Chapitre 2
« LA CANDIDATURE ANGLAISE ? L'ENTRÉE PURE ET SIMPLE N'EST NI PURE NI SIMPLE »
Conseil du 1er février 1967.
C'est avant même les élections législatives de mars 1967, que tout un chacun annonce perdues pour de Gaulle, que s'amorce une nouvelle tentative du cabinet britannique. Couve relate la visite à Paris du Premier ministre travailliste, Wilson, et de Brown, secrétaire d'État au Foreign Office. « Dès la première conversation, les Anglais nous ont affirmé que leur premier souci était l'indépendance. Ils attachent un grand prix à l'indépendance technologique et soulignent que leur apport à l'Europe serait de ce point de vue décisif, face à l'Amérique. Il faut bien constater que M. Wilson a complètement changé sa position depuis sa dernière visite. Mais cette évolution est-elle à son terme ? Wilson et Brown écartent l'idée d'une simple association, qu'ils paraissent considérer comme réservée aux pays sous-développés, et donc insultante. Ils prétendent en outre qu'il n'y aurait pas à tout changer dans le Marché commun pour qu'ils y entrent. Cela dit, ils soulignent que la politique agricole de la Communauté ne peut leur être appliquée telle quelle. Nous ne les avons pas contredits. Ils s'emploient à démontrer que leur situation financière est saine, et qu'ils ne feraient pas courir de risques au Marché commun ; ce sur quoi nous avons fait des observations. Au total, il n'y a pas eu de conclusion. Il n'est pas sûr encore qu'ils poseront vraiment leur candidature.
« Ils tourneraient le Marché commun à leur façon »
Pompidou. — L'évolution est en effet frappante. Les Anglais semblent prendre conscience des difficultés pratiques qui se poseraient, dans le domaine agricole surtout. M. Wilson a pris grand soin de ne pas apparaître en demandeur. Peut-être sont-ils moins déterminés qu'ils ne veulent bien le dire.
GdG. — Le ministre de l'Agriculture peut-il préciser la dimension des changements à attendre, si la Grande-Bretagne entrait dans le Marché commun ?
Edgar Faure. — La question centrale est celle des prix agricoles. Nous ne pourrions pas laisser les produits circuler librement, tant que les niveaux de prix ne seraient pas comparables au nôtre.
GdG. — Donc, cela retarderait la libre circulation des produits agricoles ?
Edgar Faure. — Pas forcément. On pourrait progresser entre les Six. Et appliquer aux Anglais les règlements agricoles progressivement, par tranches.
GdG (interrogeant Debré du regard). — Et comment se présente la question monétaire ?
Debré. — Il n'y a pas de Marché commun concevable avec les Anglais dans le système monétaire actuel. Ils ne peuvent répondre de la situation de la livre au-delà de novembre. On risque de les voir demander à la fois leur entrée dans le Marché commun et l'aménagement de leur dette. »
Le Général estime que ces deux avis d'experts, sollicités par surprise, ont suffisamment éclairé les ministres. Il se réserve de conclure.
GdG : « J'ai retiré de ces conversations des impressions mêlées. Sans doute les Anglais montrent-ils des dispositions nouvelles et sympathiques. Mais dès que l'on entre dans le sujet, dès que l'on parle de l'agriculture, dès que l'on parle de la livre sterling, on constate que les Anglais, s'ils forçaient la porte du Marché commun, en bouleverseraient la donne. Ils en deviendraient, pour mille raisons, l'élément dominant, et le tourneraient à leur façon.
« Faut-il remettre en chantier l'ensemble de la construction ? »
« Sans doute, l'Angleterre se prêterait-elle à des arrangements pour la période transitoire, mais ce serait en vue d'accéder à la position dominante. Ce serait, non pas pour s'adapter au Marché commun tel qu'il est, mais bien pour se mettre en situation de le transformer et d'y occuper la première place en jouant sur les deux tableaux de leur appartenance au Marché commun, d'une part, au monde anglo-saxon, d'autre part.
