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Margaret Colicos
Au beau milieu de la bataille, on ne remarqua pas plus les humains que des grains de poussière dans une tornade. Les insectes guerriers déchiquetaient leurs adversaires. Les Klikiss de la sous-ruche de Llaro opposaient leurs armes étranges à celles des envahisseurs.
Les évadés suivirent des couloirs, en tâchant de contourner les zones de combat. Ils esquivèrent deux guerriers en train de s’affronter, et Robb faillit s’embrocher sur une épine. Tasia le tira de côté avant que celle-ci lui entame plus profondément le dos.
— Certains trouveraient ironique l’idée d’humains écrasés par des insectes, fit observer le comper.
— Pas maintenant, DD, le gronda Margaret.
Des attaquants de la ruche rivale affluèrent par le transportail, pendant que de plus petits groupes marchaient sur l’antique cité klikiss. Margaret nota une différence indubitable entre les deux camps antagonistes. Le corps des envahisseurs présentait une forme plus ancienne, avec des éclats rouges et bleutés sur leur carapace. Les guerriers de Llaro, générés après l’intégration par les accouplants de l’ADN des colons, étaient nettement supérieurs. Évolution, perfectionnement. Les envahisseurs provoquaient des dégâts substantiels, mais étaient systématiquement massacrés.
Margaret savait qu’ils devaient s’échapper avant la fin de l’assaut. Les Klikiss survivants n’allaient pas tarder à s’intéresser de nouveau aux humains, pour les capturer ou les tuer. Elle avait du mal à croire qu’ils aient réellement une chance de s’en sortir, mais elle apporta son aide pour les guider.
— Je ne pensais pas quitter un jour les Klikiss, DD.
— Souhaitez-vous rester ici, Margaret Colicos ?
— Certainement pas… mais je ne suis pas sûre non plus d’appartenir au monde extérieur. Voilà des années que je n’ai pas vu Anton, et je ne sais plus grand-chose du Bras spiral.
— Je peux vous fournir un résumé, répondit le comper Amical, heureux de rendre service. Cependant, mes propres informations sont quelque peu dépassées, elles aussi. Sirix ne m’a pas donné accès aux nouvelles quand j’étais son prisonnier.
Davlin les poussa dans les galeries, d’un carrefour à un autre. Sa blessure le faisant grimacer, Robb lança par-dessus son épaule :
— La bataille rangée qui se déroule entre les Klikiss est la seule nouvelle qui compte en ce moment.
Margaret écarta les quelques réticences qui subsistaient encore en elle en se rappelant qui elle avait été jadis.
— DD, quand tu nous servais sur Rheindic Co, je gérais le site archéologique de façon organisée. J’étais une scientifique de talent et une dirigeante déterminée, n’est-ce pas ?
— Je peux repasser la plupart de nos conversations d’alors mot pour mot, si vous le souhaitez. Cela aiderait à vous souvenir. Ces moments ont été les moments les plus heureux de mon existence.
Orli courait en tête, le visage rouge. Sur son insistance, ils firent une pause dans une alcôve infecte, où des objets avaient été jetés en vrac. DD y avait localisé le sac à dos de la fillette au cours de ses brèves explorations de la cité, et ce fut les larmes aux yeux qu’Orli retrouva son synthétiseur à bandes.
— Mon père me l’avait donné, dit-elle.
Sur les indications de Margaret et DD, Davlin mena le groupe à travers l’une des bâtisses sombres jusqu’à ce qu’une large brèche illuminée leur montre le chemin. Tous piquèrent un dernier sprint.
Au-dehors, des centaines de guerriers de nouvelle génération déchiquetaient leurs ennemis qui émergeaient sans discontinuer du transportail géant. Les insectes se déchiraient mutuellement, écrasaient leurs carapaces, se désarticulaient les membres. Éclaireurs et soldats d’assaut volaient dans des appareils de fortune, et bombardaient leurs adversaires au moyen de la résine afin de les immobiliser avant de les tuer. C’était un chaos inconcevable.
Une bande de Klikiss humanoïdes affronta l’un des accouplants du spécex rival. Margaret les vit le terrasser, puis le marteler de coups jusqu’à transformer son armure en débris gluants.
L’ouverture par où avaient émergé les prisonniers surplombait une dépression d’une vingtaine de mètres.
— On n’a pas assez de corde, dit Nikko.
Davlin se retourna.
— Alors, il faudra atteindre la surface par un autre moyen.
Margaret jaugea rapidement la situation. Les envahisseurs devraient bientôt être vaincus.
— Nous n’avons pas beaucoup de temps.