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ADAR KORI’NH
Sous l’éclat orangé du second soleil d’Hyrillka, les deux croiseurs lourds de Kori’nh achevèrent leur ballet. Les cinq autres navires de combat stationnaient à l’astroport à fin de révision et de réapprovisionnement : la septe devait être prête à retourner sur Ildira d’ici à vingt-quatre heures. Le Premier Attitré Jora’h n’avait pas l’intention de rester.
Après le spectacle, Kori’nh ramena son vaisseau amiral au-dessus de l’aire d’atterrissage pavée de mosaïques. Alors que l’énorme vaisseau décoré survolait la foule en faisant miroiter ses voiles solaires, ses radaristes effectuèrent un contrôle des systèmes.
Ils furent les premiers à détecter l’orbe de guerre qui fonçait vers Hyrillka.
— Sonnez l’alarme ! cria Kori’nh. (Avec un coup au cœur, il se rendit compte que la plupart des hommes d’équipage étaient en permission à travers la ville.) Que tout le personnel retourne aux croiseurs. Inutile d’attendre d’être au complet : qu’ils décollent dès qu’ils auront l’équipage nécessaire.
Il ordonna aux deux vaisseaux en vol de prendre position au-dessus du palais-citadelle de l’Attitré. Des intercepteurs s’envolèrent en direction de l’orbe de guerre.
Les vedettes de la parade aérienne larguèrent fanions et bannières. Chacune d’elles disposait d’un armement standard, mais leurs munitions étaient insuffisantes contre des hydrogues.
Quoi qu’il en soit, ils devaient faire avec.
À peine quelques minutes plus tard, le premier des croiseurs au sol s’éleva, remplissant l’adar de fierté à l’égard de son capitaine, qui était parvenu à rassembler un effectif minimal. Les membres d’équipage en permission traversaient la ville au pas de course pour aller s’engouffrer dans leurs vaisseaux respectifs.
Dans les parages du palais-citadelle recouvert de verdure, les courtisans avaient perçu l’urgence mais ne saisissaient pas encore de quoi il retournait. Parmi eux, les trois prêtres lentils avaient l’air aussi déconcertés que ceux qui leur demandaient des explications. L’Attitré d’Hyrillka rassembla autour de lui ses dames de compagnie.
— Je promets de vous protéger, les rassura-t-il.
Mais lorsque le globe de diamant s’élança vers la cité, la foule fut subitement frappée de terreur. Des éclairs bleutés crépitèrent de ses excroissances pyramidales. Il n’envoya aucun message, ne transmit ni avertissement ni ultimatum. Les créatures des abysses gazeux entreprirent simplement de ravager la planète.
Le cœur au bord des lèvres, Kori’nh contempla la scène depuis son centre de commandement. Chaque tir éventrait le sol, les édifices, tout ce qui se trouvait à portée. Les réserves naturelles, les magnifiques jardins suspendus, les canaux bordés de nialies… tout disparaissait dans des éclairs saphir.
L’adar se rappela l’ampleur de sa défaite sur Qronha 3. Pris d’une soudaine résolution, il gronda :
— Nous n’avons pas provoqué l’ennemi, mais nous n’allons pas rester sans rien faire.
Sur la mosaïque d’atterrissage, un deuxième croiseur allumait ses moteurs. Kori’nh disposait enfin de quatre croiseurs de la Marine Solaire opérationnels.
— Que tous les vaisseaux encerclent l’hydrogue et tirent dessus avec des projectiles cinétiques et explosifs, des rayons énergétiques – tout l’arsenal. Peut-être allons-nous entrer dans La Saga, aujourd’hui !
Plus intrépide que les autres, le premier croiseur bondit en avant. Ses ailerons et ses bannières évoquaient un plumage coloré. Les canons énergétiques de bâbord déchargèrent des rafales aveuglantes sur l’orbe de guerre. Kori’nh approcha son propre vaisseau afin de tirer du côté opposé, mais le bombardement combiné ne provoqua que quelques égratignures à la coque de diamant.
L’appareil hydrogue ne parut pas le remarquer. Ses éclairs bleutés poursuivaient leur œuvre de destruction sur les canaux et les champs ondoyants de nialies. Certaines plantes-phalènes rompirent leur tige et s’envolèrent. Des fumées ondulaient dans les airs.
L’orbe de guerre réalisa un cercle vrombissant afin de refaire un passage. Une nouvelle série d’éclairs crépitants désintégra la périphérie de la capitale.
