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BENETO
Corvus était loin du chaos de la guerre, et cela convenait tout à fait à Beneto. Sa tâche était importante, et chaque jour lui prouvait à quel point les colons l’appréciaient.
La jeune colonie n’exportait rien de vital vers la Ligue Hanséatique. Mais, après quatorze ans d’existence, au moins ne dépendaient-ils plus des vaisseaux marchands. Les fermiers faisaient pousser suffisamment de nourriture pour subvenir aux besoins de la population réduite.
Sam Hendy rameuta tout le monde à la tombée du crépuscule. L’essentiel de la besogne quotidienne avait été accompli, bien que certains colons aient encore du travail jusque tard dans la nuit. Le maire de Colonville, un homme entre deux âges pourvu d’une ample bedaine malgré l’exercice auquel son métier l’astreignait, ne faisait guère de manières.
Beneto entra dans la halle communale, une bâtisse basse conçue de façon à dévier les vents sifflant sur les prairies. Une rangée de solides fenêtres ouvrait sur le paysage monotone. Les habitants se rassemblèrent pour discuter du temps désastreux des derniers jours ; leurs voix se répercutaient dans la halle.
Une tempête violente s’était abattue avec force bourrasques de vent et de grêle. Les colons n’avaient pas encore fini de ramasser les débris des clôtures et des systèmes d’irrigation, et devaient évaluer les dégâts que les dépendances et les générateurs avaient subis, ainsi que les récoltes perdues. Certaines choses pourraient rapidement être réparées, d’autres nécessiteraient davantage de temps et d’efforts.
Sam Hendy avait pris place derrière un bureau, à côté d’un secrétaire qui notait les dommages que chaque famille lui rapportait. Huit foyers et onze dépendances avaient été abîmés.
Les inspecteurs du maire avaient passé la journée à arpenter les champs afin de constater les dégâts que les intempéries avaient infligés aux cultures de maïs et de blé.
— Certaines parcelles peuvent être sauvées, dit-il, toujours optimiste. Le grain que nous avons planté est résistant ; beaucoup de champs s’en remettront.
Deux troupeaux de chèvres s’étaient échappés de leur enclos et dispersés dans les champs alentour, occasionnant autant de dommages que les trombes d’eau. Les chèvres étaient les seules créatures capables de digérer les plantes indigènes. Les bactéries symbiotiques de leur appareil digestif transformaient les mousses et l’herbage corviens en masse nutritive. Elles fournissaient ainsi le lait et la viande qui auraient été trop chers à importer, même en temps normal.
Un homme prit la parole.
— Cela se produit à chaque saison des tempêtes, Sam. Je suggère de construire des bâches en polymère transparent, qui laisseront passer la lumière du soleil tout en protégeant les plantes du pilonnage de la pluie.
Le maire haussa les épaules.
— Ça vaut le coup d’essayer.
Des cris d’approbation s’élevèrent, mais Beneto se demanda où ils pourraient obtenir leur film polymère. Corvus possédait des mines et des raffineries de métaux dans le nord, mais aucune industrie manufacturière.
La discussion se poursuivit pendant plus d’une heure, puis Hendy demanda à Beneto de leur fournir un résumé des nouvelles. Le prêtre Vert formait un véritable pont entre la colonie et le reste du Bras spiral en établissant le rapport des événements captés par télien. C’était une tentative en vue d’apporter un peu de normalité au milieu de ce chaos. Les colons s’intéressaient à tout ce qui se passait dans la galaxie, en particulier à la guerre.
— Les hydrogues ont détruit une mission envoyée sur Dasra, annonça Beneto. Aucun survivant. (L’assistance grommela, au fait de la menace. Nombreux étaient ceux qui comptaient de la famille sur Terre ou des parents servant dans les FTD.) La planète Yreka est toujours sous embargo, jusqu’à ce que les colons cessent leur insurrection. Le général Lanyan rapporte très peu de pertes jusqu’à présent, et les vaisseaux des FTD se contentent de patienter. (Il soupira.) En outre, les robots klikiss ont offert de contribuer à l’effort de guerre. L’un d’eux s’est porté volontaire pour être démantelé afin que les cybernéticiens puissent étudier son fonctionnement.
Un vieux fermier l’interrompit.
— Je voudrais savoir si ces robots klikiss vont m’aider à rassembler mes chèvres. Parce que sinon, je ferais mieux d’y retourner. (Plus concerné par ses propres problèmes que par la politique, il toisa du regard les autres représentants présents.) Et si quelqu’un ici pouvait me donner un coup de main, c’est sûr que j’apprécierais.
Les colons formèrent des groupes de volontaires qui partirent consolider les maisons et rassembler les troupeaux, laissant de côté les nouvelles de la guerre.