« Voilà l'angle sous lequel nos partenaires et nous devons envisager le problème. Il ne peut pas être résolu, à beaucoup près, par la seule signature de l'Angleterre. La question est en réalité la suivante : faut-il que l'Angleterre reste à l'écart du Marché commun, moyennant une association mutuelle ? Ou faut-il remettre en chantier l'ensemble de la construction ?
Debré. — Même une association peut présenter des dangers. Avant d'en lancer l'idée, il faudrait en mesurer toutes les implications.
GdG. — L'essentiel est de ne pas se laisser entraîner, comme nous l'avons fait en 1962, dans une interminable négociation de détail. Mais aussi de faire comprendre qu'il n'y a pas de solution facile, et que l'entrée pure et simple n'est ni pure ni simple. »
Conseil du 3 mai 1967.
Finalement, le cabinet Wilson a décidé de franchir le pas. Il a attendu le résultat de nos élections législatives : même si de Gaulle est toujours à son poste, la minceur de sa majorité parlementaire peut faire espérer qu'il se montrera plus arrangeant. C'est le moment de forcer la porte. Wilson l'a annoncé aux Communes hier.
Couve : « Le Premier ministre a écrit au général de Gaulle pour le prévenir de cette démarche. Le Général lui a répondu aussitôt. C'est une grande affaire qui commence. Les discussions avec nos partenaires commenceront à Rome.
GdG. — Il n'y a pas encore de démarche formelle, et le gouvernement n'a donc pas de décision à prendre. Mais s'il y a dès à présent des observations, je vous invite à les présenter. »
Malraux : « Est-ce l'Angleterre qui entre dans le Marché commun, ou le Marché commun qui entre dans l'Angleterre ? »
Voici donc un tour de table qui commence, à l'improviste. À Malraux de se lancer le premier.
Malraux : « Ou bien il n'y a, du côté de l'Angleterre, que des apparences de changement. Ou bien il y a des changements profonds. Dans ce cas, lesquels ? Ou, pour dire les choses autrement, est-ce l'Angleterre qui entre dans le Marché commun, ou est-ce le Marché commun qui entre dans l'Angleterre, c'est-à-dire dans les États-Unis ?
Debré. — Il faut que l'Angleterre prenne position sur l'essentiel. Un, la livre sterling. Ils veulent faire de Londres la place financière de l'Europe ; ils cherchent un soutien pour leur zone. Deux, les relations avec le Commonwealth. Cela dit, s'il y a échec de la négociation, il y aura des contrecoups politiques.
Edgar Faure. — Il est difficile de déceler les intentions réelles de la Grande-Bretagne. La question agricole est ardue, mais non pas insoluble. La question monétaire est réelle : une communauté économique appelle une solidarité monétaire 1 ; avec la livre sterling, ça peut poser problème. La question politique est sérieuse. Il y a des arguments contre. Comme disait Georges Bidault, "l'Angleterre n'est jamais indépendante des États-Unis plus de quinze jours". Il y a plusieurs arguments pour : les Anglais nous aideraient à mettre fin au mythe de la supranationalité ; nous pourrions les aider à s'affranchir des États-Unis ; il y a un préjugé favorable de l'opinion. En 1963, il était nécessaire de rompre la chaîne. Aujourd'hui, il faut user d'arguments plus pragmatiques.
Michelet. — On peut redouter une manoeuvre des Anglais contre le général de Gaulle. Pour la déjouer, il y aura beaucoup de précautions tactiques à prendre, à cause de l'opinion, qui est favorable aux Anglais.
Schumann. — Sur le fond, l'entrée de l'Angleterre est incompatible avec la politique agricole commune. Il n'y a pas d'autre voie que l'association. Sur la tactique, il ne faut pas que la France s'isole. »
Billotte, Joxe, Marcellin, Messmer, moi-même, nous réfugions tous dans la solution de l'association. Jeanneney parle à contre-courant.
