Quand, vers le début du mois de septembre, José traversa le village son coq cicatrisé sous le bras, tous comprirent qu’il se dirigeait vers la nouvelle demeure de Heredia et cela ne leur dit rien qui vaille. Sur son passage, les femmes appelèrent leurs enfants qui jouaient dans les ruelles et les portes claquèrent.
Au fond, les villageois savaient que José n’était pas l’ogre qu’ils avaient imaginé et beaucoup commençaient même à se demander si leur bon médecin, qui les avait si tranquillement abandonnés à leurs rhumatismes et à leurs plaies, n’avait pas trop gavé leurs enfants de limonade. Mais l’ancien charron manifestait une telle passion pour son coq ! Personne ne comprenait qu’il consacrât sa vie à cet éternel perdant. Et surtout, tout en se reprochant d’avoir mordu deux fois à l’hameçon rouge, chacun craignait d’être repris par le rêve.
Si troisième combat il y avait, Santavela ne voulait pas en entendre parler.
José pouvait bien se perdre, refuser de reprendre son travail à la forge qui ne lui appartenait plus, jouer sa vie ou celle des siens, s’il le désirait, personne ne tenterait de l’en dissuader. Le padre avait d’ailleurs essayé, en vain : l’homme était perdu. Tant que sa sorcière de femme s’acharnerait à sauver cette maudite bête, celle-ci le posséderait.
Quant à Heredia, grâce au coqueleux, il était entré au village et il paradait désormais à cheval dans les ruelles comme si chaque pouce de terrain lui appartenait. Les collines ne lui suffisaient plus, ni même les champs et les vignes dont il avait dépossédé ses frères, il s’imposait quotidiennement, à leur porte, et il fallait le saluer plusieurs fois par jour, s’effacer devant l’ombre de sa monture, se couler dans les murs à son passage.
Le coq rouge avait accentué leur servitude en installant le seigneur parmi eux.
Olive, l’oiseau gueux, ne s’en trouvait pas mieux, il tournait en rond dans l’ancienne cour du Dragon où il ne pouvait plus même humer l’air des collines et traînait sa rage dans cet espace clos de murs dont il avait fait ses adversaires quotidiens. À combattre contre des pierres, il s’était émoussé les ergots et fendu le bec.
Dès qu’il en avait été de nouveau capable, le Dragon rouge n’avait jamais manqué de répondre à l’appel d’Olive. Et leurs chants qui transperçaient Santavela d’est en ouest devenaient obsédants.
Quelque chose couvait qu’on voulait ignorer. Deux enfants avaient disparu quelques mois plus tôt, mais la tension n’avait pas été plus vive dans les jours qui avaient suivi leur disparition que dans ceux qui précédèrent le dernier combat.
Car c’était bien d’un nouveau défi qu’il s’agissait.
Et Heredia accepta que l’affaire se déroulât dans sa cour. L’homme qui courait les rues chaque jour à la recherche du visage de ma mère et mourait de désir pour une femme dont il n’avait jamais entendu la voix accepta de tout remettre en jeu pour la posséder.
Ce fut une lutte à mort, à huis clos, aérienne et silencieuse. Un sacrifice...
José ne rentra pas chez lui ce jour-là, et personne ne put recoudre le prince des coqs pour la troisième fois éventré par un gueux.