une telle faiblesse ? Mais qui donc, dans l'appareil de l'État, a une conception réfléchie du maintien de l'ordre ? Jamais d'initiatives pour reprendre les choses en main, pour mettre l'adversaire hors d'état de nuire ! On réplique au coup par coup, et toujours en reculant ! »
Je lui réponds que je pense comme lui, mais que je comprends aussi la hantise de Pompidou, de Fouchet, de Grimaud : ils craignent que la fermeté ne conduise à faire couler le sang.
Marcellin : « Mais c'est absurde ! Il n'est pas question de se servir d'armes à feu, puisque les émeutiers n'en emploient pas ! Il faut évidemment rester dans le même registre qu'eux. Mais surtout ce qu'il faut, c'est abandonner la défensive ; c'est frapper à la tête, emprisonner les meneurs, désorganiser le système d'attaque des groupes révolutionnaires. Quand il y a de l'agitation, c'est qu'il y a des agitateurs. Dès le début, il fallait fiche les meneurs en taule et dissoudre leurs mouvements. Et si les agitateurs les reconstituent, il faut les poursuivre pour reconstitution de ligues dissoutes. Je connais la musique. Je l'ai apprise avec Jules Moch.
« En 52, les communistes, armés de barres de fer, ont fait une manifestation violente contre la venue à Paris du général Ridgway, vous vous souvenez 1. J'étais au gouvernement. On n'a pas molli. Huit cents arrestations, dont Jacques Duclos et André Stil. Cent cinquante inculpations pour atteinte à la sûreté intérieure de l'État, perquisitions au siège du PC. Les communistes ont compris alors que la violence se retournait contre eux. »
Pourtant, Grimaud peut se prévaloir, depuis la nuit des barricades, d'une douzaine de jours calmes, pendant lesquels on a suivi sa tactique du non-agir. Et même il peut triompher en soulignant que c'est l'interdiction de séjour prononcée, malgré son avis, contre Cohn-Bendit, qui a relancé le désordre. Pour lui, on ne va pas assez loin dans le sens de la patience ; pour le Général, on y est allé beaucoup trop loin. Pompidou, tantôt suit sa pente qui est celle de Grimaud, tantôt fait une concession au Général qui va dans le sens inverse. Le résultat est un peu cahoteux.
« Je ne crois pas que l'État puisse être emporté »
Conseil du jeudi 23 mai 1968.
Le silence se fait à l'arrivée du Général. Comme insensible à la pression des événements, le Conseil déroule son ordre du jour. On parle du régime fiscal de la Nouvelle-Calédonie, du développement du Nord. Le Général évoque, mais brièvement, son voyage en Roumanie. Son retour accéléré fait la transition : Fouchet puis Jeanneney font le point du désordre dans la rue et dans l'économie. Après leurs longues interventions, le Général se concentre un moment, puis :
« Je vais demander à chacun de vous de s'exprimer. Je m'en vais vous dire d'abord ce que je pense de la situation.
« Nous nous trouvons dans un certain pays, dans une certaine société, qui sont emportés par une transformation, avec une étendue et sur un rythme jamais connus. C'est un pays qui n'a peur ni de la guerre, ni de la misère. Il ne connaît ni angoisse intérieure, ni angoisse extérieure. Il assiste à un mouvement, à un progrès qui le dépassent, parce qu'ils tiennent à des causes qui le dépassent et qui tiennent en un mot : la civilisation technique et mécanique. Alors, il est troublé dans tous ses éléments, notamment dans sa jeunesse.
« Il ne faut pas être étonné qu'à un moment ou à un autre, il y ait eu une manifestation nationale — et internationale, mais comme toujours nous montrons la voie.
« Le trouble, on le ressent de haut en bas, et spécialement dans ce qui s'agite le plus, l'Université.
« L'Université est mal organisée, pas du tout adaptée à son objet. Elle est depuis longtemps dans la pagaille. On aurait pu depuis longtemps faire un certain nombre de choses que l'on n'a pas faites. Je passe, mais tout le monde comprend ce que je veux dire. De même, pour l'ordre public. Il est possible que l'on aurait pu agir plus vite et plus fermement, dès le début des désordres dans la rue. »

Le Général s'adresse directement au Premier ministre, qui lui fait face : « Votre psychologie a été de laisser faire, de laisser venir. Cela peut se concevoir, à condition de ne pas laisser franchir les bornes au-delà desquelles l'État aurait été atteint.
