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Davlin Lotze
Les robots noirs avaient occasionné de grands dégâts à la sous-ruche, mais leur retraite n’avait pas fait gagner autant de temps à Davlin qu’ils l’avaient espéré… lui, et les autres colons de Llaro. Les Klikiss qui restaient ne leur laisseraient aucune chance.
Margaret sortit de la cité klikiss endommagée. La vieille femme à l’allure d’épouvantail courait comme si elle avait des monstres à ses trousses. Des cadavres d’insectes et des robots terrassés jonchaient le sol alentour. Elle dépassa les brèches plus petites pour entrer par le vaste trou que l’explosion avait creusé dans l’enceinte. Là, elle se tint, comme hagarde, dans le matin de Llaro. Enfin, elle reprit haleine et cria à l’adresse de Davlin et de la multitude de colons à ses côtés :
— Les accouplants viennent pour vous ! Maintenant !
Ses paroles cinglèrent l’air telle une lame. Un froid glacial dévala l’échine de Davlin.
— Mais ils n’ont pas fini de se remettre de la bataille, argua-t-il.
Roberto Clarin et trois autres colons s’escrimaient à renforcer les défenses de la ville. Le chef vagabond s’interrompit pour lancer :
— Merdre, comment diable ces bestioles peuvent avoir envie de remettre ça ? La moitié ont été anéanties.
— Voilà justement pourquoi, dit Margaret. Maintenant plus que jamais, le spécex a besoin de se reproduire afin de reconstituer ses effectifs. Pour cela, il a besoin de vous.
Dans un afflux d’adrénaline, Davlin frappa dans ses mains et cria à tous de rejoindre leur poste ; ce n’était pas un exercice. Déjà bouleversés, les gens poussèrent des soupirs de désespoir mêlé de détermination.
Rassemblés en hâte, Marla Chan Tylar et ceux qu’elle avait formés rechargèrent les armes qu’ils avaient récupérées : des lance-projectiles portatifs, des convulseurs et deux fusils jazer. Ils grimpèrent au sommet de l’enceinte par les échelles de fortune. En tant que tireur d’élite émérite, Davlin accapara l’un des jazers. Chaque batterie de fusil énergétique, chaque munition d’arme conventionnelle devrait être utilisée avec parcimonie, même s’il était probable qu’elles ne suffiraient pas.
— Pensez-vous que la mort de tant d’insectes change quoi que ce soit ? lui demanda Clarin à voix basse. A-t-on une chance de nous en sortir, maintenant ?
— Il y a toujours une chance. Mais la nôtre n’a jamais été très bonne. (Davlin regarda le chef vagabond.) Elle ne l’est toujours pas. Mais chaque bestiole tuée par les robots est une de moins qu’on aura à abattre.
Sur le mur, des guetteurs sonnèrent l’alarme. Des insectes ouvriers avaient passé la journée, dans les débris fumants et le carnage en contrebas, à emporter les corps de leurs congénères, ainsi que les carcasses des robots noirs et des compers Soldats abattus. Davlin monta par une échelle au sommet du mur d’enceinte pour rejoindre Margaret.
— J’ai pu voir que les robots ont tué l’un des accouplants. Cela va-t-il nous aider ?
— Pas tellement. Il en reste sept au spécex.
Les larmes qui dégouttaient des joues de la vieille dame le surprirent.
— Ne devriez-vous pas vous mettre à l’abri ? Ou allez-vous mourir avec nous ?
— On ne me touchera pas. Le spécex m’a marquée dans son esprit. (Elle serra les poings.) Me voilà plongée au milieu de cet ouragan sanglant. J’aurais préféré que DD soit là, mais je suis heureuse qu’il soit parti avec les autres.
— Et moi, j’aurais préféré avoir emmené plus de gens à temps, répondit Davlin. (Il gonfla la poitrine.) J’en aurai sauvé autant que possible.
Néanmoins, il ignorait combien de personnes survivraient sans nourriture, sans outils et sans armes dans les promontoires de grès. Il ne pouvait livrer qu’une seule bataille à la fois.