Jeanneney : « Je souhaite que l'Angleterre vienne rompre le tête-à-tête franco-allemand, et que l'espace économique européen s'élargisse. L'absence du parti communiste serait une bonne contagion. Notre position de principe devrait donc être favorable. Nous n'avons pas à nous déclarer au départ pour l'association, mais à montrer et regretter que les difficultés viennent de la Grande-Bretagne. On pourrait s'adapter, et essayer de ne pas bouleverser le mode de vie des Anglais.
« Ce n'est pas à nous de dire aux Anglais leurs difficultés »
GdG. — Le mode de vie des Anglais, il sera certainement affecté. Leur alimentation changera, et elle leur coûtera plus cher. Il y a beaucoup de difficultés, mais au départ nous voyons cette demande avec sympathie. Et d'ailleurs, ce n'est pas à nous de dire aux Anglais leurs difficultés. Laissons-les les exposer tout seuls.
Pompidou. — L'idée que la Grande-Bretagne fait partie du continent européen gagne du terrain outre-Manche. Tant mieux. Mais quant à nous, nous avons seulement à considérer les avantages et les inconvénients, pour nous et pour le Marché commun, de l'adhésion anglaise.
« Derrière l'adhésion anglaise, il y a d'autres adhésions à prévoir inévitablement. Or, un Marché commun à douze ou quinze ne pourrait fonctionner qu'au prix d'un renforcement de la Commission. Comme nous n'en voulons pas, on assisterait nécessairement à la déliquescence de la Communauté, et du Marché commun agricole. Ce n'est vraiment pas le but recherché.
« Le bon sens consiste à constater que l'Angleterre est en Europe sans y être encore tout à fait. Il faudrait donc trouver un moyen terme. Mais il vaut mieux ne pas employer le terme d'association, qui a pris dans la pratique un tour péjoratif. Et il vaudrait mieux que l'idée soit lancée par d'autres que par nous.
GdG. — Comment concilier les Anglais comme ils sont et la Communauté comme elle est ? Un jour peut-être, les Anglais en seront venus au point d'entrer dans le Marché commun. Mais visiblement, ils n'en sont pas là. Cela vaut pour l'agriculture, pour le mouvement des capitaux, pour la question monétaire. Ce sont là des difficultés concrètes et insurmontables dans le Marché commun tel qu'il est. Il est concevable d'entreprendre quelque chose de nouveau, qui tienne compte de ce que sont les Anglais. Il est vrai qu'il y a un mouvement des Anglais vers l'Europe. Il est vrai que cela peut les conduire à prendre sur eux, à se transformer. En attendant, on ne voit pas pourquoi on ne s'entendrait pas sur un accord de bon sens économique, grâce à des abaissements de tarifs. Il n'est pas sûr que les Anglais n'y voient pas leur avantage.
« Quant à la politique, elle a été à l'origine de l'entreprise européenne. Il s'agissait de confondre d'abord les intérêts économiques, puis de réunir les intérêts politiques. Peut-être en viendra-t-on là. Il y a, du fait de l'envahissement américain de plus en plus ressenti, un petit vent nouveau qui souffle dans ce sens. Mais justement, de ce point de vue, l'Angleterre a une position spéciale ; elle est liée à l'au-delà des mers, elle est attelée aux Américains. Elle n'est pas dans la même position politique que les Six.
« Peut-être évoluera-t-elle ? Il est souhaitable que le jour vienne où l'Angleterre pourra prendre sa place en Europe. Mais ce jour n'est pas encore venu. En l'attendant, le bon sens est l'association, quelque nom qu'on lui donne. Nous n'avons pas à renoncer du jour au lendemain à ce que nous avons bâti avec nos cinq partenaires, si laborieusement. Attendons la démarche anglaise et l'accueil des autres. Nous verrons alors ce que nous avons à faire. »
« Je souhaite que vous puissiez chacun faire vos observations »
Conseil du 10 mai 1967.