« Mais à quoi bon épiloguer ? Le fait est que, sous l'effet du détonateur qu'a été le monde estudiantin, les manifestations de tous ceux qui ne sont pas contents pour une raison ou pour une autre se sont enchaînées. On a assisté à une entreprise d'occupation des usines et du pays.
« Cette situation ne peut plus durer. Il faut y mettre un terme, en plaçant les Français en face des réalités. À moins que cela n'aboutisse à une révolution, à la volonté d'une partie du pays de s'emparer de la République et de renverser les institutions. Cette intention existe sûrement dans certaines équipes, dans certains organismes. Mais ce n'est pas l'intention généralisée du pays de faire la révolution. Et l'État est suffisamment établi sur ses bases, il a le ressort suffisant pour empêcher qu'on ne le renverse. Il suffit de vouloir, il suffit de tenir bon. Je ne crois pas que l'État puisse être emporté.
« Ce désir d'élévation et de participation, il faut que l'État en fasse son affaire »
« Il y a les causes. Il y a partout un désir de profiter du progrès, de prendre sa part du profit. Il y a un désir général, surtout de ceux qui ont l'habitude de revendiquer — les ouvriers, les paysans —, d'améliorer leur condition. C'est une impulsion de la société mécanique : gagner. Pourquoi ne gagneraient-ils pas quelque chose ? Ils voient que ça marche, que ça répond. Pourquoi ne pas en profiter ? On ne calcule guère quels déséquilibres cela peut entraîner.
« Et puis il y a un autre élément, corrélatif au premier. C'est un désir généralisé de participer, comme on dit. Ne pas être entraîné par la mécanique, les organisations industrielles, les administrations, tous ces instruments qui font marcher la mécanique. Ça peut aboutir à un désir de contester sans mesure.
« Le désir général de participer, il se manifeste particulièrement dans la jeunesse. Et le désir d'améliorer la condition matérielle, il ne se manifeste pas spécialement chez les plus défavorisés, mais plutôt chez les cadres, qui naturellement entraînent les autres.
« Ainsi, tout le monde veut plus qu'il n'a. Et tout le monde " veut s'en mêler ", " être consulté ", " participer ".
« D'autre part il y a une nécessité de la nation et une obligation de l'État. D'abord, de maintenir l'ordre public. D'assurer à la population les choses élémentaires : la vie, la santé, les communications, la liberté du travail partout où on le peut.
« Corrélativement et dans l'immédiat, il faut garder le contact, causer, négocier, négocier en tout cas avec ceux qui ont les moyens de négocier. On devra donner des choses, et il vaudra mieux les donner volontiers, mais il ne faut pas que l'équilibre soit emporté.
« Mais, au-delà, il faut que l'État, et pour commencer moi-même, fasse une opération d'ensemble, une opération nationale.
« Ce qui est élémentaire, et même naturel, c'est ce désir d'élévation et de participation. Il faut que l'État le prenne en compte, le coiffe et en fasse son affaire ; et que le pays le mandate pour le faire. Il faut que le pays nous dise : "Nous vous faisons confiance, à vous tels que vous êtes, pour réformer l'Université de manière à l'adapter aux besoins modernes de la Nation ; pour que le rôle de la jeunesse soit établi et précisé ; pour que l'économie soit infléchie, afin d'améliorer le sort de tous et spécialement des moins favorisés ; pour que la participation soit étendue et qu'elle touche aux responsabilités, par l'association du personnel à la marche des entreprises ; pour développer la formation et assurer l'emploi ; pour définir l'organisation régionale."
« L'opération qui est à faire, l'opération que je dois faire, c'est un référendum portant sur ces sujets-là ; c'est demander au peuple un mandat pour faire ces choses-là.
« Si c'est non, ma tâche est terminée.
« Si c'est oui, nous le ferons, avec cet appui formulé par le pays, s'il le veut. »
Maurice Schumann : « Vous retournez l'événement. Bravo ! »
Le « tour de table » annoncé commence. C'est Edgar Faure qui parle le premier.