Davlin remarqua que les ouvriers avaient libéré un passage à travers le champ de bataille. Il aperçut des guerriers et plusieurs accouplants émerger des ouvertures des tours. Une procession se forma, et les Klikiss se mirent en marche vers la ville humaine.
Marla aligna ses artilleurs le long du mur, pendant que d’autres se postaient sur les toits. Tous étaient armés et paraissaient impatients d’en découdre.
— Pas encore, dit-elle. Notre meilleur atout est la surprise.
Ahanant, le visage en feu, Clarin grimpa jusqu’à Davlin.
— On les retiendra aussi longtemps que possible. Peut-être que si on en tue suffisamment, ils abandonneront…
— Ils n’abandonneront pas, affirma Margaret d’un ton neutre.
Clarin soupira.
— À vrai dire, je ne me faisais pas d’illusions.
Marla Chan plissa les yeux en soupesant son arme.
— Quant à moi, j’ai bien l’intention de laisser autour de moi une pile de cadavres d’insectes.
Les accouplants, la tête parée d’une grande crête et de mandibules semblables à des pinces industrielles, s’avancèrent à grands pas sur leurs pattes multiples en direction du mur d’enceinte. Davlin se concentra. Dans son esprit, il traça des lignes imaginaires : quelques pas encore… Il avait déjà activé son réseau de détonateurs.
— Rappelez-vous, les gros insectes à rayures sont nos véritables cibles, cria-t-il, juste après le spécex. Si on se débarrasse des sept, on portera un coup puissant à la sous-ruche tout entière.
Le premier accouplant s’avança sur le chemin menant au fronton de l’enceinte. Sa patte chitineuse se posa sur l’une des mines de Davlin. L’explosion s’éleva en un geyser orangé, projetant graviers et poussière à six mètres de hauteur. L’accouplant déchiqueté s’écrasa au sol tel un vaisseau naufragé. L’événement suscita une vague de réactions. Un bruit assourdissant de cris stridents et de crissements envahit les airs.
Plus que six accouplants.
Les guerriers qui escortaient la compagnie d’accouplants brandirent leurs armes énergétiques dans leurs pinces acérées. Dans le désordre indescriptible qui régnait, beaucoup se lancèrent à l’attaque, exactement comme Davlin l’avait espéré. Ils chargèrent sur la voie minée et trois explosions retentirent, vaporisant nombre d’entre eux.
— Feu ! hurla Marla Chan.
Davlin souleva son jazer, visa avec soin, et fora un trou carbonisé à travers un autre accouplant. Le corps rayé s’effondra dans les débris. Plus que cinq.
Sur le mur d’enceinte, tout le monde se mit à tirer, fauchant des guerriers, des ouvriers et toutes les sous-espèces qui se présentaient.
— Visez les accouplants !
Trois de leurs huit accouplants à présent détruits, les guerriers formèrent une barricade autour des autres immenses créatures, puis les ramenèrent en sécurité vers la cité. Davlin tira une nouvelle rafale et abattit dix guerriers d’un large balayage. Un accouplant eut deux pattes atteintes, mais parvint à s’esquiver et à filer à l’abri.
De l’intérieur de sa ruche, le spécex ordonna à ses guerriers de déferler par centaines. Malgré la fusillade des colons, cet essaim était impossible à repousser. Après qu’une autre mine eut explosé, de nombreux insectes en arrière-garde ouvrirent leurs élytres et s’envolèrent, s’élevant au-dessus de la zone piégée. Les autres marchaient sur le village humain sans se soucier du danger. Ils escaladaient les cadavres qui s’empilaient.
Davlin savait que le mur d’enceinte n’offrait aucune protection contre les créatures volantes. Dans le ciel, celles-ci faisaient entendre leur vrombissement menaçant. Puis elles attaquèrent en piqué. L’ancien espion tira en l’air, tuant beaucoup d’insectes en plein vol, mais le flot d’assaillants ne cessait de croître.