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Daro’h le Premier Attitré
Des relents de chair brûlée planaient dans l’atmosphère qui ondulait sous l’effet de la chaleur, telle une entité vivante. Daro’h avait l’impression que sa peau virait au rouge, mais il lui était impossible d’échapper aux faeros qui flottaient devant lui. Six autres bolides palpitant de lumière survolaient la ville partiellement reconstruite de Dobro.
Les vaisseaux ignés avaient surgi sans crier gare au-dessus de la bâtisse où l’on avait emprisonné Udru’h. Ce dernier n’avait pu empêcher les faeros de décharger leur colère sur lui : un seul éclair issu du vaisseau crépitant avait suffi à l’incinérer.
Daro’h considéra les traces de pas vitreuses et la tache cendreuse, à deux mètres de lui : voilà tout ce qui restait d’Udru’h, l’ancien maître de cette scission ildirane. Mais il n’avait pas senti l’horreur de cette mort via son thisme comme il l’aurait dû. Lorsque le feu des faeros avait consumé leur victime, ils l’avaient coupée du réseau mental qui liait tous les Ildirans les uns aux autres. Udru’h avait péri seul, un sort aussi atroce que les flammes elles-mêmes.
Comme dans un accès de dépit, l’un des bolides les plus proches du sol projeta un arc de feu sur la bâtisse qui avait abrité l’ancien Attitré. Celle-ci vola en éclats incandescents, tandis que des tentacules de fumée se dispersaient. Daro’h attendit que les créatures élémentales achèvent de raser ce qui restait des édifices. Puis il prit son courage à deux mains pour crier :
— Pourquoi êtes-vous là ? Nous n’avons aucun différend avec les faeros !
Une voix résonna dans sa tête :
— Mais les faeros ont un différend avec vous… tout comme moi.
Nappé de flammes orangées, un humanoïde émergea de la paroi ardente. Sa peau brillait si fort qu’il était impossible de la regarder. Il flotta vers le sol telle une escarbille, et lorsqu’il avança, ses pas laissèrent des empreintes cendreuses sur la chaussée.
— Tout ce que Jora’h a essayé d’éteindre, je l’enflammerai de nouveau.
Daro’h se protégea les yeux de la main.
— Je te reconnais. Tu es Rusa’h.
Après l’échec de sa rébellion, son oncle dément avait précipité son vaisseau dans le soleil principal d’Hyrillka. C’était la dernière fois que Daro’h avait entendu parler de lui.
— Et toi, Daro’h, tu es le fils du Mage Imperator. Ton thisme est fort. Ta connexion avec lui t’octroie un sursis.
Il se tourna pour regarder les débris de la colonie. Au cours de la récente rébellion des reproducteurs humains contre leurs geôliers ildirans, des incendies avaient anéanti des quartiers entiers de Dobro et certaines collines environnantes. La moitié de la ville était partie en fumée, et un voile opaque planait au-dessus depuis des jours. Rusa’h le contempla, enchanté.
— Le feu a déjà goûté à ton monde.
— Vous n’avez pas besoin de ravager davantage Dobro ! Les gens d’ici ne vous ont rien fait.
— Je suis venu pour Udru’h, afin de consumer sa chair perfide dans les flammes. (Il sourit.) À présent, je pars. J’ai d’autres feux à allumer…
Les appareils faeros oscillèrent, semblèrent enfler, puis s’élevèrent. Seul le plus proche resta en arrière, dans l’attente du retour de l’avatar igné de Rusa’h.
— Les rayons-âmes du thisme ne diffèrent pas des flâmes faeroes, poursuivit-il. Tout est lié. Je forgerai des liens de flâmes partout où ce sera nécessaire.
Il recula en direction de l’ellipsoïde. Le feu qui l’enveloppait rendait son expression difficile à déchiffrer.
— Le faux Mage Imperator mourra carbonisé s’il essaie de m’arrêter… Non, il périra de toute façon.
L’hybride ildiran-faero se laissa engloutir par le bolide, et celui-ci fusa vers le ciel telle une comète, laissant un sillage de fumée et de vagues de chaleur derrière lui.
Le calme apparemment revenu, des colons émergèrent des bâtiments où ils avaient trouvé refuge. Daro’h se sentait si effrayé et si impuissant que ses genoux peinaient à le porter, mais il refusa de s’effondrer. Il était le Premier Attitré. Il devait montrer l’exemple, bien qu’il doute que même la Marine Solaire puisse lutter contre les faeros.
Dans l’immédiat, sa priorité était de se rendre sur Ildira pour avertir son père de cette nouvelle menace.