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BASIL WENCESLAS

Rien ne frustrait davantage le président Wenceslas que les plans élaborés avec soin qui ne déroulaient pas comme prévu. Tout ce à quoi il aspirait était de mettre de l’ordre dans le chaos de l’univers. Pour cela, les délais devaient être tenus, les besognes menées à bien et les affaires de la Hanse se poursuivre.

Mais parfois, les plans les mieux préparés s’effondraient comme des châteaux de cartes. Le roi Peter aurait dû être mort, les Vagabonds acculés et les citoyens de la Hanse en train d’acclamer leur nouveau souverain, le roi Daniel.

Perdu dans ses pensées, Basil sirotait son café à la cardamome. Il n’avait pas encore trouvé comment Peter avait déjoué l’attentat. L’engin incendiaire avait été neutralisé. Le Vagabond qui devait servir de bouc émissaire, Denn Peroni, avait été libéré du piège bureaucratique destiné à le retenir jusqu’au « tragique accident » du couple royal.

Franz Pellidor avait disposé avec soin la preuve censée relier l’assassinat aux Vagabonds. Très vite, Basil avait dû annuler les ordres secrets qu’il avait envoyés aux divisions de la flotte spatiale. Celle-ci ne pouvait plus aller intercepter et saisir les vaisseaux de Vagabonds afin de soumettre leurs clans à la Hanse.

Cela aurait dû être une victoire facile. La Hanse en serait sortie plus forte, et par là même l’espèce humaine. Mais Peter avait tout fichu par terre. Voilà pourquoi il devait être remplacé par quelqu’un de plus malléable.

Mais, pour les temps à venir, et en dépit de ses réserves, le président n’avait d’autre choix que de maintenir une illusion de statu quo avec Peter, afin que les affaires continuent sans entrave.

Les yeux fixés sur les dômes du Palais où se réfléchissait le soleil, il se prit à regretter l’époque du Vieux roi Frederick. Il l’avait parfois maltraité, le dénigrant en réunion et le traitant rarement avec les égards qui lui étaient dus. Néanmoins, l’ancien monarque s’était toujours prêté de bonne grâce à son rôle de symbole rassurant pour la populace.

Pas Peter. D’abord, ce gamin dégourdi de Raymond Aguerra avait semblé le candidat idéal, avant de devenir de moins en moins coopératif. Basil ne comprenait pas où il avait commis une faute. Peter l’avait défié à plusieurs reprises. Ostensiblement, il avait essayé de saper son pouvoir et de créer des simulacres de prérogatives.

Depuis son appartement, il contempla les coupoles cuivrées du Palais des Murmures. Les gens étaient si facilement leurrés par le faste ! Seuls les initiés comprenaient que le pouvoir réel émanait du siège de la Hanse, non du Palais.

Le président savait qu’il devait agir, quand bien même il n’aboutirait qu’à une victoire à la Pyrrhus. En désespoir de cause, il avait ordonné de préparer un nouveau Flambeau klikiss. La débâcle d’Osquivel et les attaques sur Corvus et Theroc l’avaient convaincu de radicaliser ses moyens de lutte.

Le Flambeau klikiss constituait la seule arme efficace des humains contre les hydrogues, même si elle déclenchait une véritable apocalypse. Elle anéantirait un monde ennemi tout entier sans coup férir. Mais ils ne lui laissaient pas le choix…

L’intercom tinta.

— Monsieur le Président, dit Franz Pellidor, deux visiteurs viennent d’arriver de l’astroport. Ils répètent que vous les attendez.

— Ils ont du cran, pour court-circuiter la voie hiérarchique.

En particulier maintenant, songea Basil avec un grognement.

— Ils ont une autorisation signée de vous, monsieur, précisa Pellidor. Il s’agit d’une négociante nommée Rlinda Kett, et d’un homme, Davlin Lotze. Ils refusent de me dire ce que…

Avec un claquement sonore, Basil abattit sa tasse sur le bureau.

— Faites-les monter ! Peut-être ont-ils de bonnes nouvelles. Ce serait un changement bienvenu.

Il polarisa les fenêtres pour occulter la vue du Palais des Murmures. Il ne voulait pas penser à Peter en ce moment. Ce dernier avait insisté pour l’inviter sur le yacht, sachant qu’il croyait que la bombe était activée à bord : Peter savait donc ! Et lui-même était tombé dans le piège. Quelle humiliation…

La bonne nouvelle était que Peter avait désormais compris que la Hanse pouvait très bien décider de se débarrasser de lui. Les avertissements qu’il avait reçus n’étaient pas des menaces dans le vide. Peut-être cet incident le ramènerait-il à plus de coopération ? À moins qu’il ait involontairement déclenché une guerre froide entre eux ? se demanda Basil. De toute façon, il était certain que Peter et Estarra n’avaient ni le pouvoir ni les réseaux nécessaires pour se dresser contre lui.