Enfin, un autre croiseur alluma ses propulseurs et s’éleva lourdement vers le ciel, les sabords ouverts. Il avait à peine quitté le terrain d’atterrissage lorsque l’orbe le survola. Il cracha une bordée défensive qui s’avéra aussi efficace que des moustiques sur l’épaisse fourrure d’un marmoth.
Comme s’il remarquait la Marine Solaire pour la première fois, l’orbe hydrogue répliqua à l’attaque du croiseur. Sa salve d’éclairs réduisit en pièces le malheureux vaisseau en plein décollage. L’énorme appareil retomba, la coque éventrée et les réservoirs en flammes, ses ailerons solaires battant désespérément. Il percuta l’un des deux croiseurs au sol qui se préparait à décoller. Des alarmes retentirent, des cris et des hurlements s’interrompirent sur un grésillement de bruit blanc – puis les deux vaisseaux explosèrent de concert.
Les hommes d’équipage sur le vaisseau de Kori’nh s’étranglèrent, saisis par le désarroi. Les ondes de choc du thisme les firent chanceler, mais l’adar s’adressa à eux d’une voix dure :
« À tous les postes ! Je vous veux totalement concentrés sur cette bataille ! »
Je ne dois pas tolérer un nouvel échec ! Je suis le commandant suprême de la Marine Solaire, protecteur de l’Empire ildiran…
Avant que le dernier croiseur au sol ait pu décoller, l’impitoyable hydrogue s’approcha de lui. Ses pointes pyramidales ouvrirent le feu et détruisirent le vaisseau géant. Les épaves vomissaient d’épaisses colonnes de fumée noire et grasse, tandis que les buildings reflétaient l’incendie qui se répandait à partir des réservoirs de carburant.
« Mitraillez avec tout ce que vous pouvez, missiles cinétiques et rayons perforants ! » ordonna Kori’nh.
Ses capitaines n’avaient pas besoin d’être encouragés. Mais, alors même qu’ils pilonnaient l’orbe de leurs tirs, celui-ci continuait de ravager les étendues de vignes luxuriantes, détruisant champs, fleurs et jardins. Les éclairs bleutés renversaient les immeubles richement ornés, vaporisaient les édifices publics, abattaient les tours cristallines. Les défenseurs de la Marine Solaire ne pouvaient pas faire grand-chose pour arrêter cette désolation, mais il était du devoir de Kori’nh d’essayer.
L’Attitré d’Hyrillka brailla par radio :
« Adar Kori’nh, vous devez évacuer la population immédiatement ! Nous n’avons aucun refuge contre cette attaque.
— Attitré, il n’y a pas assez de vaisseaux pour cela, et pas assez de temps. Il ne nous reste que quatre croiseurs. Je ne peux pas les retirer de la bataille. »
Le globe hydrogue lança une salve de travers qui égratigna l’un des croiseurs sans causer trop de dégâts. Le vaisseau s’écarta tant bien que mal pour réparer, pendant que les trois autres poursuivaient la canonnade de l’ennemi, tout aussi infructueuse.
« Adar, vous devez nous sauver ! » insista l’Attitré d’une voix qui trahissait son incrédulité.
Il ne parvenait pas à croire que la Marine Solaire ne soit pas invincible. Kori’nh songea que Rusa’h avait décidément regardé trop de parades militaires. Il comprit alors ce qu’il devait faire.
« J’envoie une navette de sauvetage vers la citadelle, Attitré. Je vous emmènerai en sûreté, ainsi que le Premier Attitré et son fils. C’est la première priorité.
— Vous ne pouvez pas laisser mon peuple périr ! mugit Rusa’h. Mes artistes, mes conseillers… mes compagnes d’agrément !
— Je ne peux pas les sauver. »
Le cœur serré, l’adar ordonna que son croiseur rompe le combat. Il se tourna vers l’un de ses hommes et aboya :
— Envoyez un transport, tout de suite ! Entassez autant de personnes que possible, mais assurez-vous d’avoir les Attitrés. (Le soldat sortit de la passerelle en courant.) Le reste d’entre vous…
— Adar, regardez ! coupa l’un des officiers tactiques, la voix tendue.
Kori’nh lança un regard vers les cieux rougeoyants, pour apercevoir un second orbe de guerre qui descendait vers la surface. Il se joignait à l’attaque du premier engin extraterrestre, ses armes énergétiques crépitant déjà sans pitié.