Edgar Faure : « La société ne dispose pas des ressorts et amortisseurs qui permettraient d'absorber les secousses. Les corps intermédiaires sont affaiblis, et il ne faut pas donner l'impression de trop de démocratie directe.
GdG (prompt à comprendre la critique sous-jacente). — Le mandat sera donné aux pouvoirs publics, et non pas au seul Président de la République. Nous n'écartons ni le Parlement, ni les syndicats, et, vous avez raison, il ne faut pas en donner l'impression.
Edgar Faure. — Trois causes se sont conjuguées, pour créer la crise : le malaise universitaire, la morosité de la situation économique en raison du défaut de relance, l'insuffisance de l'assiette politique pour la majorité. (Comme la presse et le Landerneau parisien, il fait l'impasse sur un autre facteur ou ne le voit pas : les groupes révolutionnaires.)
Marcellin (reprenant à sa façon le problème des corps intermédiaires). — Il faut lutter contre la tendance de l'administration centrale à tout aspirer. Il ne faut pas seulement déconcentrer, comme le prévoit le texte du référendum, mais décentraliser, en donnant aux assemblées régionales un pouvoir de décision. » (Marcellin ne dit rien des idées fermes et sensées qu'il développe avant et après le Conseil.)
Comme pour dissuader les autres ministres d'entrer dans les détails, de Gaulle précise : « Il n'est pas question de soumettre au référendum autre chose qu'un texte général. L'opération à réaliser est une opération de confiance, d'intention. Il ne faut pas expliciter les choses. »
Michel Debré met l'accent sur la politique : « La crise a commencé lors de l'élection présidentielle ; une situation difficile s'est créée, qui a été aggravée par des élections législatives médiocres et par l'indiscipline d'une majorité faible. L'assise du pouvoir n'est plus assez solide. Dès que les difficultés apparaissent, tout s'effondre.
« L'intérêt national réclame la rigueur et l'effort. Des raisons politiques poussent à reculer devant cet effort. Quant à décentraliser, on peut bien le faire, mais à condition que l'État s'appuie sur le suffrage universel. »
De Gaulle approuve : « Oui, pour s'opposer au fédéralisme.
Billotte. — Les jeunes ont l'impression que notre société demeure figée, alors que la révolution scientifique nous emporte à toute vitesse. Votre discours de demain doit mettre l'accent sur l'homme nouveau du XXe siècle, et faire comprendre que nous abattrons toutes les Bastilles du conservatisme, auxquelles nous nous heurtons depuis tant d'années. Il faut installer la participation à tous les échelons.
Schumann. — Il s'agit d'un nouveau départ. Voilà ce que le pays attend de vous. Cela seul est digne de vous. Les élections de 1967 avaient entamé une certaine désagrégation. On avait interrompu les voies du gaullisme, c'est-à-dire de l'appel direct au pays. Aujourd'hui, vous saisissez l'occasion par les cheveux. Vous retournez l'événement. Bravo ! »
Quand vient mon tour, je formule des objections : « Pour la forme, le référendum est-il adapté à une période de crise grave ? Il n'est pas familier aux Français. La gauche ne va pas manquer de parler de plébiscite bonapartiste. Le réflexe fondamental des Français, ça demeure les élections législatives. C'est la procédure qui me paraîtrait la plus appropriée pour un nouveau départ.
« Pour ce qui concerne l'Université, dans le déluge de bavardage qui la submerge, deux mots surnagent : participation et autonomie, qui peuvent être la meilleure ou la pire des choses. On peut même soutenir que la crise est sortie à Nanterre d'un excès de participation et d'autonomie. Le doyen Grappin a souhaité faire l'université expérimentale de la participation. On a créé des commissions paritaires enseignants-étudiants, pour les programmes, pour les examens, pour la pédagogie... On a laissé aux étudiants la liberté de discussion politique. Le résultat ne s'est pas fait attendre. La faculté a été mise hors d'état de fonctionner. Le doyen Grappin est le premier à reconnaître que cette expérience a échoué.
