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Kolker
Kolker n’avait jamais fait partie de quelque chose de si ambitieux, de si passionnant, même quand les arbremondes l’avaient accepté comme prêtre Vert. Il n’avait alors jamais imaginé chose plus belle que d’ouvrir son esprit et son cœur aux verdanis.
Et pourtant, c’était le cas aujourd’hui. Il lui fallait partager ce sentiment, montrer aux autres ce qu’ils avaient manqué.
Il retourna à la plate-forme décorée du Palais des Prismes sur laquelle se trouvait le surgeon. La forêt-monde avait faim de nouvelles connaissances, de nouvelles expériences, et celle-ci était assurément unique. Kolker peinait à réprimer son enthousiasme, jamais un but ne s’était imposé à lui de la sorte. D’autres prêtres recevraient avec bonheur ce qu’il avait à offrir. Mais la nature de ce changement était intime, il ne se limitait pas à ce que l’on puisait d’ordinaire dans l’esprit verdani.
Il se redressa sous la lumière oblique des baies vitrées. Son esprit était prêt à s’envoler. Il avait passé tellement d’années à voyager en des endroits lointains, à voir de nouveaux mondes et à les décrire aux arbremondes… Il avait toujours éprouvé ce goût pour le mystère qui se trouve juste hors de portée, malgré toutes les choses extraordinaires qu’il avait vues. Sa bougeotte l’avait éloigné de Yarrod, car son ami ne comprenait pas quel besoin avait un prêtre Vert de vagabonder si loin de chez lui. Kolker, de son côté, soutenait que « chez lui » était au côté de son surgeon.
Il rassembla ses pensées et son énergie. Yarrod méritait de savoir, et il finirait par le comprendre… cela et bien plus, via la connexion entre le thisme et le télien. Kolker sourit à cette pensée. Yarrod serait réceptif, il n’en doutait pas.
Il toucha les feuilles de son surgeon, puis baissa les yeux sur le médaillon de Tery’l où se reflétait la lumière. Son esprit s’engouffra dans le télien pour devenir une partie de l’esprit verdani. Ce dernier ressemblait tellement au thisme qui reliait les Ildirans entre eux… Kolker répandrait la bonne parole, montrerait à quiconque serait à l’écoute…
Il trouva Yarrod sous le grand arbre qui soutenait le récif de fongus. L’après-midi était déjà bien avancé sur Theroc.
— Mon ami, je t’apporte quelque chose de très important.
À mesure que Kolker remuait les lèvres, ses paroles étaient instantanément retransmises aux arbres theroniens.
— Kolker ! Ces temps derniers, tu as été si silencieux. Je croyais qu’une fois que tu aurais retrouvé un surgeon, on ne cesserait plus d’entendre parler de toi…
— Je me sentais perdu, incertain, mal dans ma peau. Mais aujourd’hui, j’ai fait une découverte. Quelque chose que même la forêt-monde n’a jamais soupçonné ! Tu es mon meilleur ami. Écouteras-tu la nouvelle que je suis venu annoncer ?
La réponse de Yarrod lui parvint, claire et nette dans sa tête :
— Me voici intrigué. De quoi s’agit-il ?
Kolker n’avait jamais initié une « ouverture » à une telle distance. Jusqu’à présent, il s’était trouvé au contact des convertis, voyait leur visage et pouvait les toucher. Mais il voulait essayer avec Yarrod. Un lien étroit existait entre eux, et il était déjà ouvert au télien. L’esprit tendu, Kolker mit le doigt sur l’infime altération à produire dans celui de Yarrod. C’était comme tourner un bouton invisible.
— Ici. Regarde ce que j’ai trouvé.
Ce fut comme si la lumière affluait le long des fils du télien, mêlés aux rayons-âmes qui resplendissaient du reflet de la Source de Clarté. À travers les parsecs, Kolker perçut le souffle soudain coupé de Yarrod, devina son visage illuminé.
— C’est… inouï, incroyable !
— Crois-le. Partage-le. Tous les prêtres Verts peuvent en faire partie, tous les hommes en faire l’expérience.
Kolker sentit presque le pouls et la respiration de son ami s’accélérer.
— Je vais partager. Je porterai la parole aux autres prêtres. Merci, Kolker. Merci !