4
Le roi Peter

Le dernier vaisseau de guerre verdani décolla dans le ciel limpide de Theroc, piloté par un ancien prêtre Vert dont le corps avait fusionné avec le duramen. Le roi Peter assista au départ avec son épouse du haut d’un large balcon saillant du récif de fongus, sa nouvelle capitale. La foule amassée sur le sol de la forêt, aux fenêtres et aux alcôves de la structure organique blanchâtre poussa des vivats et adressa des gestes d’adieu au prodigieux agglomérat végétal.

Au bras de Peter, Estarra souriait, malgré les larmes qui coulaient le long de ses joues.

— Maintenant, nous sommes livrés à nous-mêmes.

— Pas exactement « à nous-mêmes », rectifia le roi. Nous avons la Confédération avec nous : tous les clans de Vagabonds, les colonies émancipées. (Il la serra, sentit les rondeurs de sa grossesse contre lui.) Il ne manque que la Hanse… pour le moment. Mais elle changera d’avis.

— Crois-tu que le président abdiquera un jour ?

— Non. Mais cela ne nous empêchera pas de l’emporter.

Le vaisseau-arbre gagnait de plus en plus d’altitude à mesure qu’il s’approchait de l’orbite. Lui et ses semblables avaient aidé l’humanité à vaincre les hydrogues. Aujourd’hui, ils s’égaillaient à travers la galaxie. Leur puissance phénoménale leur permettait d’affronter des ennemis titanesques, mais n’avait que peu d’utilité sur le champ de bataille de la politique. Peter et Estarra devaient relever ce défi par eux-mêmes.

Le vaisseau-arbre se fondit au loin.

La chaude lumière du soleil tachetait les plates-formes et les balcons spacieux du récif de fongus. La brise charriait les mille parfums qui provenaient des frondaisons humides, des épiphytes et des fleurs emplies de nectar. Les arbremondes murmuraient une douce berceuse. Theroc paraissait aux yeux de Peter plus belle encore que ce qu’Estarra lui avait annoncé.

Un flot régulier de visiteurs avides de rejoindre la Confédération affluait sur la planète. Chacun affirmait avoir de brillantes idées sur le mode de gouvernement, la Constitution, les impôts et autres recettes publiques, la législation. Les prêtres Verts faisaient circuler les messages dans les colonies séparatistes afin de présenter le nouveau gouvernement. Nombreux étaient ceux qui appréciaient de pouvoir enfin se libérer des rets barbelés de la Hanse. Peter leur offrait une solution viable, et beaucoup plaçaient leur foi en lui. C’était à lui de leur prouver qu’il était bien le chef dont ils avaient besoin.

Le président Wenceslas avait accompli une rude besogne pour transformer le jeune galopin des rues qu’il était en figure de proue du gouvernement. À présent, il fallait que la Hanse accepte ce qu’elle avait créé. Forcé d’agir en roi, Peter devait, aujourd’hui plus que jamais, en être un. Mais en voyant tous ces gens venus offrir leurs services et leur loyauté, il savait qu’Estarra et lui avaient fait le bon choix. La Confédération en était encore à un stade embryonnaire, et son infrastructure administrative changeait sans arrêt. En fait, rompre avec la Hanse avait été la partie la plus facile.

OX émergea sur le balcon ensoleillé, un plateau de rafraîchissements dans les mains, à la tête d’un groupe de nouveaux arrivants. Ceux-ci venaient débattre des besoins et des attentes de chacun. Le comper Précepteur était bien trop sophistiqué pour servir de simple majordome. Mais depuis que la plupart de ses souvenirs avaient été purgés de sa mémoire, sa personnalité originelle avait presque disparu. Néanmoins, Peter se sentait une dette envers lui et savait qu’un jour il se révélerait de nouveau précieux. Après tout, ce dernier était responsable dans une large mesure de l’homme qu’il était devenu : le roi Peter.

Il prenait au sérieux son rôle de véritable roi. Il était déterminé à progresser sur au moins un sujet qui rencontrerait leur accord à tous. Il se tourna vers Yarrod, qui faisait office de porte-parole des prêtres Verts :

— Notre avantage le plus évident sur la Hanse est la communication instantanée par télien. Je veux placer au moins un prêtre sur chaque monde qui se joindra à la Confédération. De cette manière, nous garderons toujours un temps d’avance sur Basil.

Le crâne rasé de Yarrod était recouvert de tatouages qui indiquaient ses domaines d’étude.

— La forêt-monde trouvera des volontaires. Nous aurons toutefois besoin d’un moyen de transport vers ces planètes.

Denn Peroni, un négociant important, regardait par-dessus le rebord du balcon, pas le moins du monde impressionné par le vide en contrebas.

— Ce n’est pas un problème. Nos clans disposent de vaisseaux qui se rendront partout où vous en aurez besoin.

Denn portait sa plus belle combi brodée aux armes des clans ; elle était ornée de poches, de colliers et de fermetures à glissière. Le Vagabond avait noué ses cheveux longs en arrière au moyen d’un ruban de couleur.

