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Adar Zan’nh
Alors que ce qui restait de la Marine Solaire, jadis si fière, se rassemblait au-dessus d’Ildira, le peu d’appareils en état de voler emplit Adar Zan’nh de désarroi. Il avait sacrifié presque trois cohortes de croiseurs lourds – presque la moitié de sa flotte ! – pour vaincre les hydrogues, au large de la Terre. Sa navette d’inspection tournait autour des vaisseaux meurtris. Il en restait si peu… L’adar en lui souffrait de voir l’Empire si vulnérable.
Sous sa direction cependant, la flotte ildirane se reconstituait à une cadence étonnamment rapide. Il constatait non sans ironie à quel point celle-ci dépendait des ingénieurs humains pour optimiser ses procédures de fabrication et de réparation. Sous leur supervision, elle s’était lancée dans un projet de reconstruction éclair qui ne ressemblait à rien de ce que La Saga des Sept Soleils avait jamais décrit.
Après avoir achevé son interminable série d’inspections, Zan’nh fit apponter sa navette sur le vaisseau amiral, celui-là même qu’il avait personnellement piloté au cours de la bataille autour de la Terre. Il avait vécu tant de choses avec lui qu’il espérait le voir réparé au plus vite.
Il n’était pas mécontent que son frère Daro’h revienne de Dobro pour prendre son rôle de Premier Attitré. Zan’nh était un militaire, un commandant et un guerrier. Il n’était pas né pour assumer les devoirs d’administrateur et de reproducteur qui incombaient au successeur du Mage Imperator.
Une fois de retour au Palais des Prismes, Yazra’h et lui comptaient présenter un plan intrépide à leur père afin de reconstruire l’Empire blessé. Zan’nh était certain que ce dernier leur donnerait son aval. Mais, avant tout, il était un chef militaire, non un gestionnaire. Combattre sur le champ de bataille était ce pour quoi il était le plus doué.
Zan’nh s’avança dans le centre de commandement du croiseur amiral. D’un œil, il passa en revue le déroulement des opérations. Tabitha Huck naviguait entre les stations de contrôle ; l’ingénieur scrutait les écrans, ouvrait les interphones et lançait des instructions aux ouvriers ildirans d’un ton impatient. Sur l’ordre explicite de l’adar, tous lui obéissaient comme si elle délivrait la parole divine.
Tabitha avait travaillé sur la plate-forme d’extraction d’ekti de Sullivan Gold, sur Qronha 3. À sa grande indignation, elle avait été détenue sur Ildira avec tout son équipage afin que personne ne divulgue les plans du Mage Imperator au sujet des hydrogues. Pourtant, lorsque Zan’nh leur avait demandé de lui prêter main-forte pour avoir des idées neuves – ce qui n’était pas le fort des Ildirans –, les humains avaient accepté.
Afin de réparer et reconstruire les vaisseaux de la Marine Solaire, de nouveaux complexes industriels avaient été placés en orbite. Plusieurs kiths ildirans – ouvriers, mineurs, techniciens – travaillaient dans une coopération parfaite. Mais leur méthode de travail traditionnelle ne suffisait pas pour reconstituer rapidement la flotte. Une fois encore, les humains leur montraient une nouvelle voie.
L’air soucieux, Tabitha jonglait avec les rapports de situation, les listes d’attribution des ressources et le planning des différentes équipes. Elle appartenait aux « personnalités de type A », selon la terminologie de Sullivan : ces individus qui s’accomplissent le mieux quand ils sont surmenés, et qui exigent le meilleur d’eux-mêmes comme des autres. En cet instant, Tabitha était exactement la personne qu’il fallait à la Marine Solaire.
Les yeux fixés sur les écrans de données, elle commenta avec un sourire narquois, sans s’adresser à personne en particulier :
— Cette technologie est si primitive, c’est comme travailler avec des couteaux de silex et des pagnes… (Elle essuya la sueur de son front, puis poussa un long soupir avant de se tourner vers Zan’nh.) Il nous faut davantage d’ouvriers, adar. Davantage de pièces de métal et d’autres composants. Davantage de…
— Vous aurez tout ce dont vous aurez besoin.
Sa réponse sembla la calmer un peu.
— Bien, dit-elle, parce que je ne vois pas comment y arriver d’une autre manière.
Sullivan Gold surgit dans le centre de commandement, l’air quelque peu hagard. Après un salut hâtif de la tête en direction de Zan’nh, il se pressa vers Tabitha.
— Vous avez résolu mon problème de chaîne de ravitaillement ?
— Quelle chaîne de ravitaillement ? Il y en a soixante-quinze, à l’heure qu’il est.
— Indiquez-nous comment vous aider, l’interrompit Zan’nh, et je m’en occuperai.
Tabitha renifla.
— Eh bien, pour commencer, votre peuple pourrait prendre un peu plus d’initiatives. Ils suivent les instructions et travaillent dur, pas de doute là-dessus. Mais je dois tout leur dire. Parfois, un chef a besoin que ses troupes proposent des solutions originales.
— Mais c’est pour cela qu’on vous a amenée ici.
— Et c’est pour ça que vous me devez une sacrée ardoise. À propos de salaire, il n’en a jamais été question…
La notion de paiement n’était pas inconnue à l’adar, mais il ne la saisissait pas totalement. Le profit, le désir d’accumuler des biens, n’étaient tout simplement pas des concepts ildirans. Quand quelque chose devait être fait, on le faisait, voilà tout.
— Annoncez votre prix. Je suis certain que le Mage Imperator donnera son aval.
Tabitha cilla.
— Je peux penser à une somme importante.
— Faites donc.
Sullivan gloussa.
— Vous comptez réellement vous attarder ici, Tabitha ? Le Mage Imperator a dit qu’à présent que la guerre des hydrogues était terminée nous pouvions rentrer chez nous.
— Est-ce que je retrouverai un meilleur boulot que celui-ci ? Regardez-moi. Je suis la reine de la Marine Solaire, et on va me payer royalement. Il n’y a rien d’urgent qui me rappelle sur Terre.
Sullivan avait extirpé un rasoir et le passait machinalement sur le chaume de ses joues.
— À votre guise. Quant à moi, je veux revoir ma femme et ma famille.
— Je suis sûr que ces activités sont entre de bonnes mains, conclut Zan’nh.
Tabitha retournait à sa besogne lorsqu’il quitta la passerelle.
— N’oubliez pas de rappeler au Mage Imperator que l’on fait du bon boulot, lui jeta-t-elle. Un de ces jours, je pourrais bien lui demander une lettre de recommandation.