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Celli
Depuis qu’elle avait décidé d’« endosser la robe verte », Celli était devenue plus attentive à la magnificence de la forêt-monde : les arbres imposants, les broussailles multicolores, les épiphytes aux saveurs de miel, les lucanes géants aux ailes semblables à des joyaux. Les chants d’insectes qui emplissaient le sous-bois et composaient naguère une rumeur confuse commençaient à se différencier à ses oreilles. La jeune fille regrettait de ne pas avoir choisi sa voie avant.
Une vaste clairière d’herbes ondoyantes terminées par des épis duveteux l’entourait. Elle leva les yeux vers la canopée et la trouée de ciel bleu. Aussi ravi qu’elle, Solimar la regardait avec fierté. La reine Estarra, sur le point de devenir mère, se tenait à côté de ses parents pour la cérémonie.
Yarrod, le doyen des prêtres Verts, était aussi imposant que silencieux. D’ordinaire, il accomplissait ce rituel avec des enfants. Son austérité avait pour but de faire comprendre aux nouveaux acolytes combien leur choix était grave. Il trempa un index dans un pot de teinture pâteuse.
— Celli, tu vas devenir une acolyte. Tu vas servir la forêt-monde et t’intégrer dans l’esprit verdani. Aujourd’hui, tu renonces à ton individualisme pour devenir une partie de la trame universelle. À l’image des arbremondes, les prêtres Verts sont liés les uns aux autres ainsi qu’à l’ensemble de l’humanité. Une fois que tu auras appris à t’ouvrir à la forêt-monde, tu seras acceptée dans la prêtrise Verte. Jures-tu de suivre cette instruction, de t’offrir à la fois comme servante et compagne de la forêt, de fournir assistance et information aux arbres ?
— Je le fais déjà depuis des années.
— Réponds seulement « oui » ou « non », s’il te plaît.
— Oui.
Elle adressa un rapide sourire à Solimar. Lorsqu’il lui rendit son regard, elle sentit l’intensité de ses sentiments à son égard. Avaient-ils changé, ou les percevait-elle avec plus d’acuité ? Un frisson d’excitation la parcourut, suivi par un tremblement d’intimidation quand elle songea à quel point leurs pensées et leurs cœurs seraient entrelacés, une fois que tous deux seraient prêtres. Voilà ce que désirait Celli, plus que tout au monde.
De son doigt dégoulinant de teinture, Yarrod traça une ligne verticale au centre du front de Celli. Le colorant la picota, puis commença à lui brûler la peau à mesure qu’il en altérait la pigmentation.
— Tu portes à présent la marque des acolytes. Les prêtres t’aideront dans ton parcours. Et avant peu, la forêt-monde t’acceptera.
— Je suis prête, dit Celli en s’efforçant de garder une voix normale malgré l’ardeur qui faisait vibrer sa poitrine. Quand puis-je commencer ?
— Tu as déjà commencé. (Yarrod abandonna enfin son sérieux et ouvrit les bras pour l’étreindre.) Je suis heureux que tu aies décidé de te joindre à nous.
— Désolée d’avoir mis si longtemps.
Solimar lui prit la main. Elle ressentit un frisson à son contact, comme un choc électrique.
— Viens, je vais te montrer.
À l’orée de la clairière, ils trouvèrent un arbremonde au tronc épais. Ils grimpèrent de plus en plus haut, en utilisant les squames d’écorce à la manière d’échelons. En dessous, Estarra leur fit un signe. Son visage mélancolique indiquait qu’elle aurait aimé pouvoir les imiter.
Le temps d’avoir atteint la canopée, c’est à peine si Celli transpira. Elle écarta les feuilles. Le soleil était comme toujours éclatant, mais il lui parut plus vif, plus clair. Elle retint son souffle, puis rit à gorge déployée. Solimar fit bientôt de même.
Tout autour d’eux, des lucanes géants bourdonnaient en cercle, et des épiphytes déployaient leurs pétales comme pour s’enivrer de soleil. Elle entendait une rumeur de voix, certaines jeunes et haut perchées, d’autres plus graves. Un prêtre Vert âgé entouré d’acolytes lisait un pad. Tous étaient plus jeunes que Celli.
— La forêt-monde veut tout écouter : des récits, des légendes, même des passages de manuels techniques. Veux-tu lire des manuels ? demanda Solimar, plein d’espoir, car c’était cela qui l’intéressait le plus.
— Les légendes de la Terre sont plus à mon goût, le taquina-t-elle.
Il haussa les épaules.
— Comme tu veux.
Ils s’acheminèrent vers le vieil instructeur et ses élèves. Les feuilles entrelacées les soutenaient avec fermeté – délibérément ? –, facilitant ainsi leur passage. Bientôt, Celli sentirait l’intégralité de la forêt, comme Solimar. Elle avait hâte. Son compagnon l’embrassa rapidement, puis partit.
Celli replia confortablement ses jambes sveltes sur les branches. Bientôt sa voix s’éleva, chevauchant celle des autres lecteurs. Paragraphe après paragraphe, page après page, elle offrit à la forêt-monde plus de savoir et de compréhension.