« Quant à l'autonomie, il faudrait préciser les choses. Chacune des universités devrait être plus autonome pour recruter ses étudiants et ses enseignants et pour se gérer. Mais l'autonomie de l'Université dans son ensemble est à certains égards trop grande : les sacro-saintes franchises universitaires ont favorisé l'extension des désordres. Ce sont ces traditions autonomistes qui empêchent le gouvernement de remettre lui-même de l'ordre et d'intervenir dans le fonctionnement d'un corps qui se retranche du reste de la nation.
« Ce n'est pas n'importe quelle participation et n'importe quelle autonomie qui permettraient de résoudre la crise. Mais une brèche s'est ouverte. Il faut profiter de la crise pour faire passer des réformes profondes, dans les semaines qui viennent. »
Pendant toute cette intervention, Pompidou n'a cessé d'opiner du chef, en accentuant son sourire quand je parlais des effets pervers de la participation, m'encourageant à développer mes remarques. Le Général, au contraire, avait l'air sombre et fermé.
Michelet : « Avec les étudiants, il faut y aller mollo »
Michelet a commencé par détendre l'atmosphère en lançant : « Mon général, il faut comprendre les étudiants. Avec eux, il faut y aller mollo. » Rires autour de la table. Le Général n'a pas l'air d'apprécier. Mais Michelet développe son idée et élargit le débat : « La crise de la jeunesse est une crise mondiale. Elle a été étouffée brutalement à Moscou, à Varsovie, à Madrid, en Amérique du Sud. À Paris, où on n'a pas enfermé les enragés de Nanterre, il n'y a pas eu de fusillades. La révolution a pu prendre son essor sans difficulté et se nourrir des précédents dont notre histoire est riche. Car c'est une révolution.
« Le gaullisme, c'est le rajeunissement du pays. La France est rajeunie. Nous avons sans doute eu tort de ne pas donner le droit de vote à 18 ans. Il ne faudrait pas que les jeunes de moins de 21 ans s'opposent à une réforme qu'on va faire pour eux mais sans eux. »
Pierre Dumas ne repousse pas l'idée de référendum, mais souhaite des élections le plus tôt possible. « Le fait que notre majorité était trop courte a aggravé le sentiment que le pouvoir n'était pas assis, et encouragé la volonté des forces d'opposition de le faire tomber. Ne pourrait-on faire voter dès 18 ans ? Ce serait un acte de confiance dans la jeunesse ; malgré les apparences, je crois qu'il y aurait beaucoup plus de jeunes favorables que défavorables. »
Le Général se tait ; Fouchet écarte cette suggestion : « Nous n'avons pas le temps de modifier les dispositions légales.
Chirac. — Le référendum est la seule réponse possible. Mais simultanément il faut que les négociations avec les syndicats avancent très vite. Il ne faut surtout pas miser sur un pourrissement.
« Seul le référendum peut confirmer l'autorité de l'État »
Gorse (revenant sur l'idée d'élections). — Le référendum ne suffira pas. Les élections sont plus conformes aux habitudes des Français. »
Le Général, qui n'avait pas relevé mon propos, coupe sèchement : « Non, car l'opposition cherche à mettre en échec l'autorité de l'État et seul le référendum peut la confirmer. »
(Le Général accorde un crédit total au référendum comme moyen d'affirmation de la confiance nationale. C'est oui, ou c'est non. C'est catégorique. Les élections, au contraire, sont biaisées, parce qu'on passe par un vote pour des individus, qui risquent de ne pas être de bons conducteurs de la volonté populaire.)
Malraux. — Oui, c'est le référendum et rien d'autre qui s'impose. Le choix doit être fait par le pays : c'est ou bien la réforme, que vous seul avec votre gouvernement pouvez conduire, ou bien la révolution. C'est simple et le peuple comprendra.
« La réforme ne doit en aucun cas être ordonnée par l'opposition. Il ne faut pas que le gouvernement danse sur les violons des grévistes. Ce qui suivra le référendum, ce sera la mise en place de quelque chose de fondamental, un new deal systématique.
GdG. — C'est-à-dire qu'il faudra le faire spontanément (il souligne le mot de la voix).
« Le référendum n'exclut pas les élections »
Missoffe. — Vous voulez consulter le peuple en le faisant participer. La participation doit passer par des élections générales. Hier, je ne le cache pas, je souhaitais que l'Assemblée renverse le gouvernement.