À la fin du Conseil, le Général nous surprend encore : « Vous n'avez pu tous vous exprimer lors du dernier Conseil, à propos de l'Angleterre et de l'Europe. Je souhaite que vous puissiez chacun faire vos observations. »
C'est Gorse qui le premier saisit l'occasion.
Gorse : « Il s'agit de savoir si les Anglais ont évolué depuis 1963, et si, nous-mêmes, nous avons évolué. La tactique et l'information sont donc capitales. Déjà, on nous impute d'avance la responsabilité de l'échec. Il y aurait donc quelque inconvénient à lancer prématurément l'idée de l'association. »
Missoffe et Ortoli font écho à Gorse, Ortoli ajoutant que « l'association n'est peut-être pas une si bonne sortie de secours : elle peut comporter des avantages très importants pour la Grande-Bretagne, mais des inconvénients très sérieux pour nous.
Guéna. — Au fond, nous continuons de nous interroger sur une double arrière-pensée. Kennedy avait souhaité l'entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché commun pour qu'elle y surveille la France et l'Allemagne ; les Anglais voulaient entrer dans le Marché commun pour le diluer en une zone de libre-échange. Ces arrière-pensées ont-elles disparu ?
Guichard. — L'entrée de l'Angleterre aurait des avantages pour notre industrie. Ils ont une industrie très concentrée et qui fait beaucoup de recherche. Nous pourrions préparer leur entrée par des accords de coopération technique et scientifique. Cette entrée nous équilibrerait vers l'Ouest, elle pourrait être un puissant stimulant à l'industrialisation de l'Ouest.
Fouchet. — L'Europe des Six a-t-elle intérêt à absorber un pays doté d'une puissance financière telle qu'il drainera la substance du Marché commun ? »
Bourges, Boulin, Dumas plaident pour le wait and see : ne pas donner l'impression que la Grande-Bretagne est éconduite a priori.
Bettencourt : « De conversations avec l'ambassadeur du Royaume-Uni et avec d'autres Anglais, je tire la conviction que pour eux, l'entrée de la Grande-Bretagne va de soi. C'est dire que nous aurons des problèmes face à l'opinion. La position que nous aurons à prendre sera lourde à porter, parce que, aux yeux de nos partenaires, elle sera décisive.
Chirac. — La solution peut être l'association, à condition de l'entourer de suffisamment de précautions. Il faut saisir l'opinion française de la contradiction entre l'adhésion de la Grande-Bretagne et le développement de l'Europe.
« En définitive, on en passera par où la France le voudra. Ce n'est pas une situation désagréable »
GdG. — Je vous remercie, messieurs. Notons tout d'abord que, pour le moment, il n'y a pas de décisions diplomatiques à prendre.
« Mais quand le moment de la décision viendra, tout dépendra de la France. Alors, sur quoi nous décider ?
« Le mouvement qui porte l'Angleterre à regarder l'Europe d'un oeil nouveau n'a rien pour nous que de satisfaisant. Nous avons longtemps souffert de l'insularité du Royaume-Uni. S'il se tourne vers l'Europe, nous n'avons pas à le repousser.
« Mais le Marché commun est encore inachevé. Ce qui a été déjà construit l'a été à grand-peine. Cela repose sur un équilibre d'intérêts laborieusement accordés. Il faut comprendre et faire entendre que l'entrée de l'Angleterre, accompagnée de son cortège, ferait naître autre chose que le Marché commun. Il appartient aux Six de dire s'ils en sont d'accord, s'ils veulent faire cette autre chose avec les Anglais.
