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TASIA TAMBLYN

Après l’intervention des bolides vivants sur Theroc, l’état-major, le général Lanyan à sa tête, avait décrété qu’il fallait s’en faire des alliés. L’armement terrien ne s’était jamais révélé très efficace contre les hydrogues. En revanche, les « faeros », comme les prêtres Verts les appelaient, avaient réussi à en détruire un grand nombre, puis à les repousser.

Tasia Tamblyn avait montré l’étendue de ses talents en situation de crise, c’est pourquoi Lanyan l’avait choisie pour aller trouver les entités ignées, aux commandes d’une Manta. Tasia avait accepté la mission avec plaisir, même si elle se demandait en son for intérieur si le général ne considérait pas une Vagabonde comme plus sacrifiable qu’un Terreux ordinaire.

De nombreux officiers avaient péri sur Osquivel, de sorte que Tasia avait encore été promue. À présent, elle avait le grade de capitaine et commandait six autres Mantas. Mais le général Lanyan avait rechigné à envoyer trop de vaisseaux de guerre pour une mission « diplomatique ».

« Il ne faut pas effrayer ces créatures de feu, avait-il argué. Si nous venons avec un seul vaisseau, elles seront peut-être plus enclines à communiquer. »

Tasia avait accepté les instructions, bien que cette situation lui rappelle celle de Robb Brindle. Depuis la mort de son ami, elle demeurait crispée, et sa perte se faisait ressentir comme une pierre au creux de son estomac. Mais elle devait continuer à vivre, suivre son Guide Lumineux et tenter de se dépêtrer de cette pagaille. Comme toujours, elle avait l’intention de réussir au-delà de ce qu’on attendait d’elle ; et sans aucun doute devrait-elle affronter une mission encore plus difficile, la fois suivante…

Peut-être parviendrait-elle à inventer une nouvelle stratégie pour communiquer avec les bolides vivants, et prouverait-elle ainsi la valeur de l’éducation des Vagabonds et de leur sens de l’improvisation. Humains et faeros possédaient un ennemi commun. Et, en ce qui concernait la vengeance de Tasia, les hydreux avaient une lourde addition à payer.

La jeune femme avait visionné les images filmées sur Oncier, le premier aperçu des créatures ignées. Le soleil artificiel semblait être un point stratégique. C’est pourquoi sa Manta croisait dans ce système, répertorié désormais comme une cachette des faeros. À son avis, il n’existait pas meilleur endroit pour commencer ses recherches.

Lors de la réorganisation des FTD qui avait suivi Osquivel, Tasia s’était vu affecter beaucoup de jeunes officiers. Tout s’était enchaîné trop vite depuis cette désastreuse bataille, mais elle espérait que ses nouvelles recrues accompliraient leur devoir et obéiraient à ses ordres.

Les humains étaient censés avoir constitué une armée unique, et leurs divergences politiques avoir été mises de côté le temps du conflit. Vagabonds, Theroniens, citoyens de la Hanse. Quelque chose de positif en sortirait peut-être… s’ils parvenaient tous à conserver une vue d’ensemble de la situation.

Même si on ne lui avait confié qu’un vaisseau, l’armée estimait sa mission suffisamment importante pour lui attribuer un prêtre Vert. Rossia se tenait sur la passerelle, aussi rigide qu’un télégraphe, prêt à transmettre son rapport s’ils rencontraient les entités ignées. Ses yeux semblaient exorbités de peur ou de stupéfaction.

Le général Lanyan n’avait pas réitéré l’erreur d’envoyer une expédition composée quasi exclusivement de compers, comme la mission de reconnaissance sur Golgen qui avait disparu sans laisser de traces. Tasia était accompagnée d’un équipage humain… même si elle aurait souhaité la présence d’EA, son comper personnel, qui lui manquait souvent.

— Les instruments indiquent quelque chose de bizarre, capitaine, annonça une opératrice.

— Parfait. (Tasia essaya de se rappeler le nom de la jeune femme… Mae ? Terene Mae ? Ça devait être ça.) Montrez-moi, enseigne de vaisseau Mae.

Le second soleil d’Oncier semblait fluctuer comme la Manta s’approchait.

— L’amiral Stromo est venu il y a seulement un mois. Depuis les dernières mesures, la luminosité a faibli de plusieurs grandeurs.

— Agrandissez l’image, enseigne.

— Oui, capitaine.

La petite étoile évoquait une braise sur le point de s’éteindre, dont le jaune éblouissant avait viré à l’orange sombre. Elle était entourée de poussières brillantes, telles des lucioles irrésistiblement attirées par une flamme.

