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CESCA PERONI
Les plus illustres familles de Vagabonds tenaient séance avec Cesca Peroni au sujet de leurs futurs partenaires theroniens. Après la visite de la flottille de fiançailles sur la luxuriante forêt-monde, Père Reynald avait demandé à venir sur Rendez-Vous.
Les chefs de clan émettaient les plus grandes réserves sur le fait d’inviter des étrangers sur leur base secrète. Une longue tradition de méfiance ne pouvait se réformer du jour au lendemain. Ils se faisaient plus circonspects que jamais, surtout quand certains de leurs vaisseaux disparaissaient corps et biens.
Alfred Hosaki, qui représentait de nombreux bâtiments de commerce, lança les hostilités :
— Nos secrets sont trop précieux pour qu’on les révèle à la légère. Il faut décider si les Theroniens vont devenir nos alliés contre la Hanse, contre les hydrogues, voire les deux – ou ni l’un ni l’autre.
— Une Theronienne vient d’épouser le roi Peter, releva la vieille Anna Pasternak. Ne devrait-on pas s’en inquiéter ?
Comme Cesca cherchait une réponse appropriée, Crim Tylar suggéra :
— Et si nous envoyions un vaisseau dont on aurait occulté les hublots ? Nous interdirions également aux Theroniens l’accès au poste de pilotage. Ils verraient les astéroïdes de Rendez-Vous, certes, mais seraient incapables de les situer par la suite. N’est-ce pas un bon compromis ?
— Je ne veux pas engager notre coopération avec Theroc sur cette base, riposta Cesca. La confiance doit être totale. Je suis censée devenir l’épouse de leur dirigeant.
Jhy Okiah soupira, comme si elle se rappelait soudain la raison pour laquelle elle avait pris sa retraite.
— Bien sûr, si nous devions nous réunir chaque fois qu’il faut décider de révéler ou non un détail de notre vie, nous n’en finirions jamais… Nous, les Vagabonds, devons trancher une question essentielle. De notre choix ici et maintenant dépendra toute notre politique.
— Absolument, dit Anna Pasternak. C’est pourquoi il faut être certains de prendre la bonne décision.
Torin Tamblyn lâcha un grognement accablé. Ses trois frères et lui avaient joué aux dés pentafaces celui qui viendrait représenter le clan Tamblyn.
— Beaucoup de bavardages en perspective, alors…, grogna-t-il. Tarder plus longtemps ne nous donnera pas la solution. Quelle voie indique le Guide Lumineux ?
Cesca passa la main dans ses cheveux. Invoquer le Guide Lumineux… Autant jouer à pile ou face.
Avant qu’ils aient abouti à une conclusion, un courrier interrompit l’assemblée. Le souffle manqua à Cesca lorsqu’elle lut la requête urgente de Kotto Okiah. Alarmée, elle regarda l’ancienne Oratrice.
— La colonie d’Isperos s’effondre. Jhy Okiah, votre fils réclame une flotte de sauvetage au plus tôt, pour une évacuation générale.
Les chefs de clans bondirent sur leurs jambes. Ils connaissaient les priorités, les affaires de mariage et de politique attendraient.
— J’ai deux vaisseaux ici, indiqua Anna Pasternak.
Crim Tylar fit le compte de mémoire.
— Moi, j’ai un cargo. Il peut contenir seulement cinq passagers, mais pas mal de matériel et de provisions. Isperos… quel endroit affreux.
Cesca contempla l’assemblée.
— D’accord. Vous deux, partez dès que possible. Je veux une liste de tous les vaisseaux à l’amarrage – en particulier ceux qui peuvent lever l’ancre immédiatement.
Elle relut le message en tâchant de se remémorer sa visite sur la planète incandescente.
— Plusieurs salles souterraines se sont déjà effondrées. Deux recycleurs d’air ont lâché, et la lave coule des murs. Kotto donne l’impression qu’il ne leur reste pas beaucoup de temps.
Les chefs de clans se pressèrent vers la sortie. Les Vagabonds avaient longtemps vécu sur la brèche, ils avaient déjà affronté de telles situations. Malgré leurs chamailleries, ils se serraient les coudes pour s’entraider, en cas de nécessité.
Jhy Okiah tâcha de ne pas montrer son inquiétude.
— Kotto résoudra ses problèmes avant que l’on arrive là-bas. C’est un génie.
— Bien sûr, opina Cesca, même si elle savait que toute l’ingéniosité des Vagabonds ne pouvait suffire quand les murs commençaient à fondre. Si nous refusions les risques, nous ne serions pas ce que nous sommes.
Jhy Okiah eut un rire sec.
— Cesca, tu parles en Oratrice même quand nous sommes en privé. (L’angoisse se lisait sur ses traits à présent.) Néanmoins, Kotto ne nous aurait jamais appelés au secours si la situation ne lui avait échappé au point qu’il n’ait vu aucune autre solution.