« S'ils n'en sont pas d'accord, on peut attendre que l'Angleterre fasse de son côté, pour elle-même, ce qui sera nécessaire pour se mettre un jour sur le même pied que les Six, et fasse alors, dans un avenir dont l'époque reste encore incertaine, son entrée dans le Marché commun.
« En attendant, l'association est un dispositif prévu dans le traité de Rome. Mais il ne faut pas se laisser faire sur ce terrain-là non plus. Ce n'est encore qu'une hypothèse d'école.
« En définitive, on en passera par où la France le voudra. Ce n'est pas une situation désagréable.
Pompidou. — La présentation qui sera faite de notre décision est très importante.
GdG. — Oui. Il ne faut pas se refuser à étudier le problème, étant entendu que le problème, c'est de faire tout autre chose que le Marché commun tel qu'il est.
Pompidou. — Il ne serait pas mauvais que M. Gorse, avec le concours des spécialistes, montre que l'adhésion de la Grande-Bretagne porterait atteinte à de nombreux intérêts français catégoriels. »
Ainsi se termine, sur une consigne plutôt négative, un tour de table étalé sur deux Conseils. A l'égard de l'Angleterre, la méfiance domine largement. Mais c'est comme si l'on se méfiait aussi du Général. Le refus de 1963 a laissé des traces. Les ministres n'osent pas le dire, mais ils ne cachent pas en privé — presque tous — que le Général a été alors trop brutal.
Le Général n'écoute que partiellement les conseils de prudence de ses ministres. Le 16 mai 1967, dans sa conférence de presse, il développe longuement les points d'achoppement. Certes, il termine en s'écriant : « De quel coeur la France accueillerait cette historique conversion ! » Mais on a compris que, pour lui, une conversion ne saurait être l'effet ni d'une illumination subite, ni de vagues désirs, ni d'une bonne volonté paresseuse. Au moins avait-il écarté toute idée d'un veto.
« Il y aurait des réactions à l'Est »
Conseil du 12 juillet 1967.
Le 30 mai, à Rome, pour commémorer le dixième anniversaire du traité, les chefs d'État et de gouvernement se sont réunis. De Gaulle a fait écarter une proposition néerlandaise, selon laquelle la prise en considération de la demande anglaise serait décidée sur-le-champ. C'est au Conseil des ministres des Affaires étrangères de traiter cette question.
Ils ont commencé d'en parler à Bruxelles le 11 juillet. Couve rend compte le lendemain : « J'ai développé notre position. Nos partenaires ont dit dans l'ensemble que les problèmes existaient, mais que, pour les identifier, il fallait engager les discussions. Les Allemands se sont montrés fort modérés. Selon la procédure du traité, nous avons demandé à la Commission un rapport et nous en attendrons le résultat.
GdG. — Nous insistons sur le fond de l'affaire : il faudrait renoncer au Marché commun tel qu'il est. La réaction des États-Unis est facile à prévoir : elle consisterait justement, grâce aux Anglais, à transformer le Marché commun en zone de libre-échange, qui serait en fait conduite par les États-Unis. Est-ce que les Russes regarderont cela sans bouger ? Par contrecoup, il y aurait sans doute des réactions à l'Est, une crispation qui n'irait pas dans le sens de la détente. »
Le Général charge la barque... L'argumentation est paradoxale, et la presse le relève aussitôt : si l'on pense que l'entrée de l'Angleterre affaiblit la Communauté, comment cette Communauté affaiblie pourrait-elle faire peur aux Soviétiques ? Mais de Gaulle devine que, la nature ayant horreur du vide, cette zone de libre-échange serait une zone de libre parcours pour les intérêts américains — et c'est cela qui déstabiliserait une détente fondée, en Europe, sur l'émergence d'une Europe autodéterminée.
« Cela craquera pour la livre et pour l'Angleterre »
Conseil du 25 octobre 1967.