— Lieutenant Ramirez, avancez avec prudence, ordonna Tasia à son officier de navigation. Et en silence : plus aucune communication extérieure à partir de maintenant.

Elle sentait son estomac remuer. Ce n’était pas du tout ce qu’elle s’était attendue à trouver. Rossia frémit lorsqu’il aperçut l’agitation autour de l’étoile vacillante. La Manta ralentit afin qu’ils puissent voir sans être vus. Bientôt, ils se trouvèrent assez près pour se rendre compte que les lucioles n’étaient autres que des nuées de vaisseaux aux prises les uns avec les autres – des bolides faeros contre des orbes de guerre hydrogues. Ces derniers lâchaient des bordées d’une arme inconnue directement dans le plasma de l’étoile, et Oncier se mourait, perdant sa chaleur dans le froid de l’espace.

— C’est comme sur Theroc, murmura Rossia. Les faeros et les hydrogues sont des ennemis mortels. Pour le moment.

— Merdre, c’est bien pire que Theroc, répondit Tasia. Cette fois, les hydreux s’attaquent à rien de moins qu’une étoile ! Si vous voulez mon avis, ils commencent à avoir les yeux plus grands que leur ventre de diamant. (Une rumeur d’inquiétude se répandit sur la passerelle.) Envoyez un rapport, Rossia. Beaucoup de gens à travers la galaxie doivent être informés de ce qui est en train de se dérouler ici.

— Moi-même, je ne sais pas ce qui se passe…

Néanmoins, il saisit le surgeon, se concentra et envoya la nouvelle.

Tasia contempla le nuage de points brillants. Chacun d’eux était un bolide ardent ou un orbe de guerre capable d’avaler dix croiseurs Mantas.

— Combien y a-t-il de faeros et d’hydrogues, là-bas ?

L’enseigne Mae opéra un rapide balayage numérique.

— Plus d’un millier d’unités de chaque camp… rien que de ce côté-ci de l’étoile.

Au cœur de la mêlée, plusieurs orbes de guerre avaient plongé sous la surface de l’étoile artificielle. Des taches sombres commencèrent à s’étendre, zones plus froides que la température moyenne du plasma. Oncier s’éteignait, tel un brasier jetant ses derniers feux. Les faeros se faisaient écraser.

— Si ces boules de feu sont de notre côté, capitaine Tamblyn, ne devrait-on pas faire quelque chose pour les aider ? demanda Mae.

Tasia se rendit compte que la jeune enseigne n’avait jamais assisté à une bataille. Elle sortait à peine de la base martienne des FTD.

— Nous ne disposons que d’une Manta, répondit-elle en désignant l’écran. Quel choix avons-nous ? Nous savons que les hydreux peuvent faire éclater des lunes, et on dirait bien qu’ils vont moucher une étoile. Je doute qu’ils tremblent de peur en nous voyant charger avec une sarbacane.

— Désolée, capitaine, bredouilla Mae.

Malgré l’assurance qu’elle affichait, Tasia se sentait perdre pied. Comment l’armée terrienne pourrait-elle vaincre, dans une guerre dont les enjeux impliquaient rien de moins que des planètes et des étoiles ?

Plusieurs semaines auparavant, un bataillon de vaisseaux était arrivé sur Theroc, douze heures après la retraite des hydrogues et le départ sans explication des faeros. Les militaires avaient aidé les Theroniens à éteindre les incendies qui avaient consumé près des deux tiers de la forêt-monde.

Si les faeros avaient retourné la situation au cours de cette escarmouche, ici, sur Oncier, les hydrogues les surpassaient en nombre… et étaient en train de gagner.

Par chance, ces adversaires démesurés ne prêtaient aucune attention au croiseur Manta. Pendant des heures, la bataille fit rage au voisinage de l’étoile naine, mais les effectifs des faeros diminuaient, comme des étincelles noyées sous la pluie…

Assise dans son fauteuil de commandement, Tasia contemplait ces images avec un mélange de frayeur et de stupéfaction.

— Nous, les humains, avons toujours été si égocentriques, toujours obnubilés par la défense de nos intérêts – mais j’ai le sentiment que cette guerre n’a rien à voir avec nous. Peu importe notre ardeur à nous battre, nous ne serons que des spectateurs négligeables… (Elle secoua la tête.) De simples souris sur un champ de bataille.

 

Vingt-quatre heures après l’arrivée du croiseur, le nouveau soleil d’Oncier vacilla une dernière fois avant de s’éteindre.

Une forêt d'étoiles
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