Basil entendit approcher des pas. La matrone à peau noire, Rlinda Kett, franchit la porte la première, un large sourire aux lèvres. À son côté se tenait la silhouette dégingandée de Davlin Lotze, l’exosociologue. Tous deux portaient des vêtements unis, sans ornements. Aucun d’eux n’essayait de l’impressionner.

Bien.

Il n’avait pas revu Lotze depuis qu’il l’avait envoyé sur l’ancien monde ildiran de Crenna. L’espion avait l’air en forme ; ses yeux laissaient percer un enthousiasme qu’il n’avait jamais manifesté auparavant.

— Qu’avez-vous appris ? s’enquit Basil. Je ne pensais pas que vous seriez si longs.

— Attendez de voir ce qu’on a découvert ! s’exclama Rlinda. Je vous préviens que j’entends être sacrément bien récompensée. J’espère que vous avez des sous-vêtements de rechange : vous risquez de faire dans votre pantalon, quand vous nous aurez écoutés !

Sceptique, Basil interrogea Davlin du regard. Celui-ci acquiesça.

— Elle n’exagère pas, monsieur le Président. Notre découverte va bouleverser la Ligue Hanséatique.

Basil haussa les sourcils. Davlin n’avait jamais été enclin à l’hyperbole.

— Vous avez trouvé ce qui est arrivé à Margaret et à Louis Colicos ?

D’une voix sèche, Davlin rendit compte :

— Louis Colicos et Arcas, le prêtre Vert, ont tous les deux été assassinés. Nous n’avons trouvé trace ni des trois robots klikiss, ni du comper de l’équipe ou de Margaret Colicos elle-même. Nous croyons toutefois qu’elle s’est échappée.

— Échappée ? Où est-elle allée ? A-t-elle laissé des enregistrements ?

Rlinda toussa bruyamment.

— Président Wenceslas, pourriez-vous le laisser vous raconter ? Cette disparition est hors de propos, pour l’instant.

— Eh bien, dit Davlin en lui jetant un regard, c’est cela qui m’a permis d’éclaircir le mystère des transportails.

Basil croisa les bras sur sa poitrine d’un air impatient.

— Quels transportails ?

Lozte décrivit alors le réseau qui raccordait ensemble les villes abandonnées de différents mondes klikiss.

— Il s’agit d’un système de transport instantané, des portes qui relient des dizaines, peut-être des centaines de colonies potentielles. Toutes sont vides, toutes attendent notre arrivée. D’après ce que j’en ai vu, la plupart conviennent à l’installation d’êtres humains. Nous avons colonisé bien pire.

Rlinda se pencha en avant pour voir la réaction du président, mais ce qu’elle espérait ne vint pas.

— Vous ne voyez pas, monsieur le Président ? Avec un transportail, il est possible de voyager de planète en planète en un instant… et sans ekti.

Soudain, Basil appréhenda l’ampleur de la découverte : des centaines de mondes vierges, déjà en partie domptés par une espèce éteinte.

— Le voyage interplanétaire reprendra de nouveau ! Les destinations seront différentes, mais la Hanse s’étendra rapidement.

— Quand nous aurons intégré cette technologie, ajouta Lotze, nous parviendrons peut-être à programmer des portes vers nos colonies existantes et vers la Terre. Après qu’une première expédition aura monté un transportail sur un monde et l’aura connecté au réseau, il sera possible de s’y rendre sans plus jamais avoir besoin d’ekti.

Basil chercha sa tasse et vit qu’elle était vide. Il se leva et arpenta la pièce pour dominer son excitation.

— En effet, cette nouvelle change tout… Nous relèverons le défi. Un nouveau départ nous attend ! Les hommes doivent s’engager dans une exploration – puis une colonisation – à grande échelle.

Un flot de pionniers se rendrait dans les mondes klikiss les plus proches et se répandrait dans les autres mondes par les transportails pour établir des têtes de pont.

— Vous avez saisi l’idée générale, monsieur le Président, mais ne croyez-vous pas aller un peu vite en besogne ?

— Madame Kett, je ne pourrais dire à quel point cela fait du bien d’envisager enfin l’avenir de façon positive. (Il assena un coup sur son bureau du plat de la main.) Cela nous offre de nouveaux territoires à peupler et à exploiter. Rien ne nous arrêtera plus désormais ! (Il eut un petit rire, et rendit leur transparence aux vitres afin de pouvoir scruter l’horizon.) Les hydrogues et les Vagabonds peuvent aller au diable ! Nous n’avons plus à les combattre pour obtenir de l’ekti. La Hanse va passer à tout autre chose.

Une forêt d'étoiles
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