GdG. — Le référendum n'exclut pas les élections. »
Devant cette ouverture inattendue du Général, Pompidou intervient avec vivacité : « Je supplie qu'on ne parle pas d'élections prochaines. Nous ne tiendrions plus l'Assemblée, dans les jours où on aurait particulièrement besoin d'elle. »
Missoffe reprend : « On a ri du phénomène hippy, des beatniks, des provos. On a eu tort de ne pas attacher assez d'importance à ce phénomène. Ce besoin des jeunes de marquer leur différence, de s'évader, de se regrouper dans une action violente, ce sont des tendances qui avaient été soulignées dans le Livre blanc publié par mon ministère.
« Les jeunes du baby-boom savent qu'ils sont une force. Ils ne peuvent plus supporter que les adultes se considèrent comme propriétaires de tous les leviers de commande.
« Et puis, le transistor et la télévision ont provoqué l'information directe, sans intermédiaire. Les structures traditionnelles s'effacent ou s'effondrent. D'où la démission généralisée de l'autorité.
Guéna. — La réponse au référendum sera le troisième tour de l'élection présidentielle. La victoire nous donnera une force accrue.
GdG. — La victoire n'est pas assurée.
Ortoli. — Nous ne devons pas demander les pleins pouvoirs, mais la confiance. Il faut engager ce référendum dans un esprit de dialogue.
Couve. — La crise que nous traversons est révolutionnaire. La France ne change pas par évolution, mais par saccades. L'autorité de l'État est gravement atteinte. Ce qu'il faut d'abord, c'est la rétablir. Ensuite, il faudra prendre en main les transformations nécessaires, maintenant que le choc les a rendues possibles. »
Guichard suggère d'organiser le même jour le référendum et les élections : « On ne peut pas conserver cette Assemblée.
Pompidou. — Si on parle d'élections, nous allons nous mettre les parlementaires à dos.
Guichard. — Le recours à des élections, c'est la seule soupape dans la vie politique en France. Les élections couplées avec un référendum sont payantes. L'expérience l'a montré. »
Fouchet approuve.
Pompidou : « Nous avons été fidèles à votre personne, et nous le resterons »
Pompidou clôt le débat : « Le mouvement auquel nous assistons, vous l'avez analysé, mon général : il traduit un besoin matériel et un besoin plus moral que politique de se sentir responsable, associé aux décisions. Vis-à-vis d'une administration technocratique et centralisatrice, les hommes se sentent pareils à un troupeau et se révoltent contre le berger.
« La jeunesse : son explosion nous aura permis de faire éclater une Université vieillie. Mais ça ne va pas sans inconvénients.
« La France n'a plus de préoccupation fondamentale. L'Allemagne se débat dans son problème national ; la Belgique, dans son problème linguistique ; l'Angleterre, contre la décadence ; les États-Unis, dans le conflit racial. Paris s'ennuyait. D'où le goût de la destruction, pour que ça change.
« Nous sommes revenus au Paris de la Révolution. En 1830, en 1848, en 1870, des mouvements parisiens ont suffi à faire tomber des régimes. La IIIe et la IVe s'en tiraient par des crises ministérielles. Mais aujourd'hui, l'autorité de l'État s'est maintenue, ce qui prouve que la Ve tient bon (c'est la réplique à Couve).
« Tout finira par se tasser. Mais cette crise a fait apparaître des forces nouvelles : la jeunesse ; et aussi la CGT et le PC, qui ont pris le train en marche et qui ont montré qu'ils étaient les seules forces capables de paralyser l'État. Un seul appui existe : l'opinion. Il faut faire appel à elle. Il faut que le Président de la République, parce qu'il est aussi le général de Gaulle, trouve appui dans l'opinion.
« Je ne suis pas favorable à des élections couplées avec le référendum. J'aurais plutôt tendance à souhaiter la dissolution. Mais il y a une chance que, sur le nom du général de Gaulle, le référendum soit positif, et un risque que les élections soient négatives, par réaction contre le gouvernement, contre les ministres, contre moi-même. Nous risquons de perdre les élections, alors que nous devons gagner le référendum. »
(Surprenante déclaration, puisqu'il m'a confié à plusieurs reprises depuis l'élection présidentielle que la popularité du Général était usée par l'accumulation des catégories qui ne lui pardonnent pas d'avoir gagné contre elles un des combats du passé ; tandis que lui, il échappe à ces griefs. Découragement sincère, ou modeste et habile façon de combattre auprès du Général ceux qui lui chuchotent que son Premier ministre ne pense qu'à le remplacer ?)
