LA DESCENTE VERS LE SUD

 

Depuis que Frasquita avait repris sa marche, elle ne regardait plus ses enfants. Ne les nommait plus. Ne les comptait plus.

Nous croisâmes des Gitans qui tentèrent de comprendre ma mère. Cette femme outragée, puis blessée à mort par le destin. Cette femme impuissante malgré ses dons, attelée à sa charrette comme une bête de somme. Cette femme qui avait enterré toute espérance dans un trou.

Le doyen des Gitans surtout passa du temps à ses côtés.

Il lui parla.

« C’est nous, les Gitans, qui faisons tourner la Terre en marchant. Voilà pourquoi nous avançons sans jamais nous arrêter plus de temps qu’il ne le faut. Mais toi, pourquoi marches-tu, la belle, pourquoi chemines-tu comme les cigognes en hiver vers le sud, avec ta nichée derrière toi et tous leurs petits pieds sanglants ? Pourquoi leur imposer un tel voyage ? »

Ma mère ne lui répondit rien. Son ventre s’arrondissait.

Elle avança plus vite qu’eux et ils disparurent.

 

Enfin, la charrette atteignit la mer et les enfants soufflèrent, persuadés que leur mère ne pourrait pas aller plus loin.