Rlinda Kett, la marchande indépendante, traversa à grands pas le balcon, en direction des tables sur lesquelles OX arrangeait des plateaux.

— Les prêtres Verts sont une bonne idée, roi Peter, mais la seule communication ne suffit pas pour tenir les rênes. Vous aurez besoin du commerce. (Elle goûta quelque larve enveloppée dans des feuilles, avant de se lécher les lèvres.) Si vous voulez convaincre les colonies que vous êtes meilleurs que la Hanse, envoyez des cargaisons de tout ce que la Terre leur a refusé. Donnez-leur de la nourriture et du carburant interstellaire, et elles n’oublieront pas qui les leur a fournis.

Rlinda choisit une petite chrysalide de lucane, la fendit en deux, et huma longuement l’arôme piquant.

— J’avais oublié tout ce que Theroc a à offrir. C’est Sarein qui me l’a fait découvrir. (Elle préleva un succulent morceau de viande blanche et le tendit à son partenaire.) Essaie, BeBob. Tu n’as jamais rien mangé de pareil.

— Non merci, répondit Branson, qui se contentait de tranches de fruits exotiques.

Elle le fourra devant son nez.

— Allez, élargis un peu tes horizons. Essaie de nouvelles choses.

— J’adore les nouvelles choses, aussi longtemps que ce ne sont pas des insectes.

— … dit l’homme qui mange du pemmipax de son plein gré.

Elle engloutit le morceau puis continua à goûter les mets insolites le long de la table.

Peter considéra ces experts venus lui offrir leurs conseils. Ils pouvaient alléger son fardeau, réduire les incertitudes qu’induisait la formation d’un nouveau gouvernement. L’une des choses les plus importantes que Basil lui avait apprises était de savoir déléguer les tâches aux personnes adéquates. Un chef avisé s’entourait d’adjoints intelligents et compétents, et les écoutait.

Peter prit sa décision. Il savait qu’elle pourrait sembler irréfléchie, mais ce n’était pas le cas.

— Capitaine Kett, dit-il, félicitations. (Elle le regarda et s’essuya rapidement la bouche.) Je viens de vous choisir pour être le ministre du Commerce de la Confédération. Ou ministre par intérim, si vous préférez.

Sur les traits de Rlinda, la fierté succéda à la confusion. Et un instant plus tard, son sens pratique prit le dessus.

— Qu’est-ce que cette tâche implique ? J’ai des affaires vaguement honnêtes à gérer…

— Pas vraiment, marmonna Roberts. Avec un seul vaisseau…

— La ferme, BeBob.

Peter croisa les mains, jusqu’à ce qu’il se rende compte qu’il tenait cette habitude de Basil. Immédiatement, il les plaqua le long de ses hanches.

— Nous avons besoin de quelqu’un pour préparer les livraisons aux colonies séparatistes, superviser les expéditions, recruter une nouvelle génération de capitaines de vaisseau de transport. Peut-on imaginer quelqu’un de plus compétent que vous ?

— Pas en particulier, répondit Rlinda en mordant dans une noix grillée au goût de beurre.

— D’un point de vue pratique, j’attends de vous que vous ne changiez rien à votre travail de négociante indépendante. Si ce n’est que vous aurez l’oreille du roi chaque fois que vous voudrez. (Il les regarda, elle et son partenaire.) Le capitaine Roberts, bien entendu, pourra être votre second, et vous serez libre de déterminer son rang.

— Comme il se doit, dit Rlinda en ébouriffant les cheveux gris-brun crépus de BeBob.

— Vous, Denn Peroni, poursuivit Peter, servirez d’agent de liaison entre la Confédération et les clans de Vagabonds.

— Vous voulez dire, en tant qu’Orateur ? Ma fille porte toujours ce titre, dit-il d’un ton embarrassé.

Cela faisait longtemps que Cesca manquait à l’appel.

— Pas tout à fait. Simplement, estimer ce que les Vagabonds peuvent offrir à nos colonies nécessiteuses est une tâche ardue. Êtes-vous de taille ?

— Par le Guide Lumineux, bien sûr que oui !

— Ce n’est qu’un début. Pour établir ce gouvernement, nous devons former des alliances. Contactez les colonies séparatistes. Mettez en place un réseau commercial afin de passer l’information. Voyez celles qui soutiennent toujours la Hanse et tâchez de les convertir ; à défaut, gardez un œil sur elles. (Il énumérait chaque point sur ses doigts.) Il faudra aussi aller voir les anciens mondes klikiss colonisés récemment. Ils n’ont probablement aucune idée de ce qui se passe dans le Bras spiral.

— Nous n’avons aucun moyen de communiquer avec eux, puisque aucun n’abrite de prêtre Vert, fit remarquer Yarrod.

— Cela marche dans les deux sens, dit Rlinda. S’ils sont coupés de nous, ils le sont tout autant de la Hanse. Ce sera à celui qui parviendra à les convaincre en premier.

— Avant peu, affirma Peter, la Terre ne figurera plus dans les livres d’histoire que sous la forme d’une note en bas de page.

Un essaim d'acier
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