« Mon général, nous avons été fidèles à votre personne, et nous le resterons.
GdG. — Je vous remercie. Je suis touché.
« Il faut aller à l'essentiel. L'essentiel, c'est que le peuple, dans sa masse, se ressaisisse et impose un coup d'arrêt à une minorité violente qui ne le représente pas. L'essentiel, c'est donc de gagner le référendum et, dans la foulée, de faire de grandes réformes. »
Joxe, à la sortie, nous déclare : « Et il ressuscita le troisième jour. »
1 Le général Ridgway, successeur du général Eisenhower comme commandant en chef des forces de l'OTAN.
Cétait de Gaulle - Tome III
titlepage.xhtml
9782213644912_tp.html
9782213644912_toc.html
9782213644912_cop.html
9782213644912_fm01.html
9782213644912_fm02.html
9782213644912_fm03.html
9782213644912_fm04.html
9782213644912_p01.html
9782213644912_ch01.html
9782213644912_ch02.html
9782213644912_p02.html
9782213644912_ch03.html
9782213644912_ch04.html
9782213644912_ch05.html
9782213644912_ch06.html
9782213644912_ch07.html
9782213644912_ch08.html
9782213644912_ch09.html
9782213644912_ch10.html
9782213644912_ch11.html
9782213644912_ch12.html
9782213644912_ch13.html
9782213644912_ch14.html
9782213644912_p03.html
9782213644912_ch15.html
9782213644912_ch16.html
9782213644912_ch17.html
9782213644912_ch18.html
9782213644912_ch19.html
9782213644912_ch20.html
9782213644912_ch21.html
9782213644912_ch22.html
9782213644912_ch23.html
9782213644912_ch24.html
9782213644912_ch25.html
9782213644912_ch26.html
9782213644912_ch27.html
9782213644912_ch28.html
9782213644912_p04.html
9782213644912_ch29.html
9782213644912_ch30.html
9782213644912_ch31.html
9782213644912_ch32.html
9782213644912_ch33.html
9782213644912_ch34.html
9782213644912_p05.html
9782213644912_ch35.html
9782213644912_ch36.html
9782213644912_ch37.html
9782213644912_ch38.html
9782213644912_ch39.html
9782213644912_ch40.html
9782213644912_p06.html
9782213644912_ch41.html
9782213644912_ch42.html
9782213644912_ch43.html
9782213644912_ch44.html
9782213644912_ch45.html
9782213644912_ch46.html
9782213644912_p07.html
9782213644912_ch47.html
9782213644912_ch48.html
9782213644912_ch49.html
9782213644912_ch50.html
9782213644912_ch51.html
9782213644912_ch52.html
9782213644912_ch53.html
9782213644912_ch54.html
9782213644912_ch55.html
9782213644912_p08.html
9782213644912_ch56.html
9782213644912_ch57.html
9782213644912_ch58.html
9782213644912_ch59.html
9782213644912_ch60.html
9782213644912_ch61.html
9782213644912_ch62.html
9782213644912_ch63.html
9782213644912_ch64.html
9782213644912_ch65.html
9782213644912_ch66.html
9782213644912_ch67.html
9782213644912_ch68.html
9782213644912_ch69.html
9782213644912_ch70.html
9782213644912_ch71.html
9782213644912_ch72.html
9782213644912_ch73.html
9782213644912_ch74.html
9782213644912_ch75.html
9782213644912_ch76.html
9782213644912_p09.html
9782213644912_ch77.html
9782213644912_ch78.html
9782213644912_ch79.html
9782213644912_ch80.html
9782213644912_ch81.html
9782213644912_ch82.html
9782213644912_ch83.html
9782213644912_ch84.html
9782213644912_ch85.html
9782213644912_ch86.html
9782213644912_ch87.html
9782213644912_ap01.html
9782213644912_ap02.html
9782213644912_ap03.html
9782213644912_ap04.html
9782213644912_ap05.html
9782213644912_ap06.html
9782213644912_ap07.html