22
Kolker
Sur une place de Mijistra, une fontaine exotique resplendissait à la lumière des soleils d’Ildira. L’appareillage générait, puis manipulait d’énormes bulles d’un liquide qui semblait être composé de l’essence même des miroirs. Elles ondoyaient sous l’effet de la tension de surface ; le reflet changeant des multiples soleils les faisait ressembler à des projecteurs sans cesse en mouvement.
Réunis autour de la fontaine, sept lentils s’étaient retirés en eux-mêmes, comme pour se livrer à quelque étrange communion. Ils méditaient, l’air grave, le regard plongé dans le miroitement des bulles, comme si celui-ci pouvait leur révéler les secrets de l’univers. Aucun d’eux ne bougeait.
Kolker les regardait à distance. Il essayait d’apprendre en les observant. Les bulles roulaient tandis que le plasma qui les composait s’élevait puis redescendait, peut-être pour signifier la nature changeante du savoir… Kolker mourait d’envie de connaître ce qu’ils savaient, ce qu’ils voyaient. La Source de Clarté, les rayons-âmes, le thisme. Il prit son courage à deux mains pour s’approcher, s’immobilisa derrière deux lentils avant de s’avancer.
Ils s’écartèrent pour lui laisser le passage, mais sans l’inviter clairement à se joindre à eux. Sur leur visage où jouaient des reflets de lumière éthérée, leurs pupilles s’étaient réduites à la taille d’une pointe d’épingle. Incapable de se contenir plus longtemps, Kolker les interrompit :
— S’il vous plaît, dites-moi ce qu’il y a là-dedans. Que vous révèle la fontaine ? Je dois savoir. Je dois savoir comment toucher, comment comprendre votre thisme.
Les lentils le regardèrent comme s’il était attardé.
— Les humains n’ont pas de thisme. Ils ne sont pas reliés par les rayons-âmes. Il serait vain de vous expliquer ce que vous ne vivrez jamais.
Kolker scruta la fontaine-miroir, jusqu’à être aveuglé de taches colorées. Il fut obligé de se détourner.
— Alors, nul ne doit essayer d’atteindre ce qui paraît impossible ? demanda-t-il, amer malgré lui. Lorsque vous avez affronté les hydrogues, votre Mage Imperator ne vous a-t-il pas demandé d’accomplir l’impossible ? Et n’avez-vous pas réussi ?
L’assemblée le regarda, y compris les lentils situés de l’autre côté de la fontaine. Tous semblaient partager le même malaise à son endroit. Enfin, un Ildiran à la gauche de Kolker lui dit :
— Le Mage Imperator ne nous a pas ordonné de vous instruire.
Le prêtre Vert se retourna, les yeux toujours emplis de couleurs. Il se sentait perdu. L’abîme en lui était profond, et il n’avait rien trouvé d’assez solide pour le combler. Il ne savait même pas si le thisme suffirait.
— Pourquoi voulez-vous faire cela ? lui demanda l’un des lentils. Ce n’est pas fait pour vous.
Mais Kolker refusait de s’avouer vaincu. Il quitta la fontaine, grimpa les escaliers d’un building monolithique et s’assit en tailleur pour s’absorber dans la contemplation de son médaillon prismatique. Il le tourna d’un côté puis de l’autre, afin de faire jouer les reflets arc-en-ciel sur son visage. Concentré sur la lumière, il tenta d’agripper les brins intangibles du thisme, au moyen des mêmes techniques mentales dont il usait sans s’en rendre compte pour se connecter au télien.
Il demeura immobile pendant des heures, à scruter son médaillon et à chercher.