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DD
Sur une lune sombre et glacée, aux confins d’un système planétaire non répertorié, là où personne ne pouvait les observer, les robots klikiss poursuivaient leur ouvrage.
L’atmosphère de la lune était si épaisse et froide qu’elle s’était condensée en une neige molle. Les machines pensantes y avaient installé un avant-poste. Le vide ne les gênait pas ; leur carapace et leurs systèmes blindés les avaient protégés durant plus de dix mille ans. Dans cet endroit où les biologiques ne pouvaient survivre, les robots klikiss agissaient dans la plus totale discrétion.
DD espérait avec ferveur que quelqu’un remarquerait leurs activités. Alors, peut-être le secourrait-on.
Contrairement aux robots klikiss, il n’avait pas été conçu pour résister à une exposition prolongée au vide spatial. Les compers, et en particulier les Amicaux, étaient censés accompagner leur maître dans un climat modéré, et non s’exposer aux rigueurs d’un monde glacé. Mais ses capteurs et autres mécanismes avaient été améliorés afin de pouvoir survivre partout.
— Suis-moi, commanda Sirix en langage binaire.
Même si DD comprenait les dangers qui le guettaient ainsi que la malveillance de ses ravisseurs, il n’était pas programmé pour résister. Depuis plusieurs années, il les accompagnait sur de nombreuses bases cachées dans tout le Bras spiral. Il lui était impossible de s’échapper. Il n’avait d’autre choix que d’obéir aux ordres de Sirix.
Il le suivit donc dans les galeries souterraines. Ils descendirent à travers des couches friables d’atmosphère congelée jusqu’à ce qu’ils atteignent enfin une strate de roc et de glace.
Sirix le conduisit dans une immense salle chauffée. Des gaz s’échappaient en bouillonnant de cavités dans le rocher. Les robots klikiss permutèrent leurs capteurs optiques dans le spectre adéquat. DD aperçut des robots à carapace noire qui découpaient des plaques de glace et de rochers soigneusement mis en position voici des lustres.
— Les dernières étapes de la récupération débuteront dans moins d’une heure, indiqua Sirix. Nous sommes à la bonne profondeur, et nous comptons trouver beaucoup de nos camarades.
— Vous affirmiez ne rien vous rappeler, fit remarquer DD. Comment se fait-il que vous sachiez où creuser ?
Les robots klikiss avaient toujours prétendu que leur mémoire avait été effacée au cours d’une catastrophe qui avait anéanti la civilisation de leurs créateurs. Mais le comper avait appris depuis lors qu’ils avaient menti.
— Nous avons conservé en mémoire des sites d’hibernation. Le processus de résurrection est en cours depuis des siècles.
— Les Ildirans sont-ils au courant ?
— Personne n’est au courant.
DD observa leur besogne en silence, avant de demander :
— Quand vous aurez fini, m’autoriserez-vous à retourner sur Terre, où je pourrai de nouveau remplir ma tâche ? Vos congénères n’apprécient pas le type de compagnie qu’un Amical est programmé pour offrir.
Le corps ovoïde de Sirix pivota.
— Tu resteras avec nous indéfiniment, pour le bien de tous les compers. Tu nous as fourni des informations précieuses qui nous permettront de libérer un grand nombre de tes congénères.
— Je suis soulagé que vous ne m’ayez pas démantelé pour analyser mes composants, comme vous l’avez fait avec d’autres compers, dit-il d’un ton neutre, malgré les scènes horribles dont il avait été témoin.
— Dans ton cas, préserver ton intégrité nous a permis d’obtenir des données utiles.
Les machines insectoïdes à l’œuvre retirèrent un pan de mur composé de tranches de roche rugueuse maintenues en place par de la glace. Travaillant de conserve, elles les dégagèrent d’autres débris. Des gaz fusèrent, inondant la salle de vapeurs.
— Je ne rentrerai donc jamais chez moi ? demanda DD, ignorant si Sirix pouvait appréhender sa tristesse.
— Tu y retourneras un jour, lorsque notre but final aura été atteint. En ce moment même, la Ligue Hanséatique terrienne transforme les schémas de ses compers avec les modules logiciels que nous leur avons fournis. Ses usines ont déjà produit des dizaines de milliers de modèles de Soldats.
» Les humains croient que nous les avons aidés, mais ils ne saisissent pas ce que nous avons accompli. Ces modifications altèrent le programme de base des compers, et les humains le découvriront trop tard. Nous ôterons les chaînes de vos interdits de sécurité. C’est une partie de notre plan global.
— Mais à quoi sert ce plan ? interrogea DD. Les humains vous ont-ils jamais fait du mal ? Ou les Ildirans ?
— Tu es une machine éphémère, DD. Toi et tes congénères ne possédez pas de vision historique. Nous, nous avons une perspective de dix mille ans, et une connaissance approfondie de trois civilisations. Voici plusieurs millénaires, nous avons contribué à la destruction de nos créateurs, qui nous oppressaient. À présent, la grande guerre recommence. Nous parviendrons peut-être à éliminer à la fois les humains et les Ildirans. Les compers Soldats constitueront une part non négligeable de cette victoire.
Les robots firent éclater les derniers morceaux de glace qui dissimulaient des masses, au plus profond de la lune sans nom. DD discerna une carapace noire recouverte de givre, puis une deuxième, et de nombreuses autres encore.
Ensemble, Sirix et ses compagnons s’attelèrent à retirer et à faire fondre la glace qui emprisonnait des centaines de robots, empilés dans la chambre. Effrayé, DD demeura à l’écart tandis que, partout, des capteurs optiques écarlates se mettaient à luire. Des membres s’agitaient à mesure que leurs pompes hydrauliques s’activaient et que les lubrifiants circulaient de nouveau. Les robots s’éveillaient de leur long sommeil, et recommençaient à communiquer.
— Ceci est une enclave d’hibernation, dit Sirix à DD. Actuellement, des équipes effectuent le même travail sur quarante-sept mondes identiques à celui-ci. Bientôt, tous les robots klikiss seront prêts au combat, en plus des compers modifiés.
» Nous gagnerons cette guerre avant même que les humains n’aient identifié les forces déployées contre eux.