Couve : « Les premières discussions approfondies ont été assez confuses. Nos partenaires sont désorientés par la façon dont nous avons posé le problème : non pas un oui ou un non aux négociations, mais un débat sur l'état de l'Angleterre. Nous avons pu exposer clairement et tranquillement notre point de vue, sans que la discussion prenne jamais un tour dramatique.
GdG. — Tout dépend des Anglais. Il est évident qu'actuellement, la négociation ne peut pas s'ouvrir. Vous avez été très efficace. La France est la seule qui ait une position réelle. Les autres ont des souhaits, des velléités, et on ne peut rien construire sur des souhaits ou des velléités. »
« Tout dépend des Anglais. » Le 10 mai, il nous avait dit : « Tout dépendra de la France. » Il s'est rendu compte qu'il était dangereux de porter seul le poids de la décision. Les Anglais ont pris l'initiative. C'est à eux de montrer jusqu'où ils sont prêts à aller.

Conseil du 15 novembre 1967.
La candidature anglaise est trahie par la livre sterling.
Debré : « La livre est dans une position très difficile. La Banque d'Angleterre ne peut plus emprunter. Les Anglais demandent le secours des banques centrales. Nous avons accepté : il ne fallait pas se singulariser. Mais nous avons posé une condition : l'Angleterre devra nous rembourser dans les quarante-huit heures si elle exerce encore son droit de tirage sur le FMI.
GdG. — On ne peut pas maintenir un système monétaire international fondé sur des déficits. Cela craquera pour la livre et pour l'Angleterre. »

Au Conseil qui suit, le 22 novembre 1967, la livre a craqué. Debré commente : « Je crois plutôt à l'échec qu'au succès de leur dévaluation. La Grande-Bretagne paie les frais de la politique américaine. Dans quelques mois, la hausse des prix aura annulé la moitié des effets de la dévaluation. Quant au franc, notre situation est bonne. Notre dette est infime. Nous avons des réserves. Vous avez décidé, mon général, de ne pas dévaluer.
GdG. — Tout le monde l'a décidé ; c'est évident, vous l'avez décidé ! (Rires.)
Debré. — La presse anglaise vous accuse d'avoir provoqué la chute de la livre.
GdG. — Tout vaut mieux que d'être plaint. »
De Gaulle a la satisfaction concise. Il doit parler le 27 novembre, dans une conférence de presse annoncée de longue date. Il y reprend encore une fois l'argumentation du 16 mai, avec la preuve de la dévaluation britannique entre les mains.
« Le fait est inévitablement accompli »
Conseil du 20 décembre 1967.
La veille, à Bruxelles, l'adhésion britannique a été une seconde fois renvoyée sine die. Les Cinq ont admis la thèse française selon laquelle il fallait l'unanimité, non seulement pour accepter une nouvelle adhésion, mais aussi pour ouvrir les négociations. Willy Brandt a pesé pour que l'affrontement soit évité. L'adhésion « reste à l'ordre du jour », mais les négociations n'auront pas lieu.
Couve : « On avait promis des drames ; on a fini dans le désaccord, mais pas dans la crise que voulait la Grande-Bretagne. L'atmosphère a même été amicale et détendue, tout le contraire de ce qu'ont laissé entendre à l'extérieur des déclarations de bravoure.
GdG. — M. Couve de Murville a mené l'affaire avec précision, adresse et fermeté. Le fait est inévitablement accompli. La parole est maintenant aux Anglais. On va voir s'ils vont faire l'effort nécessaire pour pouvoir présenter leur candidature. J'en doute. Je crains même que leur situation générale n'aille en se dégradant encore. En tout cas, tant que le parti travailliste restera au pouvoir. Ils ne sortiront du marasme que lorsqu'un gouvernement conservateur tout neuf prendra les rênes. Quant à nos partenaires du Marché commun, c'est à eux de choisir. Veulent-ils l'Europe ? Nous sommes disponibles pour la resserrer. »
1 Parole prophétique.
Cétait de Gaulle - Tome III
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